CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
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Energies renouvelables
(et curiosités énergétiques)
L'éolien en procès
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ADIT, juin 2008

    Pollution visuelle, bruit, coûts… Accusées de toutes parts, les éoliennes se défendent et gagnent du terrain en France
     Malgré ses 120 mètres de haut, l'éolienne ne fait pas la fière dans le box des accusés. Depuis plusieurs mois, elle est suspectée, en vrac, de se reproduire en dépit du bon sens en défigurant nos paysages, d'être à la solde de lobbys, de ne jamais tourner, de faire trop de bruit, et de ne pas servir à grand-chose. Côté accusation, des associations de riverains ou de défense des paysages, des élus, surtout de droite. Avec, comme figure de proue, l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing. En défense, la filière industrielle, où l'on retrouve la plupart des géants de l'énergie mais aussi nombre de PME, l'Etat, via l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) et la plupart des associations écolos. Compte rendu d'un procès passionnel où s'affrontent deux camps s'accusant mutuellement de mensonges et de manipulations.

Ça se reproduit comme des lapins
L'accusation. «Dire que la France est en retard, ça m'agace souverainement, tempête Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable, en pointe dans le combat «antiéolien industriel». Ça pousse de partout.» C'est un fait, la production d'énergie éolienne explose: + 80% entre 2006 et 2007, une multiplication par dix en cinq ans.
La défense. Ça flambe, certes, mais comme on part de trois fois rien, la part dans la production d'électricité reste marginale. Selon le gestionnaire du Réseau de transport d'électricité (RTE), 4 terawattheures ont été produits l'an dernier par environ 2.000 éoliennes. Soit moins de 1% de la production totale, très majoritairement nucléaire. Mais la tendance à l'expansion est là, poussée par les objectifs européens (23% d'énergies renouvelables en France en 2020) et le Grenelle de l'environnement. «Au sein de cet objectif, le Grenelle prévoit que l'éolien doit représenter environ 5% de la consommation totale d'énergie, soit 10% de la consommation électrique, détaille André Antolini, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), qui représente les industriels de la filière. Notre chance, c'est qu'en démarrant plus tard que nos voisins allemands ou espagnols, on installe des machines beaucoup plus performantes.» Objectif annoncé, au moins 10.000 éoliennes dans douze ans. «On n'est pas en dehors des clous, mais il faut un peu accélérer le rythme actuel si on veut tenir ces objectifs», ajoute Jean-Louis Bal, directeur des énergies renouvelables à l'Ademe.

Ça prolifère dans l'ombre
L'accusation. Le développement de l'éolien se ferait dans la plus grande opacité, sous la pression du lobby du SER, qui fait miroiter des fortunes aux communes. «L'éolien industriel, c'est une énorme affaire financière, dénonce Jean-Louis Butré. Les promoteurs ont une puissance incroyable. C'est de l'écologie business.» Ce qui a amené le sénateur UMP Philippe Marini à déposer une proposition de loi qui imposerait un référendum local avant tout projet d'éoliennes de grande hauteur. Une proposition signée par 70 de ses collègues UMP (dont Hubert Falco, devenu depuis... secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire auprès du ministre de l'Ecologie, Jean-Louis Borloo). «Les termes de l'échange sont déséquilibrés, justifie le sénateur de l'Oise qui se défend d'être contre les éoliennes. Il faut protéger les maires ruraux contre une sorte d'appat fiscal qui peut conduire à sacrifier le long terme
La défense. «La France a un des systèmes les plus encadrés qui soient, répond Jean-Louis Bal, de l'Ademe. Pour un projet éolien, il y a 27 administrations à consulter! Une enquête publique, ça ne passe pas inaperçu dans un petit village. On ne peut pas faire les choses de façon cachée ou obscure.» André Antolini défend son Syndicat des énergies renouvelables: «J'ai 150 adhérents qui font de l'éolien, ils ne s'appellent pas tous EDF ou Suez, il y a de toutes petites entreprises. Et un budget total de 1,4 million €, ce n'est pas un lobby monstrueux.» Et de poursuivre: «Des collectivités locales ont des difficultés financières, ce n'est quand même pas criminel de leur apporter des ressources, ça permet souvent de développer des équipements publics. Quant à la proposition Marini, pourquoi pas des référendums pour construire une école ou un gymnase?» rétorque André Antolini.

Ça coûte très cher pour pas grand-chose
L'accusation. «L'éolien, ça n'arrête pas de s'arrêter, ironise Jean-Louis Butré. Il y a un problème viscéral de rentabilité. Si ce n'était pas subventionné, il n'y en aurait pas.» C'est un fait, si le vent à l'avantage d'être gratuit et disponible, il ne souffle pas tout le temps. Les opposants critiquent aussi la subvention à l'éolien, financée par le consommateur, qui la paye sur sa facture d'électricité, à travers la CSPE (Contribution au service public de l'énergie). L'électricité produite est en effet achetée sur quinze ans par EDF à un tarif d'achat fixe très au-dessus du prix du marché. Un mécanisme incitatif pour développer la filière qui agace le sénateur Marini: «L'installation d'éolienne est devenue un des meilleurs investissements financiers du moment.» Et d'appeler à un réexamen des tarifs d'achat.

