La plus grande «île-poubelle»
du monde ne pourra bientôt plus accueillir les centaines de tonnes
de déchets qui y sont déversés chaque jour. Revers
d'une industrie touristique florissante, le surplus d'ordures est devenu
un réel problème environnemental et sanitaire pour l'archipel,
que le nouveau gouvernement entend bien prendre en main.
A quelques kilomètres de Malé, la capitale maldivienne, l'île de Thilafushi offre un triste spectacle inconnu des touristes: les ordures des Maldives s'y entassent au point de se déverser dans l'océan indien. Cet îlot jadis paradisiaque ressemble depuis plus de quinze ans à une décharge géante. En 1992, le gouvernement de l'époque avait en effet décidé d'y faire acheminer les déchets des îles voisines, ne sachant plus comment gérer une quantité toujours grandissante d'ordures. Et devant le potentiel économique alléchant, les pouvoirs publics ont mis en location quelques années plus tard certains terrains de l'île, quitte à l'étendre artificiellement, pour y développer notamment la construction navale, générant de surcroit des déchets métalliques. Longue de 7 kilomètres sur 200 mètres de largeur, Thilafushi est aujourd'hui davantage connue sous le nom de «Rubbish Island», autrement dit «l'île-poubelle». Et s'étend de près d'un mètre carré par jour, soit par extensions cimentées construites par les industriels locaux, soit par dépôts sauvages des déchets dans les eaux peu profondes du lagon. L'industrie du tourisme est évidemment la première pointée du doigt. A raison de 10.000 visiteurs étrangers par semaine, les Maldives sont en effet une destination privilégiée des vacanciers, notamment européens. Mais cet afflux constant, s'il alimente grandement l'économie du pays, au point d'en faire le plus riche d'Asie du Sud, n'est pas sans conséquence. Le secteur touristique requiert un grand nombre de produits importés pour assurer l'accueil et maintenir la côte des prestigieux hôtels. Et chaque visiteur génère 3,5 kg de déchets par jour... Téléphones portables, piles usagées et autres e-déchets se trouvent ainsi mêlés aux bouteilles plastiques, cartons, déchets métalliques et toxiques, sans aucun système de traitement spécifique. Aujourd'hui, les quelques 150 travailleurs immigrés du Bangladesh, réquisitionnés pour assurer un traitement sommaire des déchets, ne suffisent plus à gérer les 300 tonnes acheminées par bateau quotidiennement. Les responsables industriels de Thilafushi en ont d'ailleurs saisi l'intérêt économique et vendent depuis peu leurs déchets métalliques à l'Inde voisine. Le gain n'est effectivement pas négligeable: la tonne de d'ordures compressées en blocs se vend plus de 175 dollars! D'après le centre national des statistiques douanières, la vente de ces déchets métalliques serait ainsi devenue la plus grosse part des exportations vers l'Inde. |
Des conséquences environnementales et sanitaires imminentes
Cette exportation récente ne suffit pas à désengorger Thilafushi. Par conséquent, les risques de pollution environnementale désastreuse grandissent de jour en jour. Des éléments toxiques, tels le plomb, le cadmium, le mercure ou encore l'amiante, contaminent la faune et la flore de l'océan. Mélangés aux eaux salées du lagon, ils engendrent de surcroît des réactions chimiques néfastes pour les coraux. Et se retrouvent forcément dans les aliments consommés sur les îles de l'archipel. D'autant que la plupart celles-ci émergent à un mètre environ au dessus du niveau de la mer, et seront donc les premières englouties en cas de montée des eaux. Le déclin progressif de la barrière de corail, digue naturelle qui protège les îles, abonde également dans le sens des scénarii les plus pessimistes. Que deviendront alors tous ces déchets, une fois les îles rayées de la carte? Le nouveau gouvernement réagit
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vendredi 26 décembre 2008
Le 8 décembre dernier, les ministres
des affaires étrangères de l'Union européenne approuvaient
officiellement l'ordre de déploiement de l'opération Atalanta
visant à sécuriser le trafic au large des côtes somaliennes,
dans ce qui constitue la première opération navale dans l'histoire
de l'UE. La mission prioritaire de cette opération doit consister
à assurer l'accompagnement des bateaux du Programme Alimentaire
Mondial qui acheminent l'aide humanitaire à la Somalie. Après
les actes de piratage qui ont défrayé la chronique ces dernières
semaines, nul ne doute cependant qu'il s'agira également de sécuriser
cette route hautement stratégique pour le transport du pétrole
du golfe Persique vers l'Union européenne et l'Amérique du
Nord, ainsi que les itinéraires des nombreux bateaux de plaisance
qui parcourent le large des côtes somaliennes. L'efficacité
avec laquelle l'UE a mis en place cette opération militaire conjointe
contraste en tout cas de manière spectaculaire avec l'incapacité
dont fait preuve l'Union pour mettre en place une réaction commune
visant à protéger les populations du Kivu.
