CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
Déchets toxiques en Afrique

0) www.horizons-et-debats.ch, octobre 2008
1)
ADIT, http://www.altermonde-sans-frontiere.com, décembre 2008
2) ADIT, http://www.developpementdurable.com/, janvier 2009
3) ADIT, http://www.lesoir.be/, janvier 2009
4) ADIT, http://www.novethic.fr/, janvier 2009
Voir également http://www.425dxn.org/dc3mf/annobon.html, mais qui ne fonctionne pas toujours...

4) L'île-poubelle des Maldives déborde
     La plus grande «île-poubelle» du monde ne pourra bientôt plus accueillir les centaines de tonnes de déchets qui y sont déversés chaque jour. Revers d'une industrie touristique florissante, le surplus d'ordures est devenu un réel problème environnemental et sanitaire pour l'archipel, que le nouveau gouvernement entend bien prendre en main.
     A quelques kilomètres de Malé, la capitale maldivienne, l'île de Thilafushi offre un triste spectacle inconnu des touristes: les ordures des Maldives s'y entassent au point de se déverser dans l'océan indien. Cet îlot jadis paradisiaque ressemble depuis plus de quinze ans à une décharge géante. En 1992, le gouvernement de l'époque avait en effet décidé d'y faire acheminer les déchets des îles voisines, ne sachant plus comment gérer une quantité toujours grandissante d'ordures. Et devant le potentiel économique alléchant, les pouvoirs publics ont mis en location quelques années plus tard certains terrains de l'île, quitte à l'étendre artificiellement, pour y développer notamment la construction navale, générant de surcroit des déchets métalliques.
     Longue de 7 kilomètres sur 200 mètres de largeur, Thilafushi est aujourd'hui davantage connue sous le nom de «Rubbish Island», autrement dit «l'île-poubelle». Et s'étend de près d'un mètre carré par jour, soit par extensions cimentées construites par les industriels locaux, soit par dépôts sauvages des déchets dans les eaux peu profondes du lagon.
     L'industrie du tourisme est évidemment la première pointée du doigt. A raison de 10.000 visiteurs étrangers par semaine, les Maldives sont en effet une destination privilégiée des vacanciers, notamment européens. Mais cet afflux constant, s'il alimente grandement l'économie du pays, au point d'en faire le plus riche d'Asie du Sud, n'est pas sans conséquence. Le secteur touristique requiert un grand nombre de produits importés pour assurer l'accueil et maintenir la côte des prestigieux hôtels. Et chaque visiteur génère 3,5 kg de déchets par jour... Téléphones portables, piles usagées et autres e-déchets se trouvent ainsi mêlés aux bouteilles plastiques, cartons, déchets métalliques et toxiques, sans aucun système de traitement spécifique.
     Aujourd'hui, les quelques 150 travailleurs immigrés du Bangladesh, réquisitionnés pour assurer un traitement sommaire des déchets, ne suffisent plus à gérer les 300 tonnes acheminées par bateau quotidiennement. Les responsables industriels de Thilafushi en ont d'ailleurs saisi l'intérêt économique et vendent depuis peu leurs déchets métalliques à l'Inde voisine. Le gain n'est effectivement pas négligeable: la tonne de d'ordures compressées en blocs se vend plus de 175 dollars! D'après le centre national des statistiques douanières, la vente de ces déchets métalliques serait ainsi devenue la plus grosse part des exportations vers l'Inde.
Des conséquences environnementales et sanitaires imminentes
     Cette exportation récente ne suffit pas à désengorger Thilafushi. Par conséquent, les risques de pollution  environnementale désastreuse grandissent de jour en jour. Des éléments toxiques, tels le plomb, le cadmium, le mercure ou encore l'amiante, contaminent la faune et la flore de l'océan. Mélangés aux eaux salées du lagon, ils engendrent de surcroît des réactions chimiques néfastes pour les coraux. Et se retrouvent forcément dans les aliments consommés sur les îles de l'archipel.
     D'autant que la plupart celles-ci émergent à un mètre environ au dessus du niveau de la mer, et seront donc les premières englouties en cas de montée des eaux. Le déclin progressif de la barrière de corail, digue naturelle qui protège les îles, abonde également dans le sens des scénarii les plus pessimistes. Que deviendront alors tous ces déchets, une fois les îles rayées de la carte?

