Comité scientifique français de la désertification
Le biochar, pour « bio-charcoal », est un charbon d"origine
végétale obtenu par pyrolyse de biomasse végétale
d'origines diverses, généralement des déchets de scierie
ou des résidus agricoles. Se présentant sous forme de petits
fragments noirs, il sert à amender les sols et est présenté
comme un excellent capteur de carbone. Mais il faut regarder de près...
Des spécialistes du Comité scientifique français de
la désertification nous expliquent.
Composé en majeure partie de carbone,
le biochar s'obtient par pyrolyse (carbonisation avec peu ou pas d'oxygène)
de matières organiques diverses. Le procédé produit
également, en proportion dépendant de la méthode,
un biocarburant
liquide. Sa composition n'est pas précisément définie
car elle dépend de la nature de la biomasse utilisée et du
processus de pyrolyse. Il peut aussi contenir diverses molécules
organiques. Cette variété pose un certain nombre de problèmes
pour interpréter les expérimentations.
L'engouement récent de certains pour
le biochar vient de ce qu'il est présenté comme une possibilité
de fixer de façon quasi-permanente du carbone atmosphérique,
grâce à un processus à bilan carbone négatif.
La chaîne qui permet ce résultat est basée sur la collecte
de résidus végétaux non utilisés – qui seraient
sinon décomposés par voie naturelle en émettant du
CO2 – et leur transformation en carbone noir stable et divers
produits gazeux. Lorsque ce carbone est ensuite enfoui dans le sol, il
y est non seulement stocké de façon permanente, mais il en
améliorerait aussi les propriétés agronomiques.
Enfouir le carbone dans le sol
La production de biochar est promue comme
méthode révolutionnaire de captage du CO2 atmosphérique
par des groupes qui y voient l'émergence d'une nouvelle activité
économique. En effet, la qualité du bilan dépend de
l'utilisation d'installations permettant d'optimiser la pyrolyse des résidus
végétaux. Les installations traditionnelles de production
de charbon de bois ne maîtrisent pas le flux gazeux et ne permettent
pas d'atteindre un bilan carbone négatif (pas de fixation de CO2
dans le processus). Il faut donc prévoir toute une gamme d'équipements
adaptés, de l'échelle villageoise à l'installation
de taille industrielle, y compris pour la collecte des intrants et la distribution
du produit.
De plus, le biochar a également suscité
un intérêt agronomique il y a déjà plusieurs
années, en particulier en Amazonie par la découverte de la
fertilité des Terra
Prieta, comparée à celle des sols voisins. Ces «terres
noires» sont le résultat de l'accumulation des résidus
de combustion lente des déchets organiques des communautés
villageoises en bord de fleuve.
Les études archéologiques ont
montré que dans certains cas cette accumulation a pu avoir lieu
sur plusieurs millénaires, prouvant la stabilité de ce type
de charbon.
Des bénéfices directs et indirects
peuvent être attribués au biochar:
* La pyrolyse de résidus de biomasse, d'origine
forestière ou agricole, permet de produire un biocarburant, sans
concurrence avec les productions agricoles.
* Le biochar, sous-produit de la pyrolyse, serait
un amendement permettant d'améliorer la fertilité et la stabilité
des sols cultivés d'une part et d'autre part de stocker du carbone
dans les sols à moyen et long terme.
* La biosphère, au travers de la production
végétale notamment, absorbe du CO2, mais seule
une petite partie est stockée de manière stable à
plus ou moins long terme (sols, bois...).
* La production de biomasse pour obtention de biocarburant
et stockage du carbone dans le sol par le biochar serait une production
négative en carbone, c'est-à-dire absorbant plus de CO2
qu'elle n'en produit et permettant un stockage à long terme.
Retour d'expérience pour l'amendement des sols
Des expérimentations ont été
conduites sur le terrain, sous des climats et des sols variés, en
comparant la productivité de cultures sous différentes modalités
d'application : témoin, biochar, biochar + engrais minéraux,
etc. La littérature semble abondante mais on repère de nombreuses
reprises des mêmes résultats, notamment ceux de Lehmann. De
plus, les expérimentations ont porté surtout sur des sols
acides tempérés ou des sols lessivés de zones tropicales
humides. Il s'avère également que la composition du biochar
utilisé n'est pas spécifiée et que les doses appliquées
ne sont pas toujours fournies.