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Depuis de nombreuses années, des indices
sur ces pratiques sont avancés par des organisations de la société
civile sans qu'elles ne trouvent de véritable écho ni dans
les médias ni auprès des gouvernements. À ce stade,
l'Union européenne a répondu par le silence aux interpellations
qu'elle a reçues à ce sujet(2). Alors que l'opération
Atalanta devrait être rapidement mise en place, on ne peut que craindre
que les firmes responsables de ces largages soient également les
bénéficiaires indirects de la sécurisation des voies
maritimes somaliennes et continuent à exercer leurs pratiques criminelles
et abjectes. C'est pourquoi il s'avère tout aussi urgent que nécessaire
de faire la lumière sur les implications et les responsabilités
des entreprises européennes en ce qui concerne le largage des déchets
le long des côtes.
Si parallèlement aux missions humanitaires, l'Europe veut apporter un soutien durable à la population somalienne, la manière la plus crédible et responsable consisterait à mettre un terme à ces pratiques illégales et à punir en conséquence les entreprises européennes ayant une implication dans les chaînes de responsabilités qui aboutissent à la décharge de déchets hautement toxiques au large des côtes somaliennes. À long terme, l'UE devrait prêter tout son concours pour qu'un plan multilatéral de stabilisation et de restauration de la paix en Somalie soit mis en place. À plus court terme, la Belgique peut et doit porter le dossier au niveau du Conseil de l'UE. Le gouvernement fédéral doit également apporter la preuve que les mécanismes de traçabilité des déchets toxiques nucléaires et non nucléaires mis en place au niveau de la Belgique sont de nature à exclure que ces déchets puissent être transférés vers des pays qui à l'instar de la Somalie ne disposent pas d'un cadre institutionnel susceptible d'assurer la protection des populations et le respect de leurs droits fondamentaux. Juliette Boulet Députée
Ecolo
Isabelle Durant Sénatrice et coprésidente d'Ecolo Francisco Padilla Conseiller en affaires européennes et internationales (1) Situation en violation flagrante des droits fondamentaux, notamment du droit à la santé consacré par l'article 12 de la Convention Internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels et l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que des traités internationaux sur le commerce international des déchets et plus particulièrement, la Convention de Bâle sur le contrôle de mouvements transfrontaliers de déchets ainsi que du cadre légal européen relatif à la supervision et au contrôle des transferts des déchets dans et hors l'Union européenne. De plus, conformément à la Directive du Conseil (CE/686/91) du 12 décembre 1991, le producteur de déchets est responsable de leur destination et utilisation finale. (2) Encore lors de la conférence de presse organisée après l'adoption d'une résolution des Nations unies le 2 décembre dernier qui donne une base légale à l'opération de l'UE dans les eaux somaliennes, l'ambassadeur français auprès des NU, dont le pays assure la présidence tournante de l'Union, s'est abstenu de tout commentaire lorsque la question des déchets toxiques a été évoquée. |
Dans les années
80, une série de scandales révèle d'intenses trafics
de déchets toxiques entre les pays riches et le continent noir.
On découvre alors comment l'Occident a trouvé le moyen de
se débarrasser de millions de tonnes de résidus chimiques
à moindre coût: faire affaire avec des pays ouest-africains
plus ou moins corrompus et dictatoriaux, et y décharger les dangereuses
poubelles sans aucun recyclage ou traitement. Sans se soucier, non plus,
des risques sanitaires et environnementaux. Pour contrer le phénomène,
la Convention de Bâle entre en vigueur en 1992. Mais le problème
est loin d'être réglé...
Selon la Convention de Bâle, un pays exportateur de déchets toxiques doit d'abord obtenir une autorisation écrite auprès du pays importateur avant d'expédier la cargaison. Son contenu doit être détaillé et la destination finale précisément notifiée. Dans le cas contraire, le commerce est considéré comme illégal et le pays exportateur jugé responsable. Il devra alors récupérer sa «marchandise» et prendre financièrement en charge les coûts des dégâts éventuels. Plus largement, le texte préconise de «réduire au minimum les mouvements transfrontières de déchets dangereux, conformément à leur bonne gestion environnementale. Ils doivent être traités et éliminés aussi près que possible de leur source de production». C'est dans ce cadre que l'Union européenne interdit désormais toute exportation de déchets toxiques des Etats membres vers les pays émergents. Le transfert entre pays membres de l'OCDE et Etats non adhérents est également illicite. En tout, 168 nations ont ratifié la Convention. Problème: bien qu'il existe aujourd'hui un cadre juridique international pour lutter contre le trafic, les pratiques illégales se perpétuent. Et ce, malgré l'apparition de traités complémentaires, comme la convention de Bamako. Le monde industrialisé produit plus de 300 millions de tonnes de déchets chimiques chaque année, et lorsque l'on sait que le prix de recyclage d'une tonne peut atteindre les 1.000 €, on comprend pourquoi. «Le commerce international continue de se développer»
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Les émanations affectent rapidement
des milliers de personnes et en tuent une dizaine. Les contaminés
souffrent de vomissements à répétition, d'éruptions
cutanées, de malaises, diarrhées et maux de tête. Accusé
de négligences, le Premier ministre ivoirien est contraint de démissionner.
