Le stade
olympique de Herzog et de Meuron a attiré tous les regards lors
des récents Jeux de Pékin: sa structure en enchevêtrement
de poutres lui a valu, comme on le sait, le nom de «nid d'oiseau».
Si de nombreux architectes tels que Gaudi, Hundertwasser ou Frank Lloyd Wright s'étaient déjà inspirés de la nature pour en reproduire les formes, un nombre croissant de bâtisseurs vont aujourd'hui plus loin et tentent de copier non seulement l'esthétique du monde biologique, mais également ses fonctionnalités. On retrouve ici un courant qui s'est récemment développé dans tous les domaines de la science: le biomimétisme. En approchant l'étude de la nature d'un point de vue de l'ingénieur, le chercheur espère trouver dans le monde biologique des solutions à des problèmes technologiques modernes. «Pendant des milliards d'années, des millions d'espèces ont dû résoudre de manière efficace des problèmes auxquels les architectes sont également confrontés, souligne Dayna Baumeister, cofondatrice de la Biomimicry Guild, une agence de conseil américaine qui aide les ingénieurs à bénéficier de l'approche biomimétique. Ce qui nous intéresse n'est pas simplement la forme qu'a pris un organisme, mais la fonction qu'elle apporte.» Des nouveaux matériaux et des progrès dans les techniques de construction ont permis aux architectes de tirer profit d'une telle approche, en particulier dans les domaines de la ventilation, du chauffage et de la régulation de la lumière. Le meilleur exemple d'un bâtiment biomimétique se trouve à Harare, au Zimbabwe. En regardant un documentaire animalier de Richard Attenborough sur les termites, l'architecte Mick Pierce s'était rendu compte que ces insectes résolvent d'une manière très efficace le problème de refroidissement et de ventilation de leur résidence. Leurs termitières conservent une température quasi constante de 31°C. A un degré près, et cela malgré une température extérieure qui connaît des variations extrêmes, de 3°C la nuit et 42°C la journée. Des ouvertures à la base de la structure permettent à l'air d'entrer, de se refroidir dans une chambre excavée sous la surface du sol et de monter à travers la termitière en la refroidissant. Les termites contrôlent le flux d'air en ouvrant et rebouchant de nouveaux tunnels en permanence, ce qui leur permet de maîtriser le refroidissement et le taux d'humidité. Après avoir discuté avec des biologistes, Mick Pierce a intégré dans son projet de centre commercial Eastgate à Harare des ventilateurs à la base des tours ainsi que des dizaines de cheminées permettant la circulation de l'air à travers l'édifice. Le résultat est probant: le système de refroidissement passif d'Eastgate n'utilise que 10% de l'énergie utilisée par un bâtiment de taille comparable refroidi par air conditionné. Soit une économie estimée à quelques 3,5 millions de dollars sur cinq ans, pour un bâtiment ayant coûté 35 millions. Avec ses 300 mètres, la Pearl River Tower actuellement en construction en Chine deviendra peut-être le premier gratte-ciel produisant plus d'énergie qu'il n'en consomme. Après avoir étudié la manière dont les éponges absorbent au mieux l'énergie disponible dans leur environnement au lieu de la renvoyer, Adrian Smith du cabinet géant S.O.M. de Chicago a intégré dans la tour non seulement des collecteurs d'eau de pluie et des capteurs solaires, mais également des turbines éoliennes placées au milieu de la façade. Tirant parti de nouvelles technologies, les ingénieurs développent des façades intelligentes qui réagissent automatiquement aux conditions météorologiques et permettent de mieux contrôler les échanges entre les bâtiments et leur environnement. La nature est, dans ce domaine, une source d'inspiration très riche, car les interfaces biologiques comme la peau et la fourrure possèdent des fonctionnalités très complexes: refroidissement par transpiration, réchauffement par chair de poule, échanges de fluides, détection de chaleur et de lumière... L'architecte moderne ne parle donc plus de l'enveloppe du bâtiment, mais de sa «peau». La fourrure de l'ours polaire et sa capacité à réguler les échanges de chaleur se retrouvent dans le Singapore Arts Centre. Sa surface, réalisée par les ingénieurs d'Atelier One, est recouverte de losanges en aluminium qui jouent le rôle des poils de la fourrure. Leur orientation est contrôlée par des capteurs de lumière photoélectriques. Par mauvais temps, les losanges s'ouvrent pour laisser passer la lumière directe du soleil et chauffer le bâtiment. En cas d'ensoleillement, les losanges se referment afin de réduire le rayonnement solaire direct tout en laissant passer suffisamment de lumière indirecte, qui arrive à l'intérieur en se réfléchissant sur la surface en aluminium des losanges. Le résultat est un étonnant bâtiment à la forme arrondie qui ressemble davantage à la carapace du tatou qu'à un ours polaire. On retrouve ici une caractéristique des bâtiments intégrant des éléments de biomimétisme «fonctionnel»: d'un point de vue esthétique, il n'y a aucune raison qu'ils ressemblent aux organismes dont les procédés ont été copiés. L'architecture et la manière dont ses concepteurs en parlent sont un reflet des préoccupations de notre société; si la fin du XIXe était sous le charme d'une technique froide et mécaniste, on assiste aujourd'hui à un retour en force du naturel -- un courant naturaliste que critique le futurologue britannique James Woudhuysen. (suite)
