LE MONDE
| 26.11.08
Pour ses 80 ans, lundi
24 novembre, la Commission internationale des grands barrages (CIGB) a
fait couler le champagne sous la coupole du Palais de la découverte,
à Paris. Après des années de purgatoire, cette organisation
regroupant tous les grands noms du secteur a de bonnes raisons de croire
à son retour en grâce.
Les organisations non
gouvernementales (ONG) continuent de dénoncer les dangers des grands
barrages sur l'environnement et l'impact social de déplacements
de populations rarement maîtrisé, mais leurs arguments portent
peu face à ceux mettant en avant l'urgence face au changement climatique
et à la crise alimentaire. En 2005, la Banque mondiale a donné
sa bénédiction en soutenant la construction de Nam Theun
2 au Laos. "Tous les feux sont au vert", résume Michel de
Vivo, secrétaire général de la CIGB.
Les chiffres confirment
ce tournant: 1.201 grands barrages - à savoir des ouvrages de plus
de 15 mètres de haut stockant au minimum 3 millions de mètres
cubes d'eau - étaient en construction en 2007; 178 avaient été
mis en service l'année précédente. Le mouvement concerne
tous les continents, même s'il est largement tiré par les
BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).
Pour Pékin, l'équation
est simple. "Le développement des barrages est une priorité
pour réduire notre dépendance au charbon et assurer notre
sécurité alimentaire", explique Shucheng Wang, président
du Comité chinois des grands barrages. "20% du plan de relance
adopté pour faire face aux impacts de la crise financière
mondiale seront consacrés à sécuriser nos ressources
en eau au cours des deux prochaines années", précise
M. Wang : soit plus de 100 milliards de dollars qui iront notamment dans
les barrages.
Pour défendre
la place de l'hydroélectricité dans la palette des solutions
alternatives aux énergies fossiles, ses promoteurs mettent l'accent
sur trois avantages : elle fait partie des énergies renouvelables,
elle est peu polluante et son coût est plus faible. "D'autant
plus faible que les barrages sont gigantesques", selon Michel de Vivo
qui met les 3 cents du prix de revient du kilowattheure produit dans l'hydraulique
en face du 0,5 dollar de l'énergie solaire ou des 10 cents de l'éolien. |
Dominique Nahon, directrice
du développement durable d'EDF, se veut toutefois plus prudente:
"Nous devons démontrer qu'en milieu tropical, le bilan carbone
de nos barrages est positif." Ce qui est loin d'être acquis.
Des études ont montré que les réservoirs de barrage
constituent, au moins dans les premières années de la mise
en service, des sources importantes d'émissions de gaz à
effet de serre en raison des rejets de méthane liés à
la décomposition des végétaux submergés. Le
président de la CGIB, Luis Berga, ne juge pas l'obstacle insurmontable:
"Nous savons ce qu'il faut faire. Il existe des recommandations reconnues
par la communauté internationale. Et aujourd'hui, aucun grand barrage
ne trouve de financement s'il ne les respecte pas", assure-t-il en
plaidant pour que ces infrastructures soient reconnues comme des investissements
prioritaires dans la stratégie d'adaptation au changement climatique.
POTENTIEL AFRICAIN
La requête n'est
pas anodine. Si la Chine, assise sur ses centaines de milliards de dollars
de réserves de change, peut se passer des financements internationaux
pour assumer sa politique des grands barrages - à commencer par
celui des Trois-Gorges -, ce n'est pas le cas de l'Afrique. Or le continent
noir demeure un espace largement inexploité. Son potentiel hydroélectrique
représente 13% du total mondial mais seulement 8% sont utilisés.
Si trois des plus grands barrages mondiaux y ont été construits,
ils sont réservés à l'irrigation. 70% de la population
est privée d'accès à l'énergie courante.
Lundi, à Paris,
l'Union africaine, la CGIB et d'autres partenaires du monde de l'énergie
ont signé une "déclaration mondiale en faveur des barrages
et de l'hydroélectricité pour le développement durable
de l'Afrique". Derrière cette annonce pompeuse, les intentions
sont claires: les grands barrages doivent redevenir un instrument du développement
de ces pays.
"La saison sèche
dure huit mois par an. Sans retenue d'eau pour développer l'irrigation
qui, aujourd'hui, ne concerne que 7% des terres arables, nous ne pourrons
améliorer notre productivité. Et nous avons besoin d'électricité
pour la conservation des récoltes", plaide le ministre de l'agriculture
du Burkina Faso, Abdoulaye Combary. Son pays va lancer les travaux du quatrième
grand barrage du pays à Samendeni, sur le fleuve Mouhoun. La Banque
mondiale, la Banque africaine de développement et des pays arabes
apportent l'essentiel des 180 millions de dollars que coûtera le
projet. Le site avait été identifié en 1976, après
la grande sécheresse au Sahel.
Laurence Caramel
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