L'Amérique
a-t-elle d'ores et déjà les moyens technologiques de se passer
du pétrole? Oui, répondent
sans détour trois scientifiques très respectés dans
l'énergie solaire aux Etats-Unis. Et ils veulent le prouver. Dans
un long article paru en début d'année dans Scientific
American, ils détaillent les contours d'un ambitieux projet
baptisé «Solar Grand Plan». Celui-ci consiste tout bonnement
à couvrir de panneaux solaires plusieurs dizaines de kilomètres
carrés de terres désertiques - et très ensoleillées
- qui abondent dans les Etats du sud-ouest des Etats-Unis. Les auteurs
assurent que, loin d'être une utopie, ce «grand plan»
est réaliste technologiquement et supportable financièrement.
Techniquement, les fermes
solaires sont déjà une réalité, partout dans
le monde. Mais pour qu'elles deviennent la base de la production électrique,
un progrès reste à faire : baisser le coût de production.
Pour avoir une chance d'être adoptée, l'électricité
d'origine solaire ne doit pas en effet coûter plus cher au consommateur
que celle produite par les filières actuelles (centrales nucléaires,
thermiques, etc.). Or, ce n'est pas le cas. Alors que le coût de
revient moyen actuellement aux Etats-Unis est d'environ 6 cents par kilowattheure
(kWh), celui de la technologie solaire est plus proche de 14 cents. Pour
s'aligner sur ce coût, il est nécessaire d'améliorer
la performance des panneaux solaires. Aujourd'hui, ceux-ci convertissent
en énergie environ 10% du rayonnement reçu. Il faudrait qu'ils
atteignent un rendement de 14%, soit, calculent nos auteurs, une amélioration
des performances de seulement 10% par an pendant une décennie.
Produire aussi la nuit
Ce premier obstacle
technologique levé en théorie, il en reste un autre à
surmonter. Si l'énergie solaire est gratuite et abondante (40
minutes d'ensoleillement sur la Terre correspondent à l'ensemble
de l'énergie consommée annuellement par la planète),
elle n'est pas permanente. En cas de mauvais temps - rare dans le Sud-Ouest
américain -, mais surtout la nuit. Il faut donc produire plus d'électricité
que nécessaire le jour et la stocker afin d'en disposer pour la
consommation nocturne. D'emblée, le grand plan rejette la solution
des piles - trop chère et inefficace - au bénéfice
du stockage sous forme de... gaz comprimé. Le principe consiste
à utiliser l'énergie solaire transformée en électricité
pour comprimer du gaz qui sera conservé dans des abris naturels
(mines abandonnées, gisements de gaz ou de pétrole épuisés),
abondants dans le pays. Ce gaz est ensuite disponible à la demande,
utilisé par des turbines qui génèrent de l'électricité
à proximité des centres urbains, où cette demande
est concentrée.
Les auteurs assurent
que la technologie de ce stockage est maîtrisée et que son
coût n'est que de 3 à 4 cents du kilowattheure, qui s'ajoute
bien sûr à celui de la production proprement dite. L'amélioration
régulière des performances des cellules photovoltaïques
devrait rendre le coût de ce système de production-stockage
solaire identique à celui du système actuel aux alentours
de 2020.
Le plan prévoit
de couvrir progressivement jusqu'à 80.000 km2 de fermes
solaires, soit moins d'un quart des surfaces disponibles répondant
aux critères de base (fort ensoleillement, terrains inhabités
et appartenant à l'Etat). La production d'électricité
générée par ces millions de panneaux serait envoyée
via un réseau de distribution - à construire également
- acheminant le courant vers des milliers de sites répartis sur
tout le territoire des Etats-Unis. Ce sont ces sites qui distribueraient
effectivement le courant au consommateur. La plupart abriteraient également
les réserves de gaz comprimé et les turbines chargées
de produire l'électricité pour les heures creuses. |
S'il était lancé
dès maintenant, ce plan monterait en puissance jusqu'en 2050. A
cette date, il produirait 3.000 gigawatts, ce qui représenterait
70% du besoin total en électricité des Etats-Unis. Les scientifiques
précisent que si, d'ici là, on parvenait à rentabiliser
les autres formes d'énergie renouvelable (biomasse, géothermie,
etc.), on parviendrait à 100% des besoins électriques couverts
avant la fin du siècle. Son coût serait de 420 milliards
de dollars (inférieur au coût global de la guerre en Irak)
sur quarante ans. Pour le financer, les auteurs imaginent un double mécanisme
d'incitations fiscales - afin de stimuler les recherches et la production
en série des technologies nécessaires - et de subventions
aux industries concernées.
C'est là, peut-être,
que réside la plus forte utopie du programme. Sa réalisation
implique une volonté politique sans faille pour pouvoir imposer
ces nouvelles taxes aux contribuables sur le long terme. La véritable
difficulté sera donc de trouver des dirigeants politiques qui expliqueront
que le coût de ce programme, malgré son ampleur, est inférieur
à celui qui finance annuellement les subventions agricoles américaines
depuis trente ans, ou même à celui du gouvernement américain
en faveur des infrastructures de télécommunications, en place
depuis deux décennies.
Et pour les transports
Au total, c'est bien
la population américaine elle-même qu'il faudra convaincre
que ces technologies sont viables et industrialisables. Mais, surtout,
il faudra que l'opinion se rallie à l'idée de dépendre
désormais des énergies renouvelables, y compris dans les
moyens de transport routiers, individuels et collectifs, qui devront progressivement
fonctionner aussi à l'électricité.
C'est donc bien le ralliement
d'une société tout entière à la cause du développement
durable qui constitue un préalable à la réussite d'un
tel plan. De ce point de vue, l'espoir est permis. Et il viendra peut-être
de Californie. Depuis peu, le «Golden State», dans son ensemble,
a pris fait et cause pour les énergies renouvelables. D'abord, à
travers le financement de l'innovation technologique. Ensuite, à
travers le tissu économique qui se convertit à des modèles
de production compatibles avec le développement durable. Au niveau
politique, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, a construit
depuis longtemps son action sur ces thèmes. Localement, la Silicon
Valley s'apprête à être la première région
administrative aux Etats-Unis à instaurer une taxe sur le droit
à polluer. Une initiative qui pourrait rapidement faire tache d'huile
ensuite partout aux Etats-Unis. Si la Californie - et son opinion publique
- se rallie sincèrement à cette nouvelle vision et parvient
à « l'exporter » dans le reste des Etats-Unis, sous
forme de nouveau modèle de société, comme elle s'y
emploie déjà, tout est possible. Un soutien du prochain locataire
de la Maison-Blanche à cette vision serait également le bienvenu.
Les promoteurs du plan
- Ken Zweibel est un spécialiste
des panneaux solaires au ministère américain de l'Energie
(DOE). Il vient d'être nommé président d'une start-up
du Colorado, PrimeStar Solar, qui conçoit des films minces pour
panneaux solaires.
- James Mason, docteur de l'université
Cornell, est directeur de la Solar Energy Campaign, une organisation à
but non lucratif qui fait la promotion de l'utilisation d'énergies
renouvelables dans l'Etat de New York.
- Vasilis Fthenakis est le directeur du
Photovoltaic Environmental, Health and Safety Assistance Center au Brookhaven
National Laboratory, qui dépend du DoE. La mission de ce centre
est de mener des recherches scientifiques pour mesurer l'impact environnemental
lié au développement de l'énergie solaire. |