Le nouveau gouvernement réagit
     Conscient de ces risques, le nouveau président Mohamed Nasheed, élu fin octobre 2008, a mis en place dès la mi-décembre deux institutions publiques destinées à la gestion des déchets: The Waste Management Corporation Limited et The Thilafushi Corporation Limited. L'objectif de la première est de renforcer le système national de traitement, celui de la seconde étant de se concentrer principalement sur le territoire de Thilafushi. Pour l'heure, aucune de ces deux institutions n'est opérationnelle, les missions de chacune devant être précisées dans les semaines qui viennent. Mais cette prise de conscience génère beaucoup d'espoirs chez les écologistes locaux. Ali Rilwan, directeur de l'ONG maldivienne BluePeace rappelle par ailleurs que la nouvelle administration a récemment initié la création de sept gouvernements régionaux, dans le cadre de son projet de décentralisation des services publics (Local Island Councils/Atoll). Si l'élaboration d'une législation spécifique est encore en instance au Parlement, l'ONG considère «que cette décision est le coup d'envoi d'une gestion efficace des déchets aux Maldives, et d'une réelle prise en main des questions sociales et économiques
     Reste que quelque soit le système mis en place, les 1200 îles l'archipel sont vouées à disparaître sous l'eau, à plus ou moins long terme. Mohamed Nasheed a donc récemment fait savoir qu'il projetait d'acheter de nouvelles terres pour y loger ses concitoyens...et sûrement quelques déchets.

3) Somalie, poubelle de l'Europe
vendredi 26 décembre 2008

     Le 8 décembre dernier, les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne approuvaient officiellement l'ordre de déploiement de l'opération Atalanta visant à sécuriser le trafic au large des côtes somaliennes, dans ce qui constitue la première opération navale dans l'histoire de l'UE. La mission prioritaire de cette opération doit consister à assurer l'accompagnement des bateaux du Programme Alimentaire Mondial qui acheminent l'aide humanitaire à la Somalie. Après les actes de piratage qui ont défrayé la chronique ces dernières semaines, nul ne doute cependant qu'il s'agira également de sécuriser cette route hautement stratégique pour le transport du pétrole du golfe Persique vers l'Union européenne et l'Amérique du Nord, ainsi que les itinéraires des nombreux bateaux de plaisance qui parcourent le large des côtes somaliennes. L'efficacité avec laquelle l'UE a mis en place cette opération militaire conjointe contraste en tout cas de manière spectaculaire avec l'incapacité dont fait preuve l'Union pour mettre en place une réaction commune visant à protéger les populations du Kivu.
     La Somalie est plongée depuis 1991 dans une guerre oubliée atroce et interminable qui entraîne une crise humanitaire de grande ampleur. On pourrait dès lors s'attendre que la population somalienne se réjouisse de la détermination plutôt inattendue avec laquelle l'UE s'est empressée de déployer une mission militaire dans la région.
     Cependant, d'après les témoignages tout récents que la BBC a pu recueillir sur place, les populations des zones côtières où se déroulent les actes de piratage sont davantage préoccupées par les largages de déchets toxiques qui ont lieu le long des côtes somaliennes depuis de nombreuses années que par les pirates. Cela confirme un rapport publié par le Programme des Nations unies pour l'Environnement (PNUE) dès 2005, pour qui la Somalie – à l'instar d'autres pays très pauvres non précisés – fait l'objet depuis le début des années 80 de largages de déchets toxiques en mer, dont des déchets nucléaires et d'autres déchets toxiques médicaux et industriels tels que le cadmium et le mercure. D'après le même rapport, ces déchets sont en majorité originaires de l'Union européenne. Des informations récentes font état du fait que ces largages ont toujours lieu à l'heure actuelle. D'après le PNUE, à la suite du Tsunami de 2004, une partie de ces déchets aurait échoué sur les plages somaliennes et serait en train de provoquer des dégâts de très grande ampleur sur la santé des populations et l'environnement(1).
     Ces informations accablantes couplées aux rapports qui mettent en évidence les conditions infra-humaines dans lesquelles travaillent les personnes qui assurent l'extraction de l'uranium dans des pays tels que le Niger devraient en tout cas faire réfléchir ceux qui prétendent que le nucléaire est une technologie «propre». À la lumière de ces exemples, force est de constater que le long cycle qui va de l'extraction de l'uranium jusqu'à la gestion des déchets nucléaires entraîne à l'heure actuelle des dégâts irréversibles et mine de manière durable les droits fondamentaux de certaines populations vulnérables.