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«L'homme moderne a parfois tendance à croire que l'esthétique devrait imiter la nature, nous confie-t-il. Mais il est naïf de penser que la nature apporte toujours la meilleure solution, et que le fait de simplement copier le biologique pourra résoudre tous les problèmes environnementaux, comme par exemple celui des émissions de CO2. Souvent, la pensée naturaliste ne fait que remplacer une vraie réflexion.» Parler de la nature permettrait aux architectes de cautionner un bâtiment truffé de haute technologie par un rappel au biologique et à la sagesse de dame Nature. «Certains architectes tiennent à affirmer leur conscience environnementale, relève dans la revue Nature le curateur Hugh Aldersey-Williams de l'exposition «Zoomorphic: new animal architecture» présentée à Londres en 2003. Une manière efficace de le faire est de donner une apparence organique ou naturaliste à leurs bâtiments.» Les constructions intégrant des éléments biomimétiques ne satisfont d'ailleurs pas toujours aux critères du développement durable, tempère Dayna Baumeister. Et pour la Biomimicry Guild, il s'agit là d'un aspect fondamental qu'elle encourage en exigeant de ses clients un engagement financier dans des projets de conservation. «En préservant leur environnement naturel, nous essayons de récompenser les détenteurs originaux des brevets: les organismes biologiques eux-mêmes.» Le «cornichon» de Londres est le surnom donné à la Swiss Re Tower à cause de sa forme légèrement bombée. Cette tour de 180 mètres construite au cœur de la City en 2004 par Forster & Partners est parfois citée dans le cadre du biomimétisme architectural, non pas à cause de son allure de cucurbitacée, mais parce qu'elle rappelle un invertébré: l'éponge de verre. La façade du bâtiment contient une structure métallique en treillis qui évoque l'exosquelette de l'organisme marin. L'air peut ainsi circuler efficacement entre les vitrages intérieurs et extérieurs, ce qui permet d'importantes économies d'énergie de chauffage et de ventilation. Le flux d'air a d'ailleurs été comparé à la circulation de l'eau à travers une éponge, mais les liens entre l'organisme biologique et la construction architecturale sont en fait totalement fortuits: il se trouve simplement que l'architecte a développé un structure similaire à ce que la nature avait déjà produit. Parfois, la nature suggère qu'il est possible de profiter d'un bâtiment pour résoudre un problème a priori séparé. C'est ainsi un insecte du désert qui aurait amené les architectes de Grimshaw à intégrer dans leur projet de «Water Theater» à Las Palmas aux Canaries une unité de dessalement. «Nous avons considéré le bâtiment d'une manière globale en tenant compte des spécificités écologiques des Canaries, à savoir le manque d'eau douce, souligne l'architecte Neven Sidor. Cette technologie a pu tirer parti des spécificités de l'île: une brise très régulière et des fonds marins abrupts.» Face à la mer, des centaines de grilles d'évaporation chauffées via des collecteurs solaires sont arrosées d'eau de mer tiède pompée à la surface. L'eau s'évapore sous l'action de la brise marine en laissant le sel sur les grilles. Elle va se condenser plus loin sur des tubes de condensation refroidis grâce à de l'eau de mer froide pompée en profondeur. Les gouttes récupérées forment ainsi une source d'eau douce qui, selon Grimshaw, pourrait approvisionner une ville entière. Ce projet, entre temps avorté, est cité comme exemple d'architecture biomimétique inspirée par la Stenocara, un coléoptère vivant dans le désert du Namib. Mais Niven Sidor parle plutôt de métaphore, car les architectes et ingénieurs n'ont en fait pas répliqué la méthode précise utilisé par la Stenocara pour récupérer l'humidité: sur son dos, des minuscules vallées sont recouvertes d'une cire hydrophobe qui repousse les gouttelettes d'eau contenues dans l'air vers le sommet des bosses. Elles s'y accumulent et finissent par perler et glisser jusqu'à la bouche de l'insecte. Ce savoir-faire naturel a été par contre réellement copié par des chercheurs du M.I.T. pour fabriquer un nanomatériau fonctionnant comme un «piège à nuage» permettant, comme l'insecte, de récupérer de l'eau dans des déserts peu éloignés des côtes. Un nombre croissant de bâtiments récents et imposants possèderaient ainsi des éléments «biomimétiques», mais il est parfois difficile de démêler ce qui relève d'une analogie trouvée a posteriori d'une vraie approche «biomimétique». «Eastgate à Harare est issu d'un réel processus de réflexion biomimétique, clarifie Dayna Baumeister. Mick Pierce a vraiment travaillé avec des biologistes pour identifier des solutions naturelles, indigènes au Zimbabwe, qu'il pourrait utiliser dans sa construction.» A défaut d'être spectaculaire, le résultat tient compte au mieux des ressources locales limitées. Le biomimétisme architectural n'est pas qu'une affaire de communication. Il s'inscrit aussi dans ces courants écologiques modernes qui désirent profiter des progrès techniques pour développer des technologies «vertes» -- et non pas simplement conserver la nature telle qu'elle est. Quoi qu'il en soit, les architectes poursuivent des objectifs variés lorsqu'ils s'inspirent de la nature: certains cherchent à copier des fonctionnalités organiques, d'autres s'intéressent principalement à la forme, pour des raisons esthétiques ou symboliques. C'est d'ailleurs en Suisse que surgira le bâtiment qui copiera la vie sous sa forme la plus universelle: la tour Roche à Bâle, imaginée par Herzog et de Meuron et dont la forme torsadée a été inspirée par la double hélice de l'ADN, la brique fondamentale des êtres vivants. Pur symbole -- non seulement de la vie, mais également de notre savoir-faire technologique. |