Publie le 23 avril
Par : Y. Mérabet*
Il est nécessaire, pour
cerner l'intérêt des phosphates sahraouis, récupérés
et intégrés dans la production phosphatière marocaine,
d'étudier les phosphates marocains afin d'approcher la «contribution
forcée» des phosphates sahraouis à ceux du Maroc. Les
phosphates, au Maghreb, restent un enjeu politique pour le Maroc, une colonisation
économique du Sahara Occidental et un après-pétrole
pour l'Algérie. Ce minerai pourrait passer d'un régulateur
de tensions politiques et sociales internes à un véritable
argument de géopolitique.
Les phosphates sahraouis
Découvertes en 1945 par le géologue
espagnol Don Manuel Alia et exploitées à partir de 1972,
les mines de phosphates du Sahara Occidental sont situées à
Bou-Craa, à 100 kilomètres au Sud-est d'El Ayoun. Les réserves
sont estimées à 3 milliards de tonnes. La concentration en
carbonate de phosphore est de 69%, ce qui place ces phosphates au 2ème
rang mondial derrière ceux du Maroc (75%). Le coût d'extraction
en est très faible, les couches de minerai affleurant quasiment
à la surface du sol. Les gisements s'étendent sur 250 km2.
Les mines de phosphates connurent des rythmes d'exploitation divers du
fait de la lutte de libération que connut le Sahara à partir
de la tentative marocaine de s'approprier le territoire sahraoui. Fosbucraa,
la société espagnole, constituée en 1968 pour la mise
en valeur des minerais, retira jusqu'à 2,7 millions de tonnes de
phosphates en 1975. La défense des richesses sahraouies par l'ALPS,
l'Armée de libération populaire sahraouie, fit chuter puis
arrêter les activités d'extraction minière. Malgré
l'achèvement, par le Maroc, de plusieurs murs de défense
du «Sahara utile», le site de Bou-Craa, maintenant sous le
contrôle de l'Office chérifien du phosphate (OCP) qui avait
pris la maîtrise de l'entreprise espagnole Fosbucraa suite aux accords
de Madrid, ne réussit pas à retrouver son niveau d'extraction
de 1975. Néanmoins, les mines fournissent 15% des minerais dits
«phosphates marocains».
Les phosphates marocains
Les phosphates marocains ont toujours été
exploités depuis 1920 par l'Office chérifien des phosphates,
organisme d'Etat, devenu Groupe OCP en 1975. L'office emploie plus de 25.000
personnes, pour un contrat annuel à l'exportation de 1,28 milliard
de dollars en 2000. Pour le moment. L'OCP est le 1er exportateur mondial
de phosphates (10,1 millions de tonnes), dont 1,4 million de tonnes d'acide
phosphorique et 2,2 millions de tonnes d'engrais phosphatés. Les
exportations de l'OCP touchent actuellement les cinq continents et concernent
une quarantaine de pays de par le monde. Depuis des années, le Maroc
se place au 2ème ou 3ème rang de la production mondiale de
phosphates bruts. Le Maroc partage avec le Sahara Occidental 5,7 milliards
de tonnes (3 milliards pour le Sahara Occidental et 2,7 pour le Maroc).
Mais le phosphate marocain reste l'obstacle majeur pour la paix au Maghreb
du fait qu'il est convoité par la France et l'Espagne,
deux pays de l'Union européenne qui s'opposent ouvertement aux décisions
de l'ONU pour l'accès du Sahara Occidental à son indépendance,
pour des raisons historiques et géopolitiques. Les mines, qui appartiennent
réellement au Royaume, sont situées sur trois lieux différents:
à Khouribga (120 kilomètres au sud-est de Casablanca), à
Youssoufia (90 kilomètres au nord de Marrakech) et à Ben-Guérir
(90 kilomètres au nord-ouest de Marrakech). Comme au Sahara Occidental,
le minerai de phosphate est de type sédimentaire, c'est-à-dire
que le phosphate est présent dans des sables ou des calcaires et
mélangé à ceux-ci. Les couches de minerais sont horizontales
et exploitées soit à ciel ouvert, soit par des galeries.
La concentration en P2O5 place ces minerais en 1ère
ou en 2ème position mondiale.
Utilisation politique des phosphates par le Maroc
Bien évidemment, le Maroc a cherché
à utiliser sa position de quasi monopole pour tenter de faire pression
sur les pays demandeurs de phosphates en vue d'infléchir leur politique
dans le conflit du Sahara Occidental. C'est ainsi que, lors de la visite
en Inde du Premier ministre marocain, en février 2000, M. Youssoufi
tenta, en vain, de faire revenir l'Inde sur sa reconnaissance de la RASD.
