LE MONDE
| 13.02.08 | 15h32 • Mis à jour le 13.02.08 | 15h32
FORÊT DE CAILLEBERT (SARTHE) ENVOYÉE
SPÉCIALE
Des centaines d'hectares de fôréts
de chênes meurent ou dépérissent dans le centre de
la France dont la cause serait le changement climatique. | DR
Gilles Cardot ne regardera
plus jamais pousser ses arbres comme avant. Avant, c'était quand
ce forestier, responsable de 25.000 hectares dans l'ouest de la France,
croyait avoir l'éternité devant lui. Tout a changé
en 2003.
"Au lendemain de
la canicule, nous avons décidé que, malgré toutes
les incertitudes, il était plus raisonnable de croire au changement
climatique et de commencer à agir", explique son directeur,
Laurent Piermont. Les deux hommes travaillent pour la Société
forestière, qui gère en France 250.000 hectares de forêts
privées pour le compte de grandes institutions bancaires ou de sociétés
d'assurances. Par ce matin gelé de janvier, ils ont chaussé
leurs bottes pour passer en revue la forêt de Caillebert, dans la
Sarthe.
Cette forêt de
250 hectares est devenue un laboratoire de l'adaptation aux effets du réchauffement.
A cause de la pauvreté de ses sols sableux, des essences réputées
résistantes y ont été introduites depuis longtemps.
Le plan de gestion, qui constitue la mémoire du travail accompli,
en témoigne. Celui de Caillebert offre une rare diversité
entre les futaies de chênes, de châtaigniers, de pins, de peupliers...
"Ici, nous ne replanterons
pas de pins maritimes, nous allons faire un essai avec un robinier sélectionné
en Hongrie pour sa résistance à la sécheresse",
explique M. Cardot devant une friche fraîchement coupée de
7 hectares. Le choix de ce cultivar hongrois ne tient pas au hasard: la
plaine du Danube connaît aujourd'hui les étés caniculaires
que la France pourrait subir dans quelques décennies. L'évolution
des forêts australiennes, soumises depuis plusieurs années
à des épisodes de sécheresse exceptionnelle, est également
observée avec attention. |
Le changement climatique
agit de façon paradoxale sur les arbres. D'un côté,
la teneur plus élevée de CO2 dans l'atmosphère
stimule leur croissance, de l'autre, le manque d'eau lié aux fortes
chaleurs estivales met en péril leur survie. Pour anticiper les
effets du réchauffement, les forestiers s'appuient sur les scénarios
du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat
(GIEC), complétés par les travaux menés plus localement
par Météo France ou l'Institut national de recherche agronomique
(Inra). Selon leurs prévisions, l'avenir des arbres français
se jouera après 2050, quand la fréquence des canicules augmentera.
"Plus que la multiplication
des tempêtes ou l'apparition de gelées précoces, la
répétition des canicules représente la vraie menace
pour la forêt", souligne M. Piermont. Pour anticiper ce bouleversement,
la Société forestière a divisé ses arbres en
deux catégories. D'un côté, ceux dont l'espérance
de vie ne va pas plus loin que le milieu du siècle. Pour eux, l'intervention
se limite à alléger la densité des plantations, pour
s'adapter aux moindres réserves des sols en eau, et à programmer
des coupes plus précoces. Les pins laricio, par exemple, ne seront
plus récoltés à soixante-dix ans mais à cinquante.
De l'autre, tous les
arbres qui devront encaisser de plein fouet les coups de chaud estivaux
annoncés après 2050. "Là, nous entrons dans une
zone d'incertitudes", reconnaît le directeur de la Société
forestière. Certaines essences sont d'ores et déjà
placées sur la liste des espèces menacées, comme l'épicéa
commun, le sapin de Vancouver, le hêtre ou le chêne pédonculé.
"Nos chênes
végètent", confirme Gilles Cardot en montrant des spécimens
aux troncs anormalement étroits pour leur âge. Certains n'ont
pas résisté aux sécheresses de la fin des années
1980 puis de 2003 et offrent le spectacle de longs fûts décharnés.
Ils seront peu à peu remplacés par des châtaigniers
ou des robiniers, deux essences que la Société forestière
a retenues dans sa liste des variétés de transition, capables
de survivre dans les conditions climatiques prévues après
2050.
Ces espèces,
parmi lesquelles se trouvent aussi le tilleul, le cèdre, le pin
laricio ou le chêne sessile, seront progressivement confortées
ou introduites à Caillebert et ailleurs en France.
La diversification des
essences offre pour l'instant la seule parade au changement climatique.
Mais les forestiers avancent sur ce terrain avec modestie, car ils ne sont
certains que d'une chose: "La nature ne répond jamais comme
les hommes pourraient s'y attendre."
Laurence Caramel
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