     Depuis de nombreuses années, des indices sur ces pratiques sont avancés par des organisations de la société civile sans qu'elles ne trouvent de véritable écho ni dans les médias ni auprès des gouvernements. À ce stade, l'Union européenne a répondu par le silence aux interpellations qu'elle a reçues à ce sujet(2). Alors que l'opération Atalanta devrait être rapidement mise en place, on ne peut que craindre que les firmes responsables de ces largages soient également les bénéficiaires indirects de la sécurisation des voies maritimes somaliennes et continuent à exercer leurs pratiques criminelles et abjectes. C'est pourquoi il s'avère tout aussi urgent que nécessaire de faire la lumière sur les implications et les responsabilités des entreprises européennes en ce qui concerne le largage des déchets le long des côtes.
     Si parallèlement aux missions humanitaires, l'Europe veut apporter un soutien durable à la population somalienne, la manière la plus crédible et responsable consisterait à mettre un terme à ces pratiques illégales et à punir en conséquence les entreprises européennes ayant une implication dans les chaînes de responsabilités qui aboutissent à la décharge de déchets hautement toxiques au large des côtes somaliennes. À long terme, l'UE devrait prêter tout son concours pour qu'un plan multilatéral de stabilisation et de restauration de la paix en Somalie soit mis en place. À plus court terme, la Belgique peut et doit porter le dossier au niveau du Conseil de l'UE. Le gouvernement fédéral doit également apporter la preuve que les mécanismes de traçabilité des déchets toxiques nucléaires et non nucléaires mis en place au niveau de la Belgique sont de nature à exclure que ces déchets puissent être transférés vers des pays qui à l'instar de la Somalie ne disposent pas d'un cadre institutionnel susceptible d'assurer la protection des populations et le respect de leurs droits fondamentaux.
Juliette Boulet Députée Ecolo
Isabelle Durant Sénatrice et coprésidente d'Ecolo
Francisco Padilla Conseiller en affaires européennes et internationales

(1) Situation en violation flagrante des droits fondamentaux, notamment du droit à la santé consacré par l'article 12 de la Convention Internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels et l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que des traités internationaux sur le commerce international des déchets et plus particulièrement, la Convention de Bâle sur le contrôle de mouvements transfrontaliers de déchets ainsi que du cadre légal européen relatif à la supervision et au contrôle des transferts des déchets dans et hors l'Union européenne. De plus, conformément à la Directive du Conseil (CE/686/91) du 12 décembre 1991, le producteur de déchets est responsable de leur destination et utilisation finale.
(2) Encore lors de la conférence de presse organisée après l'adoption d'une résolution des Nations unies le 2 décembre dernier qui donne une base légale à l'opération de l'UE dans les eaux somaliennes, l'ambassadeur français auprès des NU, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union, s'est abstenu de tout commentaire lorsque la question des déchets toxiques a été évoquée.
2) Décharge du monde riche
     Dans les années 80, une série de scandales révèle d'intenses trafics de déchets toxiques entre les pays riches et le continent noir. On découvre alors comment l'Occident a trouvé le moyen de se débarrasser de millions de tonnes de résidus chimiques à moindre coût: faire affaire avec des pays ouest-africains plus ou moins corrompus et dictatoriaux, et y décharger les dangereuses poubelles sans aucun recyclage ou traitement. Sans se soucier, non plus, des risques sanitaires et environnementaux. Pour contrer le phénomène, la Convention de Bâle entre en vigueur en 1992. Mais le problème est loin d'être réglé...
     Selon la Convention de Bâle, un pays exportateur de déchets toxiques doit d'abord obtenir une autorisation écrite auprès du pays importateur avant d'expédier la cargaison. Son contenu doit être détaillé et la destination finale précisément notifiée. Dans le cas contraire, le commerce est considéré comme illégal et le pays exportateur jugé responsable. Il devra alors récupérer sa «marchandise» et prendre financièrement en charge les coûts des dégâts éventuels. Plus largement, le texte préconise de «réduire au minimum les mouvements transfrontières de déchets dangereux, conformément à leur bonne gestion environnementale. Ils doivent être traités et éliminés aussi près que possible de leur source de production».
     C'est dans ce cadre que l'Union européenne interdit désormais toute exportation de déchets toxiques des Etats membres vers les pays émergents. Le transfert entre pays membres de l'OCDE et Etats non adhérents est également illicite. En tout, 168 nations ont ratifié la Convention. Problème: bien qu'il existe aujourd'hui un cadre juridique international pour lutter contre le trafic, les pratiques illégales se perpétuent. Et ce, malgré l'apparition de traités complémentaires, comme la convention de Bamako. Le monde industrialisé produit plus de 300 millions de tonnes de déchets chimiques chaque année, et lorsque l'on sait que le prix de recyclage d'une tonne peut atteindre les 1.000 €, on comprend pourquoi.

