Malgré
ses 120 mètres de haut, l'éolienne ne fait pas la fière
dans le box des accusés. Depuis plusieurs mois, elle est suspectée,
en vrac, de se reproduire en dépit du bon sens en défigurant
nos paysages, d'être à la solde de lobbys, de ne jamais tourner,
de faire trop de bruit, et de ne pas servir à grand-chose. Côté
accusation, des associations de riverains ou de défense des paysages,
des élus, surtout de droite. Avec, comme figure de proue, l'ancien
président Valéry Giscard d'Estaing. En défense, la
filière industrielle, où l'on retrouve la plupart des géants
de l'énergie mais aussi nombre de PME, l'Etat, via l'Ademe (Agence
de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et la plupart
des associations écolos. Compte rendu d'un procès passionnel
où s'affrontent deux camps s'accusant mutuellement de mensonges
et de manipulations.
Ça se reproduit comme des lapins
L'accusation. «Dire que la France
est en retard, ça m'agace souverainement, tempête Jean-Louis
Butré, président de la Fédération environnement
durable, en pointe dans le combat «antiéolien industriel».
Ça
pousse de partout.» C'est un fait, la production d'énergie
éolienne explose: + 80% entre 2006 et 2007, une multiplication par
dix en cinq ans.
La défense. Ça flambe, certes,
mais comme on part de trois fois rien, la part dans la production d'électricité
reste marginale. Selon le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité
(RTE), 4 terawattheures ont été produits l'an dernier par
environ 2.000 éoliennes. Soit moins de 1% de la production totale,
très majoritairement nucléaire. Mais la tendance à
l'expansion est là, poussée par les objectifs européens
(23% d'énergies renouvelables en France en 2020) et le Grenelle
de l'environnement. «Au sein de cet objectif, le Grenelle prévoit
que l'éolien doit représenter environ 5% de la consommation
totale d'énergie, soit 10% de la consommation électrique,
détaille André Antolini, président du Syndicat des
énergies renouvelables (SER), qui représente les industriels
de la filière. Notre chance, c'est qu'en démarrant plus
tard que nos voisins allemands ou espagnols, on installe des machines beaucoup
plus performantes.» Objectif annoncé, au moins 10.000
éoliennes dans douze ans. «On n'est pas en dehors des clous,
mais il faut un peu accélérer le rythme actuel si on veut
tenir ces objectifs», ajoute Jean-Louis Bal, directeur des énergies
renouvelables à l'Ademe.
Ça prolifère dans l'ombre
L'accusation. Le développement
de l'éolien se ferait dans la plus grande opacité, sous la
pression du lobby du SER, qui fait miroiter des fortunes aux communes.
«L'éolien industriel, c'est une énorme affaire financière,
dénonce Jean-Louis Butré. Les promoteurs ont une puissance
incroyable. C'est de l'écologie business.» Ce qui a amené
le sénateur UMP Philippe Marini à déposer une proposition
de loi qui imposerait un référendum local avant tout projet
d'éoliennes de grande hauteur. Une proposition signée par
70 de ses collègues UMP (dont Hubert Falco, devenu depuis... secrétaire
d'Etat à l'Aménagement du territoire auprès du ministre
de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo). «Les termes de l'échange
sont déséquilibrés, justifie le sénateur
de l'Oise qui se défend d'être contre les éoliennes.
Il
faut protéger les maires ruraux contre une sorte d'appat fiscal
qui peut conduire à sacrifier le long terme.»
La défense. «La France
a un des systèmes les plus encadrés qui soient, répond
Jean-Louis Bal, de l'Ademe. Pour un projet éolien, il y a 27
administrations à consulter! Une enquête publique, ça
ne passe pas inaperçu dans un petit village. On ne peut pas faire
les choses de façon cachée ou obscure.» André
Antolini défend son Syndicat des énergies renouvelables:
«J'ai 150 adhérents qui font de l'éolien, ils ne
s'appellent pas tous EDF ou Suez, il y a de toutes petites entreprises.
Et un budget total de 1,4 million €, ce n'est pas un lobby monstrueux.»
Et de poursuivre: «Des collectivités locales ont des difficultés
financières, ce n'est quand même pas criminel de leur apporter
des ressources, ça permet souvent de développer des équipements
publics. Quant à la proposition Marini, pourquoi pas des
référendums pour construire une école ou un gymnase?»
rétorque André Antolini.
Ça coûte très cher pour
pas grand-chose
L'accusation. «L'éolien,
ça n'arrête pas de s'arrêter, ironise Jean-Louis
Butré. Il y a un problème viscéral de rentabilité.
Si ce n'était pas subventionné, il n'y en aurait pas.»
C'est un fait, si le vent à l'avantage d'être gratuit et disponible,
il ne souffle pas tout le temps. Les opposants critiquent aussi la subvention
à l'éolien, financée par le consommateur, qui la paye
sur sa facture d'électricité, à travers la CSPE (Contribution
au service public de l'énergie). L'électricité produite
est en effet achetée sur quinze ans par EDF à un tarif d'achat
fixe très au-dessus du prix du marché. Un mécanisme
incitatif pour développer la filière qui agace le sénateur
Marini: «L'installation d'éolienne est devenue un des meilleurs
investissements financiers du moment.» Et d'appeler à
un réexamen des tarifs d'achat. |
La défense. «On a en France
trois bassins de vent. Il y en a toujours un qui souffle, argumente
Jean-Louis Bal. En plus, c'est aux périodes ou on consomme le
plus d'électricité qu'il y a le plus de vent.»
