LE MONDE | 04.02.08
Sur la terre ferme, les déserts se distinguent à l'oeil nu. En mer, le problème est tout autre: il faut l'aide d'un satellite capable de voir la "couleur" de l'océan. En utilisant les images de l'instrument SeaWIFs (Sea-viewing Wide Field-of-view Sensor), en orbite depuis 1997, des océanographes menés par Jeffrey Polovina (National Oceanic and Atmospheric Administration, NOAA) ont dressé la carte des grands déserts océaniques et, surtout, sont parvenus à en déterminer l'évolution depuis une décennie. Leurs travaux, à paraître dans la revue Geophysical Research Letters (GRL), montrent une progression rapide de ces zones biologiquement peu actives. Depuis 1998, ces "déserts" ont gagné environ 6,6 millions de km2, soit douze fois la superficie de la France métropolitaine. Sous l'influence du changement climatique en cours, l'accroissement des zones stériles de l'océan est prévu par la théorie. Mais la cadence observée est "considérablement supérieure aux prévisions des modèles récents", écrivent les chercheurs. En mer comme sur les terres émergées, le désert est un espace privé de végétaux photosynthétiques. Les chercheurs ont donc cartographié les zones où la quantité de chlorophylle - donc de micro-algues - est très faible. La superficie de ces zones augmente dans quatre bassins : Atlantique nord et sud, Pacifique nord et sud. L'Atlantique nord est le plus touché avec une croissance moyenne de ses déserts de 8,3% par an. L'océan Indien, lui, semble relativement épargné. Comment s'explique le phénomène? Les chercheurs sont parvenus à le mettre en relation avec la température des eaux de surface. Plus celle-ci s'accroît, moins l'activité photosynthétique y est forte : lorsque les couches supérieures de l'océan - celles qui bénéficient de la lumière du soleil - sont plus chaudes, elles tendent à moins se mélanger aux eaux des profondeurs, qui sont froides. |
Or ce mélange
est nécessaire à la croissance du plancton végétal
puisque ce sont les eaux profondes qui, poussées par les courants
marins, amènent vers la surface les nutriments indispensables à
la croissance du phytoplancton. D'autres phénomènes peuvent
aussi être invoqués, comme le ralentissement des courants
marins, dû à l'afflux d'eau douce aux latitudes moyennes et
hautes.
Les principales explications tiennent au changement climatique en cours. "Il est cependant impossible d'affirmer que la tendance que nous observons sur les dix dernières années est en intégralité due au réchauffement climatique, ni qu'elle va se poursuivre dans l'avenir", précise cependant Mélanie Abécassis (université d'Hawaï, Honolulu), coauteur de ces travaux. Les modèles simulant le réchauffement climatique prévoient une expansion des déserts océaniques "dix à vingt fois moins rapide que ce que montrent les observations", ajoute-t-elle. Deux conclusions sont donc possibles: soit les modèles sous-estiment considérablement les effets du changement climatique sur la biologie marine; soit une part du phénomène résulte d'autres facteurs. Il est ainsi possible que l'expansion récente soit, en partie au moins, causée par des cycles décennaux non encore décrits par les scientifiques. Cependant, un indice plaide en faveur d'une solution principalement liée au réchauffement. "Les bassins sujets à un appauvrissement de leurs eaux sont tous les quatre soumis à des forçages (c'est-à-dire des contraintes externes) différents, pourtant ils semblent suivre la même tendance", observe ainsi Mélanie Abécassis. Parvenir à trancher la question revêt une importance certaine : la désertification des océans aura un impact sur les ressources halieutiques, mais aussi sur la capacité des océans à absorber le dioxyde de carbone (CO2). En prospérant, les micro-algues fixent en effet des quantités considérables de CO2 atmosphérique. Leur effondrement rapide pourrait donc conduire les climatologues à revoir à la hausse leurs prévisions d'augmentation de température moyenne pour la fin du siècle. Stéphane Foucart
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