«Le commerce international continue de se développer»
     Durant l'été 2006, un événement secoue la Côte d'Ivoire: le Probo Koala, un navire russe battant pavillon panaméen, accoste à Abidjan. Officiellement, il doit vidanger en toute légalité des eaux usées. En fait, il s'agit de boues issues du raffinage pétrolier, riches en éléments soufrés hautement toxiques. 528 tonnes sont déversés dans plusieurs décharges publiques de la ville. Les autorités ne se rendent compte de la fraude qu'après le départ du bateau, et il est déjà trop tard.

     Les émanations affectent rapidement des milliers de personnes et en tuent une dizaine. Les contaminés souffrent de vomissements à répétition, d'éruptions cutanées, de malaises, diarrhées et maux de tête. Accusé de négligences, le Premier ministre ivoirien est contraint de démissionner. Depuis, la cour d'assises d'Abidjan a condamné à 20 et 5 ans de prison deux Ivoiriens impliqués dans la transaction criminelle... mais l'affréteur du navire, la multinationale Trafigura, et Puma Energy, sa filiale locale, n'ont pas été inquiétés.
     Conclusion de l'histoire: outre le peu de responsabilités établies dans cette affaire, il semble que le transport illégal de déchets toxiques vers l'Afrique soit encore d'actualité. Achim Steiner, directeur exécutif du PNUE (programme des Nations Unies pour l'environnement), déclara alors: «Le commerce international continue à se développer et des contrôles de plus en plus sévères au niveau national font augmenter les coûts de stockage des déchets toxiques dans les pays développés». Il en résulte, selon lui, «une incitation économique pour le transport illégal des déchets». Pour Stavros Dimas, membre de la Commission européenne chargé de l'environnement, le scandale du Probo Koala «n'est que la partie émergée de l'iceberg».

Le nouveau business des déchets électroniques
     Les exemples ne manquent pas. Greenpeace a par exemple recensé près de 80 sites-dépotoirs sur le continent africain. Une enquête du magazine Spiegel a quant à elle mis en lumière en 2006 un probable enfouissement de déchets radioactifs sur l'Ile d'Annobon, dans le Golfe de Guinée. Et un nouvel eldorado semble désormais attirer les trafiquants d'ordures: les déchets électroniques. 20 à 50 millions de tonnes sont produites chaque année, et selon l'ONU, plus de 6 millions finiraient dans les décharges des pays en voie de développement.
     En Afrique, Le Ghana et le Nigéria seraient particulièrement touchés. Le port de Lagos, selon une étude de Consumers International, verrait ainsi débarquer chaque mois 500.000 ordinateurs usagées. Officiellement «d'occasions», 75% sont en fait bons pour la décharge. C'est le prix à payer. Et la pollution au plomb et au mercure contamine chaque jour les populations en quête de quelques grammes de métaux à revendre, comme le cuivre.

Pour en savoir plus:
- Convention de Bâle
- Convention de Bamako et voir ci-dessous
- Enquête de Consumers International (mai 2008)
- Enquête de Greenpeace (aôut 2008)


1) Un scandale qui s'éternise
     Août 2006, la Côte d'Ivoire et plus précisément la ville d'Abidjan sont au cœur d'un scandale environnemental et sanitaire très grave. Un tanker (le Probo Koala) appartenant à une société grecque battant pavillon panaméen, affrété par une société néerlandaise opérant depuis la Suisse (avec à son bord un équipage russe!) déversait en toute illégalité 500 tonnes de boues, mélange de soude caustique, de résidus pétroliers et d'eau. Ces déchets furent déposés à ciel ouvert dans plusieurs décharges de la ville dégageant des gaz mortels faisant à ce jour 17 victimes et des dizaines de milliers d'intoxiqués.
     Octobre 2008. Deux années plus tard, le procès de cette affaire vient de se dérouler à Abidjan. La cour d'assise a rendu un verdict contrasté, en condamnant à 20 et 5 ans de prison deux accusés (le patron de la petite société ivoirienne ayant déversé les déchets à l'air libre ainsi qu'un agent du port) mais en acquittant les sept autres. Au-delà du jugement rendu, ce qui ressort avant tout de ce procès, c'est l'absence à la barre des dirigeants de Trafigura, l'affréteur du navire, après qu'un accord à l'amiable eut été conclu en février 2007 entre la multinationale néerlandaise et le gouvernement ivoirien moyennant le versement de 152 millions €. Ceci a d'ailleurs suscité provoqué les protestations de plusieurs avocats, pour qui le procès était «biaisé» en l'absence du «témoin central». A juste titre.
     Pour la petite histoire, le 2 juillet 2006, le Probo Koala se trouvait à Amsterdam où il était censé décharger sa cargaison. Mais en raison du prix élevé demandé pour le traitement des déchets qu'il transportait, après un détour par l'Estonie, le navire fit route vers le sud, à la recherche de sous-traitants moins scrupuleux!