En 1978, lors des négociations sur un approvisionnement en phosphate
à long terme entre l'URSS et le Maroc, l'accord sur les phosphates
était assorti d'un accord sur la pêche qui précisait
que les bateaux de l'URSS n'opéreront pas dans le domaine maritime
sahraoui, clause que le Maroc ne souhaitait pas voir figurer afin d'y voir
une reconnaissance de l'occupation du Sahara Occidental. Le conflit de
la République Sahraoui et le Royaume marocain est ainsi jalonné
par les pressions de ce dernier, utilisant l'arme des phosphates.
Les phosphates algériens
Le Maroc, qui occupe la première place
maghrébine et la deuxième place mondiale de producteur de
phosphate avec 10 millions de tonnes/an, alors que sa production va chuter
de 15% avec le recouvrement de l'indépendance du Sahara Occidentale,
ne pourra se vanter de produire que 8,5 millions de tonnes et ses réserves
tourneront entre 2,3 et 2,5 milliards de tonnes et perdra sa place de leader
dans le «monopole», et c'est l'Algérie qui n'a de compte
à rendre à personne qui le remplacera. L'Algérie s'est
fixé l'objectif d'occuper la deuxième place en 2015 pour
produire 10 millions de tonnes/an et qui seront portés à
12 ou 15 millions de tonnes en 2020. Seul, le Djebel El Onk recèle
des réserves évaluées à 2 milliards de tonnes,
d'autres carrières qui sont en cours de montage vont faire grimper
la production à son niveau affirmé. L'Algérie investit
sur les produits finis du phosphate pour des raisons de développement
industriel et la création de l'emploi «durable». D'ici
2020, l'entreprise algérienne Somiphos pourra transformer entre
huit et dix millions de tonnes d'acide phosphorique, un produit très
prisé sur le marché international. La quantité d'acide
phosphorique attendue pourra faire rentrer au pays plus de 8 milliards
de dollars par an, considérée comme la deuxième
ressource financière en devise de l'Algérie, après
le pétrole. A cet effet, il a été décidé
de réaliser deux unités de traitement, d'enrichissement et
de transformation de phosphate en acide phosphorique, prévues dans
les wilayas de Souk Ahras et Guelma, avec une transformation globale au
départ de six millions de tonnes d'acide phosphorique. Ces deux
usines pourront générer ensemble plus de 5.000 emplois permanents,
soutient-on. La production de phosphate de Djebel El-Onk passera progressivement
de 2,5 millions de tonnes en 2008 à 3 millions de tonnes/an en 2009,
puis à près de 10 millions de tonnes en 2015, pour atteindre
les 12 millions de tonnes en 2020.
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suite:
Il se pourrait, comme la France le fait au Maroc sur le minerai du
Sahara Occidental, que l'Algérie extraira de l'uranium de son propre
minerai de phosphate, plus de 2.400 tonnes/an. A présent, le brut
de phosphate est acheminé vers les installations de l'entreprise
nationale Asmidal, à Annaba, qui en assure l'exportation vers l'étranger,
notamment les pays d'Amérique latine, de l'Europe et de l'Asie.
Les phosphates tunisiens
La Tunisie est le 3ème producteur mondial
de phosphate avec 8 millions de tonnes par an en moyenne, mais ses réserves
restent limitées à 0,9 milliard de tonnes, par rapport au
Sahara Occidental 3 milliards, le Maroc 2,7 milliards et l'Algérie
2,3 milliards, sans compter des réserves prouvées non exploitées.
Le gisement de Sra-Ourtane, en Tunisie, semble t-il, renferme d'importantes
réserves de phosphate. La Tunisie, une péninsule minière
(par rapport à l'Algérie), a relancé les investissements
dans le secteur des phosphates surtout pour assurer son énergie
future. La Tunisie est en mesure de satisfaire les besoins en combustible
de la centrale nucléaire qu'elle compte installer à
l'horizon de 2020 en comptant sur son phosphate. Un programme de recherche
sur l'extraction de l'uranium dans les gisements de phosphates au
niveau du bassin minier de Gafsa est actuellement à l'étude
au sein du ministère de l'Industrie, de l'Energie et des PME. Ce
programme avait été évoqué pour la première
fois par le ministère en décembre 2007, lors des débats
budgétaires relatifs à l'exercice 2008, avant d'être
mis en veilleuse pour des raisons de rentabilité et mise au point
de nouvelles technologies de séparation.
Les phosphates, une nouvelle source d'énergie
L'uranium est extrait de l'acide phosphorique,
dans le traitement des phosphates par voie humide. Ce processus ne concerne
qu'une partie des phosphates traités dans le monde, ce qui explique
qu'un quart seulement des phosphates produits dans le monde peut donner
lieu à une production d'uranium, la richesse en uranium dans les
phosphates maghrébins (200g/tonne) reste prometteuse pour ce créneaux.
