Propre,
renouvelable, constante et bien répandue sur le globe, l'énergie
géothermique s'exploite déjà dans nombre de centrales
thermiques et électriques. Aujourd'hui, la recherche élabore
de nouvelles techniques qui permettront à la géothermie de
s'étendre sur une plus vaste zone géographique. Visite de
la centrale pilote de Soultz-sous-Forêts, en Alsace.
Un des trois puits géothermaux
de la centrale, GPK2, est pourvu d'une pompe à arbre long LSP dont
le moteur est en surface et la pompe 350 m en contrebas. Pour déterminer
quel sera le système le plus résistant aux conditions extrêmes
des forages, une pompe électrosubmersible ESP, où moteur
et pompe se trouvent tous deux dans le puits, sera testée sur GPK4.
© Qwentes/JVR |
A première
vue, Soultz-sous-Forêts n'a rien d'exceptionnel. C'est un petit village
alsacien typique, situé au bord de la frontière franco-allemande,
dont l'ambiance bucolique laisse à peine transparaître l'agitation
qui règne sur une colline adjacente au village. Car depuis deux
décennies, se fomente ici un ambitieux projet de recherche.
Son objectif? La mise
sur pied de la toute première station électrique de géothermie
Enhanced Geothermal System – EGS (Système Géothermique Stimulé).
Un concept révolutionnaire imaginé aux États-Unis
dans les années '70, qui permet d'extraire la chaleur terrestre
là où, auparavant, il était impossible de le faire.
Ingénieurs, géologues,
géophysiciens, sismologues, caristes, grutiers, électromécaniciens…
Même si le noyau dur du projet «Soultz» ne comporte que
15 membres permanents, une panoplie de profils d'horizons divers se relaye
constamment sur le site. Une activité bien fournie qui s'est exacerbée
depuis janvier 2008, date où a commencé l'installation des
équipements de surface nécessaires pour transformer la chaleur
de la terre en énergie électrique. Nous sommes à la
fin du mois de mai. Le projet célèbre l'aboutissement de
20 ans de recherches effrénées. Enfin, cette centrale géothermique
d'un genre nouveau, fruit d'une collaboration européenne financée
sur fonds publics et privés, produit ses tout premiers kilowatts.
Une grande première au niveau mondial.
Exploiter un milieu mal connu
En soi, le concept de
la géothermie, l'extraction de la chaleur souterraine principalement
issue de la désintégration des éléments radioactifs
des roches de l'enveloppe terrestre, n'est pas nouveau. Son développement
s'est accéléré avec la crise pétrolière
des années '70.
Nombre de centrales
géothermiques à travers le monde génèrent déjà
de l'électricité ou alimentent des réseaux de chauffage,
mais un élément fondamental les distinguent de celle de Soultz:
l'eau souterraine. Car les techniques(1) existantes se limitent à
pomper l'eau chaude d'un aquifère pour l'injecter dans un réseau
de chauffage ou actionner des turbines générant de l'électricité.
Toute l'originalité
du concept étudié à Soultz se trouve précisément
dans le fait qu'il permet de se passer de ressources hydrogéologiques
locales. L'eau est en effet injectée depuis la surface au sein de
fractures naturelles qui sillonnent des roches cristallines situées
à une profondeur assez grande que pour en extraire une quantité
de chaleur utile. Dans le cas du fossé rhénan, zone géologique
où s'érige le site pilote de Soultz, la roche étudiée
depuis vingt ans par les chercheurs est le granite.
Albert Genter, du Bureau
de Recherches Géologiques et Minières – BRGM (FR), est géologue
structuraliste. Il n'est coordinateur scientifique du projet Soultz que
depuis septembre 2007, mais connaît le site depuis longtemps: sa
thèse de doctorat portait sur le granite de Soultz. «Les
expériences de terrain ont commencé en 1987, avec le forage
du puits GPK1 qui nous a permis d'effectuer les premiers carottages et
de déterminer, à l'aide de diverses techniques d'imagerie
acoustique, les caractéristiques des fractures de la roche»,
explique-til en pointant un vieux forage situé juste devant les
bureaux du Groupement Européen d'Intérêt Économique
(GEIE) «Exploitation minière de la chaleur», l'organisme
en charge du projet. «Nous avons ainsi obtenu une image plus précise
du sous-sol. Les anciennes données recueillies lors de campagnes
d'extraction pétrolières ne nous renseignaient que très
peu sur les roches cristallines sous-jacentes aux couches sédimentaires
car, peu exploitables, elles ont rarement retenu l'attention des géologues.
