La production massive de biocarburants
est aujourd'hui "un crime contre l'humanité" du fait de son
impact sur l'envolée des prix alimentaires mondiaux, a estimé
Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit
à l'alimentation à la radio allemande.
"La fabrication de biocarburants est
aujourd'hui un crime contre l'humanité", a-t-il lancé
sur les ondes du Bayerischer Rundfunk.
M. Ziegler a appelé le Fonds monétaire
international (FMI) à changer sa politique de subventions agricoles
et à cesser de soutenir exclusivement des projets visant la réduction
des dettes. L'agriculture, estime-t-il, doit être subventionnée
dans des secteurs où elle assure la survie des populations.
Il a également critiqué l'Union
européenne pour sa politique de subventions, l'accusant de dumping
agricole en Afrique.
"L'UE finance l'exportation d'excédents
alimentaires européens en Afrique (...) où ils sont proposés
à la moitié ou un tiers du prix. Cela ruine totalement l'agriculture
africaine", a-t-il déploré.
"En outre, la spéculation boursière
internationale sur les matières premières alimentaires doit
cesser", a-t-il dit.
[Pesée de la canne à sucre sur le marché au
gros d'Hyderabad, en Inde, le 10 mai 2007 - © 2008 AFP - Noah Seelam]
Dans un entretien au journal français
Libération,
M. Ziegler a averti que le monde se dirigeait "vers une très
longue période d'émeutes" et de conflits liés
à la hausse des prix et à la pénurie des denrées
alimentaires.
De son côté, le patron de l'organisme
allemand de protection des consommateurs Foodwatch, Thilo Bode, s'est aussi
insurgé contre la "politique commerciale meurtrière des pays
industriels".
"Nous avons besoin d'une autre politique
énergétique. Il n'est pas possible que nous remplissions
nos réservoirs aux dépens des affamés", a-t-il
dit à la télévision publique allemande ZDF.
Réagissant aux appels de mobilisation
actuelle contre la faim, le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück
a affirmé à la radio publique allemande que "l'Allemagne
ne se dérobera pas à une telle action".
L'envolée des prix des denrées
alimentaires et de l'énergie a provoqué la semaine dernière
des émeutes en Haïti et en Egypte ainsi qu'une grève
générale au Burkina Faso. |
«Une hécatombe annoncée»
http://www.liberation.fr/actualite/evenement/evenement1/321064.FR.php
Jean Ziegler. (Reuters)
La production massive d'agrocarburants provoque
une envolée des prix alimentaires mondiaux, catastrophique pour
les pays du Sud, explique Jean Ziegler, conseiller à l'ONU sur l'alimentation.
Jean Ziegler est rapporteur spécial
des Nations unies pour le droit à l'alimentation. Ce sociologue
suisse est l'auteur de L'empire de la honte (Livre de poche, 2008).
Les « émeutes de la faim » sont-elles un facteur
d'instabilité planétaire?
Oui, parce qu'elles ne sont pas conjoncturelles,
mais structurelles. Elles ne sont pas directement liées à
des phénomènes climatiques (sécheresse en Australie)
ou de développement (nouvelles classes consommatrices en Inde ou
en Chine). Quand le prix du riz flambe de 52% en deux mois, celui des céréales
de 84% en quatre mois, et quand le prix du fret explose avec celui du pétrole,
on précipite 2 milliards de personnes sous le seuil de pauvreté.
Quelles peuvent être les conséquences?
On en voit les prémices aujourd'hui,
avec les champs de riz gardés par l'armée en Thaïlande,
la bataille pour le pain en Egypte, les morts par balles à Haïti.
On va vers une très longue période d'émeutes, de conflits,
des vagues de déstabilisation régionale incontrôlable,
marquée au fer rouge du désespoir des populations les plus
vulnérables. Avant la flambée des prix déjà,
un enfant de moins de 10 ans mourait toutes les 5 secondes, 854 millions
de personnes étaient gravement sous-alimentées! C'est une
hécatombe annoncée. Les ménages consacrent de 10 à
20% de leur budget dans l'alimentation en Occident, et de 60 à 90%
dans les pays les plus pauvres: c'est une question de survie.
Où sont les responsabilités?
Principalement dans l'indifférence
des maîtres du monde, pays riches ou grands émergents. Les
opinions publiques s'offusquent-elles de la famine dans le nord de l'Inde,
comme il y a deux ans, ou des populations du Darfour ? Quand on lance,
aux Etats-Unis, grâce à 6 milliards de subventions, une politique
de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du
marché alimentaire, on jette les bases d'un crime contre l'humanité
pour sa propre soif de carburant… On peut comprendre le souhait du gouvernement
Bush de se libérer de l'emprise des énergies fossiles importées,
mais c'est déstabilisant pour le reste du monde. Et quand l'Union
européenne décide de faire passer la part des biocarburants
à 10% en 2020, elle reporte le fardeau sur les petites paysanneries
africaines...
Les biocarburants ne sont pas seuls responsables...
Les pays les plus pauvres paient leur quittance
au FMI. Malgré les allégements de dette, 122 pays avaient
une ardoise de 2.100 milliards de dollars de dettes cumulées en
2007. Les plans d'ajustement structurels du FMI imposent toujours des plantations
d'exportation qui doivent servir à produire des devises et permettre
aux pays du Sud de payer les intérêts de la dette aux banques
du Nord. Ajoutez à cela les subventions agricoles à l'exportation
qui laminent les marchés agricoles locaux, et vous arrivez à
une situation explosive... |