De vieilles pratiques
     Parallèlement à la mise en place progressive des premières normes environnementales en Europe au cours des années 1970-80, le coût d'élimination des déchets toxiques a augmenté considérablement au cours des dernières décennies entraînant le développement de divers trafics à destination de l'Afrique. Une aubaine pour l'industrie chimique des pays du Nord (Allemagne, Italie, France, Suisse, etc.) qui a ainsi trouvé le moyen de réduire les coûts d'élimination de ses résidus toxiques au détriment de la santé des habitants du Sud.
     Ce commerce, malgré l'énorme logistique qu'il nécessite, a bénéficié de l'ouverture incontrôlée des frontières et du soutien de mafias payant parfois leur "droit à décharger" avec des cargaisons d'armes, quitte à subventionner des guerres civiles comme en Somalie. De l'autre côté de la Méditerranée, ce scandale a été facilité par le besoin urgent de devises étrangères de la part de gouvernements déjà étranglés par le mécanisme de la dette et, de surcroît, souvent dirigés par des régimes autocratiques et corrompus.
     Bien qu'ils soient dépourvus d'installations adéquates de traitement des déchets dangereux, de nombreux pays d'Afrique (Bénin, Congo-Brazzaville, Djibouti, Guinée-Bissau, Guinée Equatoriale, Mozambique, Nigéria, Togo, Somalie et d'autres encore) ont importé des cargaisons entières de déchets toxiques (boues industrielles, cyanures, solvants, peintures, pesticides, déchets pharmaceutiques) et même nucléaires (dans le cas de la Somalie) à des prix très bas: entre 2,5 et 40 dollars la tonne contre 75 à 300 dollars (de l'époque) le coût d'élimination dans les pays industrialisés [1]. Ironie du sort, ces déchets étaient parfois conditionnés dans des fûts marqués «engrais» ou (même) «aide humanitaire» afin de ne pas attirer la curiosité des autorités portuaires des pays d'accueil. Greenpeace avance le chiffre de 167 millions de tonnes de déchets dangereux ayant ainsi trouvé une deuxième patrie en Afrique [2] avant 1986. En Italie, le trafic illégal des déchets représenterait, dans les années 80, la deuxième activité des organisations criminelles, juste après la drogue. Un marché de quelque 100 millions € par an [3]. En France, une filiale du groupe Arcelor Mittal est soupçonnée d'avoir blanchi des millions de tonnes de déchets toxiques (sous la forme de carburant pour tanker) entre 1993 et 2004 (La Voix du Nord, 17 septembre 2008) mais aucune preuve formelle n'a pu être trouvé jusqu'à maintenant.

Les paradis fiscaux en bonne place
     Ces opérations ont fait parfois l'objet de contrats en bonne et due forme, astucieusement ficelés par des contractants proches du gouvernement du pays importateur. Entre les producteurs et les sous-traitants en charge de la basse besogne opèrent des sociétés écrans, simples boîtes aux lettres établies dans des paradis fiscaux. A titre d'exemple, l'une d'elles (dont le capital effectivement libéré n'était que de... deux livres Sterling!) était immatriculée sur l'Ile de Man et gérée à distance par un couple résidant à Chypre, puis Gibraltar où l'on a perdu sa trace. Dans d'autres circonstances, ces opérations ont été effectuées sans même avoir à négocier de contrat avec les pays d'accueil: les entreprises multinationales disposant de sites d'exploitation dans ces pays ont pu y transférer les déchets sans avertir les autorités locales.