En moyenne annuelle, une éolienne tourne à plein régime
25% du temps. «C'est ce qui fait que la rentabilité d'un
parc éolien est facile à calculer», souligne Nicolas
Paul-Dauphin, responsable du développement d'Eolfi, une société
qui finance et développe des parcs, filiale à 50% de Veolia.
A propos de la CSPE, l'Ademe a calculé que le coût moyen pour
un ménage se monte à 60 centimes € par an. Par ailleurs,
aucune énergie, et surtout pas le nucléaire, ne s'est développée
sans soutien financier de l'Etat.
Ça n'est pas si bon pour l'environnement
L'accusation. «On dit que c'est
écologique, qu'on va sauver la planète, c'est un argument
marketing relayé par l'Ademe, un mensonge national», dénonce
Jean-Louis Butré. A l'appui, une étude de sa fédération,
reprise par Le Monde, «Plus d'éoliennes, pas moins
de CO2», et basée sur l'analyse de la production
des pays en pointe, Allemagne et Espagne. Autre argument récurrent,
l'éolien étant intermittent, il doit être compensé
en cas de panne de vent par des vieilles centrales d'appoint bien polluantes.
La défense. Ces deux assertions
ont poussé l'Ademe à sortir la calculette, en appelant le
RTE à la rescousse. «Il n'y a pas besoin de mettre en place
de nouveaux moyens de production pour assurer la complémentarité
de l'éolien, résume Jean-Louis Bal. Et l'éolien
se substitue pour 75% aux centrales thermiques fossiles.» Bref,
«en 2008, il y aura environ 1,65 million de tonnes de CO2
évitées grâce à l'éolien. C'est certes
peu par rapport aux 500 millions produites, mais ce n'est pas négligeable».
Concernant les autres impacts sur l'environnement, notamment le bruit,
les nouvelles machines ont fait de gros progrès. En témoin
de la défense, nous avons été obligés de constater
qu'au pied d'une éolienne picarde, et dans l'axe de cinq autres
face au vent, il fallait qu'aucune voiture ne passe sur l'autoroute voisine
pour percevoir le chuintement des pâles... Plus scientifiquement,
l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement
et du travail a publié en mars une étude soulignant l'impact
minime des nuisances sonores, glissant perfidement qu'«à
l'extérieur, les émissions sonores peuvent être à
l'origine d'une gêne, mais on remarque que la perception d'un inconfort
est souvent liée à une perception négative des éoliennes
dans le paysage».
Ça va défigurer la France
L'accusation. Le paysage, voilà
le débat passionnel, le plus subjectif, le plus sentimental. Et
là, c'est Valéry Giscard d'Estaing qui est monté au
créneau dans le Point, en avril, en réclamant un moratoire,
pour éviter «que le puissant lobby germano-danois des éoliennes
s'attaque à la campagne française depuis la haute Auvergne
jusqu'à Chartres». Jean-Louis Butré n'hésite
pas à parler de «massacre de paysages», évoquant
le spectre de «châteaux avec des éoliennes derrière».
Nicolas Sarkozy lui-même, dans son discours de clôture du Grenelle,
avait fait part de ses réticences esthétiques. Ce n'est d'ailleurs
pas innocent si les associations les plus mobilisées contre les
éoliennes sont celles de défense des paysages ou du patrimoine.
La défense. «Depuis qu'on
a lancé le développement à grande échelle,
l'éolien est critiqué par une minorité très
influente, tente de tempérer Jean-Louis Bal. Mais tous les
sondages qu'on a fait montrent que la perception est très positive,
y compris, et même davantage auprès des riverains, qui voient
que ce n'est pas forcément moche, que ça ne fait pas de bruit,
que ce ne sont pas des hachoirs à oiseaux.» Nicolas Paul-Dauphin,
d'Eolfi, renchérit: «C'est assez bien reçu dans
les campagnes. L'idéal, ce sont les zones de grandes cultures. Les
habitants voient plutôt ça d'un bon œil, ce sont souvent ceux
qui ont des résidences secondaires qui sont contre.» Et
raconte que, dans la Somme, il a fallu déplacer une éolienne
de quelques mètres car on en voyait le sommet depuis le haut de
la cathédrale d'Amiens... à 30 kilomètres. André
Antolini conclut: «Dix mille machines ce n'est pas monstrueux
du point de vue de l'occupation du territoire. On ne va pas couvrir la
France d'éoliennes.» Quant à Jean-Louis Borloo,
il voit surtout dans ce débat l'illustration du syndrome Nimby
(not in my backyard, pas dans mon arrière-cour), le même
qu'on voit resurgir sur le développement du TGV.
Alors, le verdict?
La bataille des éoliennes
rejoue-t-elle la guerre des anciens contre les modernes? «Quand
on s'oppose, on est un vieux con», déplore Jean-Louis
Butré. «C'est peut-être un clivage générationnel»,
avance André Antolini. Au risque d'adopter une posture un peu «oui
mais», on voit mal comment la France pourrait atteindre ses objectifs
de renouvelables sans recourir (entre autres, et pas en premier) aux éoliennes.
Et on cherche encore en quoi ces grands mâts plantés le long
d'une autoroute ou en bordure d'un champ peuvent porter atteinte au paysage,
même si le débat sur l'élégance de la machine
est toujours susceptible de mettre le feu à un dîner (c'est
vrai, il n'est pas nécessaire d'en parsemer sur des sites remarquables).
D'autant qu'une éolienne, ça se démonte quasiment
avec un tournevis quand on n'en a plus besoin, ce qui permet de changer
d'avis. Cela dit, elles ne sont pas plantées sur notre balcon, et
on ne sauvera pas le climat en se contentant d'en planter partout. Le jugement
a été mis en délibéré en 2020. |