La défense. «On a en France trois bassins de vent. Il y en a toujours un qui souffle, argumente Jean-Louis Bal. En plus, c'est aux périodes ou on consomme le plus d'électricité qu'il y a le plus de vent.» En moyenne annuelle, une éolienne tourne à plein régime 25% du temps. «C'est ce qui fait que la rentabilité d'un parc éolien est facile à calculer», souligne Nicolas Paul-Dauphin, responsable du développement d'Eolfi, une société qui finance et développe des parcs, filiale à 50% de Veolia. A propos de la CSPE, l'Ademe a calculé que le coût moyen pour un ménage se monte à 60 centimes € par an. Par ailleurs, aucune énergie, et surtout pas le nucléaire, ne s'est développée sans soutien financier de l'Etat.

Ça n'est pas si bon pour l'environnement
L'accusation. «On dit que c'est écologique, qu'on va sauver la planète, c'est un argument marketing relayé par l'Ademe, un mensonge national», dénonce Jean-Louis Butré. A l'appui, une étude de sa fédération, reprise par Le Monde, «Plus d'éoliennes, pas moins de CO2», et basée sur l'analyse de la production des pays en pointe, Allemagne et Espagne. Autre argument récurrent, l'éolien étant intermittent, il doit être compensé en cas de panne de vent par des vieilles centrales d'appoint bien polluantes.
La défense. Ces deux assertions ont poussé l'Ademe à sortir la calculette, en appelant le RTE à la rescousse. «Il n'y a pas besoin de mettre en place de nouveaux moyens de production pour assurer la complémentarité de l'éolien, résume Jean-Louis Bal. Et l'éolien se substitue pour 75% aux centrales thermiques fossiles.» Bref, «en 2008, il y aura environ 1,65 million de tonnes de CO2 évitées grâce à l'éolien. C'est certes peu par rapport aux 500 millions produites, mais ce n'est pas négligeable». Concernant les autres impacts sur l'environnement, notamment le bruit, les nouvelles machines ont fait de gros progrès. En témoin de la défense, nous avons été obligés de constater qu'au pied d'une éolienne picarde, et dans l'axe de cinq autres face au vent, il fallait qu'aucune voiture ne passe sur l'autoroute voisine pour percevoir le chuintement des pâles... Plus scientifiquement, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail a publié en mars une étude soulignant l'impact minime des nuisances sonores, glissant perfidement qu'«à l'extérieur, les émissions sonores peuvent être à l'origine d'une gêne, mais on remarque que la perception d'un inconfort est souvent liée à une perception négative des éoliennes dans le paysage».

Ça va défigurer la France
L'accusation. Le paysage, voilà le débat passionnel, le plus subjectif, le plus sentimental. Et là, c'est Valéry Giscard d'Estaing qui est monté au créneau dans le Point, en avril, en réclamant un moratoire, pour éviter «que le puissant lobby germano-danois des éoliennes s'attaque à la campagne française depuis la haute Auvergne jusqu'à Chartres». Jean-Louis Butré n'hésite pas à parler de «massacre de paysages», évoquant le spectre de «châteaux avec des éoliennes derrière». Nicolas Sarkozy lui-même, dans son discours de clôture du Grenelle, avait fait part de ses réticences esthétiques. Ce n'est d'ailleurs pas innocent si les associations les plus mobilisées contre les éoliennes sont celles de défense des paysages ou du patrimoine.
La défense. «Depuis qu'on a lancé le développement à grande échelle, l'éolien est critiqué par une minorité très influente, tente de tempérer Jean-Louis Bal. Mais tous les sondages qu'on a fait montrent que la perception est très positive, y compris, et même davantage auprès des riverains, qui voient que ce n'est pas forcément moche, que ça ne fait pas de bruit, que ce ne sont pas des hachoirs à oiseaux.» Nicolas Paul-Dauphin, d'Eolfi, renchérit: «C'est assez bien reçu dans les campagnes. L'idéal, ce sont les zones de grandes cultures. Les habitants voient plutôt ça d'un bon œil, ce sont souvent ceux qui ont des résidences secondaires qui sont contre.» Et raconte que, dans la Somme, il a fallu déplacer une éolienne de quelques mètres car on en voyait le sommet depuis le haut de la cathédrale d'Amiens... à 30 kilomètres. André Antolini conclut: «Dix mille machines ce n'est pas monstrueux du point de vue de l'occupation du territoire. On ne va pas couvrir la France d'éoliennes.» Quant à Jean-Louis Borloo, il voit surtout dans ce débat l'illustration du syndrome Nimby (not in my backyard, pas dans mon arrière-cour), le même qu'on voit resurgir sur le développement du TGV.

Alors, le verdict?
     La bataille des éoliennes rejoue-t-elle la guerre des anciens contre les modernes? «Quand on s'oppose, on est un vieux con», déplore Jean-Louis Butré. «C'est peut-être un clivage générationnel», avance André Antolini. Au risque d'adopter une posture un peu «oui mais», on voit mal comment la France pourrait atteindre ses objectifs de renouvelables sans recourir (entre autres, et pas en premier) aux éoliennes. Et on cherche encore en quoi ces grands mâts plantés le long d'une autoroute ou en bordure d'un champ peuvent porter atteinte au paysage, même si le débat sur l'élégance de la machine est toujours susceptible de mettre le feu à un dîner (c'est vrai, il n'est pas nécessaire d'en parsemer sur des sites remarquables). D'autant qu'une éolienne, ça se démonte quasiment avec un tournevis quand on n'en a plus besoin, ce qui permet de changer d'avis. Cela dit, elles ne sont pas plantées sur notre balcon, et on ne sauvera pas le climat en se contentant d'en planter partout. Le jugement a été mis en délibéré en 2020.