La piste de l'extraction de l'uranium dans les gisements de phosphates
est aujourd'hui d'autant plus envisageable que le leader mondial du nucléaire,
Areva, a été saisi par
la Tunisie pour l'extraction de l'uranium du phosphate et la construction
de la centrale nucléaire ainsi que la formation d'ingénieurs
tunisiens dans ce domaine. Ce groupe français est d'ailleurs l'un
des rares à contrôler l'ensemble de la filière nucléaire
(mines, exploitation de centrales, distribution d'électricité,
traitement des déchets nucléaires). En effet, plusieurs pays,
attirés par ce secteur, entreront en lice pour établir un
partenariat, notamment le Maroc qui est en phase de négociation
avec le gouvernement français pour la construction de trois ou quatre
centrales nucléaires en échange de grandes quantités
de phosphates maroco-sahraoui et de l'uranium extrait de ce dernier. Areva
a signé récemment un protocole d'accord impliquant un programme
similaire de recherche et développement sur l'extraction d'uranium
dans les gisements de phosphates. Dans ce protocole, il est prévu
que le phosphate brut sera traité au Maroc (lavage, raffinage et
enrichissement de l'uranium). L'uranium peut être extrait en tant
que minerai seul ou en tant que sous-produit dans les gisements de certaines
autres matières premières comme l'or, le cuivre et les phosphates.
Il est temps pour tous les pays phosphatiers de profiter de cette nouvelle
forme d'énergie, pour l'Algérie c'est une partie de l'assurance
de son «après-pétrole», d'où une solution
pour l'Algérie, particulièrement pour son «après-pétrole»,
et pour le reste du Maghreb (Sahara Occidental, Tunisie et le Maroc), un
moyen de soulager leurs factures énergétiques. Cela va permettre
à l'Algérie de couvrir sa demande électrique à
raison de 10.000 MW/an sans s'approcher de l'énergie conventionnelle
(pétrole, gaz, houille et mines propres d'uranium). Selon un rapport
publié en 2006 par l'Agence internationale de l'énergie atomique
(AIEA) et l'Organisation de coopération et de développement
économique (OCDE), les réserves des gisements traditionnels
d'uranium suffisent pour 85 ans de consommation au rythme actuel, sans
compter l'uranium contenu dans les phosphates qui porterait les réserves
à 675 ans.
Actuellement, seize pays exploitent l'uranium,
mais 80% de la production se concentre en Russie, Namibie, Kazakhstan,
Australie, Niger et Canada. Depuis 2001, le prix de l'uranium s'est multiplié
par dix, passant de 7 dollars la livre à plus de 75 dollars en 2007(1).
Une centrale nucléaire de la gamme des 1.000 mégawatts (1
million de kilowatts, produisant environ 7 milliards de kWh par an), pour
un coût qui serait aujourd'hui de l'ordre de 1,5 à 2 milliards
d'euros par unité de 1.000 MW. C'est un investissement important
certes, mais qui s'est révélé justifié sur
le plan économique, surtout pour les pays qui possèdent la
matière première. Comme les énergies renouvelables,
le nucléaire se caractérise par un investissement élevé
et des coûts de fonctionnement faibles. Pour un pays importateur
de matière première (uranium) en tenant compte de ce coût
d'investissement, du prix de l'uranium sur le marché, des coûts
d'exploitation et de maintenance, ces pays ne s'en sortiront jamais avec
un prix raisonnable du kWh produit par une centrale nucléaire. Ce
coût reste incomparable à celui d'un kWh produit à
partir du gaz, surtout lorsque celui-ci est à son prix le plus bas,
et bien inférieur à ceux des autres modes de production.
Un pays qui possède les sources abondantes de son énergie
ne pourrait parler de prix compétitifs du kWh d'électricité
produite, c'est de l'énergie presque gratuite. C'est ce qu'on appelle
la richesse d'un pays.
Conclusion
Le sous-sol algérien qui recèle
2,3 milliards de tonnes de phosphate équivalent à 7.666 Gigawatts.
L'Algérie pourrait produire, en 2015, à partir de son phosphate,
pas moins de 334 Gigawatts/an (production actuelle de l'électricité
par centrales à flamme 6 Gigawatts). Sachant qu'un réacteur
d'un Gigawatt (1 milliard de Watt) utilise 640 kg d'uranium U(235)/an ou
30.000 tonnes d'uranium enrichi à 3% U(235) + 97% U(238)), donc
165 tonnes d'uranium naturel par an, avec une concentration typique de
0.2% (minerai d'uranium naturel) on doit extraire de la mine 80.000 tonnes
de minerai pour en produire la même quantité d'énergie
pour 3 millions de tonnes de charbon.
(1) Prix actuel d'uranium: 140 dollars/Kg
* Expert en énergie - Algerian Society For International Relations |