En revanche, ces
données nous ont renseignés sur le gradient géothermal
atypique de la région: l'accroissement de température en
fonction de la profondeur est ici beaucoup plus important qu'ailleurs.»
«Les chercheurs
américains qui ont initialement imaginé le concept EGS l'avaient
nommé Hot Dry Rock Geothermy (Géothermie des roches chaudes
sèches). Mais les expériences de Soultz ont démontré
qu'en fait le granite du site n'est pas sec. Nous y avons trouvé
de l'eau naturelle, en petite quantité, mais suffisamment pour pouvoir
être exploitée dans le cadre de la centrale géothermique.
Cet aquifère salin a donc servi de réservoir pour pomper
l'eau destinée à être réinjectée dans
le système de fractures.»
Mais si la centrale
tire profit d'un aquifère, l'originalité du projet est-elle
mise en péril?
«Pas du tout»,
rassure Genter. «Nous sommes tout simplement opportunistes. L'eau
est pompée sur le site mais elle est injectée dans un système
de fractures qui n'en contient presque pas à l'origine.»
Ouvrir la roche
Les recherches exploratoires
ont permis de mettre en évidence l'existence d'un réseau
de fractures assez développé que pour pouvoir servir de système
de circulation géothermique, mais l'eau ne pouvait y être
injectée directement, les fractures du granite étant obstruées
par des dépôts naturels, de la calcite et d'autres dépôts
siliceux, argileux et ferreux.
Avant d'entamer les
tests de circulation pour éprouver les qualités du système,
il a donc fallu façonner le milieu pour le rendre exploitable. «Pour
élargir les fractures et améliorer la connexion du réseau
naturel avec les forages, nous avons utilisé deux techniques. La
méthode classique ou stimulation hydraulique, consiste à
injecter des milliers de mètres cube d'eau à des débits
assez élevés pour réouvrir les fractures de la roche.
Le hic, c'est que cette technique provoque
des minisecousses sismiques. Même si
la plupart d'entre elles étaient extrêmement faibles, certaines
ont atteint une magnitude assez grande pour pouvoir être ressentie
(environ 2 sur l'échelle de Richter)»
(2). La stimulation hydraulique est une opération très délicate.
En 2006, à Bâle, où des chercheurs travaillent sur
un projet similaire, elle s'est soldée par un tremblement de terre
de 3,4. |
«Du point de
vue scientifique, ces phénomènes de micro-sismicité
sont un signe positif, car ils démontrent l'efficacité de
la stimulation. Mais des problèmes concrets ont surgi: de nombreuses
habitations bordent le site et il faut évidemment en tenir compte.
Ensuite, la stimulation hydraulique n'a pas mené aux résultats
escomptés, la connectivité des puits restait encore trop
faible. Nous avons donc décidé de les stimuler chimiquement.
Des acides faibles ont été dilués dans de l'eau puis
injectés dans le sous-sol, en vue de dissoudre les dépôts
hydrothermaux qui subsistaient.»
Bingo
Dès 2006, les
tests de circulation ont démontré que la combinaison des
stimulations chimiques et hydrauliques a permis d'améliorer de manière
satisfaisante les performances hydrauliques du système. Le projet
Soultz est donc passé à la vitesse supérieure: la
construction de la centrale électrique.
Entre surface et profondeur
A environ 1 km des bureaux
du GEIE, sur une petite colline, se trouve le noyau dur de Soultz, le lieu
où s'érige désormais la centrale électrique
proprement dite. Un labyrinthe inextricable de tuyaux bordé par
de grandes structures: deux cheminées rouges, les séparateurs
et une énorme plate-forme verte, le refroidisseur. «Les séparateurs
sont destinés à dissocier l'eau liquide et la vapeur. Le
puits ayant été au repos plusieurs mois, l'eau géothermale
pompée contient encore de nombreuses particules de roche, et ne
peut donc être réinjectée telle quelle dans le forage
d'injection.
Ces impuretés
risqueraient de boucher les filtres et d'abimer le matériel de la
centrale.»
«Le refroidisseur
est utilisé pour liquéfier l'isobutane, le fluide caloriporteur
qui récupère la chaleur des eaux géothermales au sein
des échangeurs de chaleur, et qui permet de faire tourner la turbine
de la centrale. Vu qu'aucune source d'eau assez froide n'est accessible
aux abords du site, nous avons opté pour un système de refroidissement
par air pourvu de neuf ventilateurs.»