suite:
Quelques tentatives de contrôle transfrontalier
     A la suite à plusieurs scandales en 1988, une série d'accords internationaux ont été signés, censés réglementer voire interdire les transferts de déchets toxiques vers les pays du Sud. Créée en 1989 sous l'égide des Nations Unis (et rentrée en vigueur en 1992), la Convention de Bâle (faire une recherche sur le site de SEBES) fut le premier instrument juridique international contraignant en matière de contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Dans sa première version, cependant elle tendait à légitimer une pratique qui devrait être considérée comme une activité criminelle. Mais en 1995, un amendement fut adopté afin de mettre un terme définitif aux exportations de déchets dangereux dans les pays ne disposant pas d'installations adéquates. En outre, une série d'accords régionaux ont été signés, parmi lesquels la Convention de Bamako (SEBES 1, SEBES 2)dont le champ d'application s'étend également aux déchets radioactifs. Qu'à cela ne tienne, sur 166 états signataires de la Convention de Bâle, trois pays - l'Afghanistan, Haïti et les Etats-Unis (réticents à l'idée de reprendre sur leur territoire les déchets dangereux produits sur leurs bases militaires du Pacifique) – ne l'ont toujours pas ratifié, ce qui porte inévitablement atteinte à son caractère universel.

Les e-déchets, une catastrophe annoncée
     Le trafic des déchets se donne aujourd'hui un visage plus respectable mais les victimes pourraient bien être encore plus nombreuses. Quand on ne contrevient pas aux lois en vigueur, on essaye en effet de les contourner... Ainsi, au nom du recyclage, les pays occidentaux continuent d'envoyer aujourd'hui en Afrique et en Asie des déchets dont le traitement est jugé trop polluant ou trop peu rentable. On a tous en tête l'image des navires en fin de vie (tel « le Clémenceau») faisant route vers l'Asie du Sud pour y être démantelés. Moins médiatisé, le «recyclage» de Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques (mieux connus sous le sigle D3E) en Afrique du Sud, au Nigéria ou encore au Ghana[4] est tout aussi dramatique.
     A première vue pourtant, certains ont vu dans la réutilisation d'ordinateurs ou de téléphones portables en état de marche une manière de réduire le fossé numérique entre le Nord et le Sud. Une formule «gagnant - gagnant» permettant aux uns de se débarrasser de montagnes de déchets électroniques tandis que les autres, trop pauvres pour pouvoir acheter des équipements neufs réutilisent des vieux équipements, leur offrant ainsi une seconde vie. Malheureusement, une enquête de l'ONG Basel Action Network au Nigeria contredit cette version: 75% des équipements informatiques d'occasion importés ne sont pas économiquement réparables ou revendables. Et quand bien même ils le sont, ils arrivent en quantités sans commune mesure avec les besoins réels. Alors, après avoir été dépouillés pour en extraire les métaux précieux, ces équipements rejoignent des décharges non contrôlées où ils sont brûlés, émettant notamment dioxines, métaux lourds et composés organo-chlorés et contaminant ainsi l'air et le sous-sol. Au nom du recyclage, on aboutit ainsi précisément à l'opposé de ce que la communauté mondiale a cherché à interdire avec l'adoption de la Convention de Bâle.

Les déchets de la honte. Reportage photo au Ghana de Kate:
http://www.youtube.com

Quelles pistes pour demain?
     Certes, ces dernières années, le paysage est en train de changer en Europe et des progrès importants ont été faits pour traiter au Nord les fameux DEEE. Mais tant que les gouvernements européens continueront à faire la sourde oreille, ces trafics vers l'Afrique risquent de subsister. Le problème vient d'abord d'un manque de moyens: sur 1.100 cargaisons contrôlées en 2006 dans le cadre d'une enquête européenne, 50% étaient illégales. De l'avis même de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), un renforcement des inspections s'impose ainsi qu'une meilleure collaboration entre les services de police et de gendarmerie nationale à l'échelle de l'Europe. Toutefois, le fait qu'en 2008, une société implantée sur l'île de Man échappe encore à l'application de la directive européenne sur le contrôle des transports transfrontaliers de déchets ne manque pas de poser question. Et bien qu'un projet de nouvelle directive pour la protection de l'environnement (qui permettrait de considérer les atteintes graves à l'environnement comme des crimes, à l'instar de la Convention de Palerme sur le crime organisé) soit en bonne voie au Parlement et au Conseil européen, tant que des îlots n'ayant décidément rien de paradisiaque continueront d'échapper à de telles lois, il y a fort à parier que les plus malins continueront à passer à travers les mailles du filet.
Sources:
billetsdafrique.survie.org (faire une recherche interne "déchets"!)
tlaxcala.es
[1 à 4] Ces notes sont issues de altermonde.

0)Cessons de faire de l'Afrique une décharge nucléaire!