Depuis, la cour d'assises d'Abidjan a condamné à 20 et 5
ans de prison deux Ivoiriens impliqués dans la transaction criminelle...
mais l'affréteur du navire, la multinationale Trafigura, et Puma
Energy, sa filiale locale, n'ont pas été inquiétés.
Conclusion de l'histoire: outre le peu de responsabilités établies dans cette affaire, il semble que le transport illégal de déchets toxiques vers l'Afrique soit encore d'actualité. Achim Steiner, directeur exécutif du PNUE (programme des Nations Unies pour l'environnement), déclara alors: «Le commerce international continue à se développer et des contrôles de plus en plus sévères au niveau national font augmenter les coûts de stockage des déchets toxiques dans les pays développés». Il en résulte, selon lui, «une incitation économique pour le transport illégal des déchets». Pour Stavros Dimas, membre de la Commission européenne chargé de l'environnement, le scandale du Probo Koala «n'est que la partie émergée de l'iceberg». Le nouveau business des déchets électroniques
Pour en savoir plus:
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Août
2006, la Côte d'Ivoire et plus précisément la ville
d'Abidjan sont au cœur d'un scandale environnemental et sanitaire très
grave. Un tanker (le Probo Koala) appartenant à une société
grecque battant pavillon panaméen, affrété par une
société néerlandaise opérant depuis la Suisse
(avec à son bord un équipage russe!) déversait en
toute illégalité 500 tonnes de boues, mélange de soude
caustique, de résidus pétroliers et d'eau. Ces déchets
furent déposés à ciel ouvert dans plusieurs décharges
de la ville dégageant des gaz mortels faisant à ce jour 17
victimes et des dizaines de milliers d'intoxiqués.
Octobre 2008. Deux années plus tard, le procès de cette affaire vient de se dérouler à Abidjan. La cour d'assise a rendu un verdict contrasté, en condamnant à 20 et 5 ans de prison deux accusés (le patron de la petite société ivoirienne ayant déversé les déchets à l'air libre ainsi qu'un agent du port) mais en acquittant les sept autres. Au-delà du jugement rendu, ce qui ressort avant tout de ce procès, c'est l'absence à la barre des dirigeants de Trafigura, l'affréteur du navire, après qu'un accord à l'amiable eut été conclu en février 2007 entre la multinationale néerlandaise et le gouvernement ivoirien moyennant le versement de 152 millions €. Ceci a d'ailleurs suscité provoqué les protestations de plusieurs avocats, pour qui le procès était «biaisé» en l'absence du «témoin central». A juste titre. Pour la petite histoire, le 2 juillet 2006, le Probo Koala se trouvait à Amsterdam où il était censé décharger sa cargaison. Mais en raison du prix élevé demandé pour le traitement des déchets qu'il transportait, après un détour par l'Estonie, le navire fit route vers le sud, à la recherche de sous-traitants moins scrupuleux! De vieilles pratiques
Les paradis fiscaux en bonne place
(suite)
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suite:
Quelques tentatives de contrôle transfrontalier A la suite à plusieurs scandales en 1988, une série d'accords internationaux ont été signés, censés réglementer voire interdire les transferts de déchets toxiques vers les pays du Sud. Créée en 1989 sous l'égide des Nations Unis (et rentrée en vigueur en 1992), la Convention de Bâle (faire une recherche sur le site de SEBES) fut le premier instrument juridique international contraignant en matière de contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. Dans sa première version, cependant elle tendait à légitimer une pratique qui devrait être considérée comme une activité criminelle. Mais en 1995, un amendement fut adopté afin de mettre un terme définitif aux exportations de déchets dangereux dans les pays ne disposant pas d'installations adéquates. En outre, une série d'accords régionaux ont été signés, parmi lesquels la Convention de Bamako (SEBES 1, SEBES 2)dont le champ d'application s'étend également aux déchets radioactifs. Qu'à cela ne tienne, sur 166 états signataires de la Convention de Bâle, trois pays - l'Afghanistan, Haïti et les Etats-Unis (réticents à l'idée de reprendre sur leur territoire les déchets dangereux produits sur leurs bases militaires du Pacifique) – ne l'ont toujours pas ratifié, ce qui porte inévitablement atteinte à son caractère universel. Les e-déchets, une catastrophe
annoncée
Les déchets de la honte.
Reportage photo au Ghana de Kate:
Quelles pistes pour demain?
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