En aval du refroidisseur,
la turbine, élément clé de la centrale, est précieusement
isolée au sein d'un coffret spécifique. Couplée à
la génératrice, c'est elle qui produit l'électricité
avant de l'envoyer dans le réseau national. L'échangeur de
chaleur se trouve juste à côté, entrelacement de cylindres
et de tubes, où circulent les eaux géothermales et l'isobutane.
Au centre de ces équipements
de surface, se dresse le coeur de la station, le triplet géothermique,
trois puits de forage qui s'enfoncent à quelque 5000 m sous terre.
Ce sont les plus anciennes structures du site, celles autour desquelles
se sont concentrées toutes les attentions des chercheurs avant que
le matériel de surface de la centrale ne vienne s'y greffer.
GPK3 est le puits d'injection,
celui via lequel on incorpore l'eau dans le sous-sol. Cette dernière
est ensuite récupérée par les puits de production,
GPK2 et GPK4, qui transportent l'eau géothermale au sein des installations
superficielles. À la surface, les têtes de puits ne sont distantes
que de 6 m l'une de l'autre, mais en profondeur, environ 650 m séparent
les trois forages.
«Cela permet
à l'eau de circuler dans les fractures assez longtemps pour se réchauffer.
À l'origine,
nous visions une profondeur permettant d'atteindre 200°C, le point
d'ébullition des fluides caloriporteurs utilisés alors. Mais
avec la déperdition lors de sa remontée, l'eau récupérée
n'excédait pas les 170-180°C.
Heureusement, il
existe aujourd'hui des fluides organiques comme l'isobutane, qualifiés
de binaires, dont le point d'ébullition est plus bas. Le forage
des trois puits nous a également permis de découvrir que
le gradient géothermal n'était pas constant. Plus on creusait,
moins l'augmentation de la température était importante.
Aujourd'hui, nous savons que la profondeur optimale se situe entre 3.000
et 3.500 mètres.»
Les enjeux futurs
Outre les trois puits
exploités pour récupérer la chaleur souterraine, deux
autres forages ont été réalisés à Soultz:
GPK1, à 3.600 m, pour les recherches exploratoires, et surtout ESP1,
à 2.200 m, destiné à superviser la bonne marche des
opérations de la centrale. Il est pourvu d'une myriade de capteurs
thermiques et hydrauliques. «A l'origine, il devait être
beaucoup plus profond. Mais il a dévié horizontalement lors
de sa création, et nous avons cessé les travaux. Une déception
du point de vue géothermique, mais une aubaine du point de vue géologique.
Ce forage permet d'extraire des carottes entières de granite et
d'obtenir un aperçu beaucoup plus précis de la structure
et de la nature de la roche. Les échantillons recueillis dans les
autres puits, eux, nous proviennent sous forme de débris à
partir desquels nous ne pouvons qu'inférer la composition d'origine
de la roche.» ESP1 n'est pas le seul outil de monitoring de Soultz.
En effet, dès le début des années '90, un réseau
de puits d'observation sismique a été mis en place tout autour
du site. Tout comme ESP1, ces forages de 1.500 m sont en fait d'anciens
puits pétroliers, récupérés dans le cadre des
recherches. «Les données de ces stations sismiques sont
complétées par celles recueillies par le Réseau National
de Surveillance Sismique – RéNaSS basé à Strasbourg.»
Un réseau de
fractures effectif, le montage de la centrale achevé et les premiers
kilowatts d'électricité produits en juin 2008… le projet
Soultz a désormais atteint son objectif principal.
Les défis futurs
n'en restent pas moins immenses. «Même si nous avons déjà
effectué nombre de tests d'injection et de production, ces derniers
ne se sont jamais prolongés au-delà de quelques mois»,
explique Marion Schindler, géophysicienne du Bundesanstalt für
Geowissenschaften und Rohstoffe – BGR (GE) chargée du recueil et
de la centralisation des données hydrauliques et thermiques du site.
«Dans les prochaines
années, nous prévoyons de récolter de nombreuses données
sismiques, de température, de pression ou de qualité des
eaux géothermiques. Le tout en vue de déterminer le comportement
des fractures sur le long terme», déclare-t-elle, enthousiaste.
«Des informations essentielles pour les centrales du même genre
qui se développent d'ores et déjà à travers
le monde, mais aussi pour celles qui s'érigeront à l'avenir.»
Julie Van Rossom
Nous nous référons ici aux systèmes
géothermiques de basse et haute énergie.
Les citations non attribuées sont d'Albert
Genter.
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