Les effets cités de l'amendement des
sols par le biochar sont les suivants:
* Augmentation de la croissance des plantes. Cependant
il semble que dans de nombreux cas, il soit nécessaire de le coupler
avec une fumure minérale.
* Restructuration du sol, améliorant ses
propriétés physiques.
* Amélioration de la rétention en
eau du sol.
* Augmentation du pH des sols acides.
* Aide au développement de la microflore
des sols et accroissement de leur activité biologique.
* Diminution du lessivage des nutriments, notamment
des nitrates.
* Diminution des émissions de NO2
et de méthane dans les sols hydromorphes ;
diminution de la toxicité aluminique
dans certains sols.
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suite:
Des questions en suspens
Peu de choses sont connues sur les mécanismes
d'action du biochar dans les sols. Il est nécessaire d'élucider
les mécanismes pour prévoir l'action dans les différents
milieux que constituent les sols et climats. Différentes hypothèses
sont émises mais demandent à être vérifiées.
Le biochar serait du carbone amorphe à
structure poreuse, ce qui lui confèrerait des propriétés
d'absorption des éléments et de rétention de l'eau.
Il constituerait aussi un support favorable pour les microorganismes du
sol. Au Japon, où il existait traditionnellement une incorporation
de charbon dans certains sols, des études ont également montré
un effet favorable sur le développement des mycorhizes.
Le biochar provoquerait dans les sols un accroissement
de la CEC (capacité d'échange cationique) mais le mécanisme
n'est pas connu. Les sols de Terra Preta ont un CEC élevé
et stable, mais rien ne prouve que l'on puisse obtenir le même résultat
par adjonction de biochar dans d'autres sols.
L'effet sur le pH des sols serait dû
aux cendres contenues dans le biochar et dépendant de la nature
de la biomasse traitée.
Il est par ailleurs reconnu que la pyrolyse
dégage un certain nombre de produits toxiques (composés aromatiques,
par ex.) dont l'impact sur la biologie des sols est inconnu.
Dans l'état actuel des connaissances,
le biochar paraît avoir un potentiel pour stocker du carbone dans
le sol à moyen et à long terme tout en ayant des propriétés
d'amendement et d'amélioration de certains sols. Cet intérêt,
couplé avec la possibilité de production de biocarburant
et le développement du marché du carbone, ont conduit de
nombreux groupes à s'y intéresser et à le promouvoir
dans les forums internationaux. Cependant avant d'encourager son utilisation,
un certain nombre de questions restent posées.
La stabilité de cette forme de carbone
dans le sol est-elle assurée? Le charbon est stable dans les
sédiments et dans les sols, au moins dans certaines conditions d'humidité
et d'anoxie, mais peut se dégrader plus rapidement dans d'autres
environnements.
Les effets bénéfiques du
biochar sur les propriétés de certains sols sont-ils extrapolables
et persistants dans le temps? La compréhension des mécanismes
en jeu est nécessaire et demande beaucoup de recherches. Rien ne
prouve que l'incorporation de biochar permette de reproduire les sols de
types Terra Preta. Les mécanismes d'élaboration de ces sols
ne sont pas élucidés et paraissent beaucoup plus complexes.
Beaucoup d'auteurs doutent de l'intérêt de l'utilisation dans
les terres sèches.
Quelle quantité de biochar peut-on
incorporer dans les sols pour qu'il constitue un amendement efficace et
un stockage significatif ? Le biochar est pulvérulent, de faible
densité, son incorporation au sol en quantité importante
et son enfouissement paraissent difficiles d'un point de vue technique.
Combien de biochar peut-il être produit
de manière favorable d'un point de vue économique et environnemental?
La production de biocarburant et de biochar, même à partir
de sous-produits, peut être en concurrence avec d'autres usages :
production animale, voire avec le maintien de la matière organique
et de l'humus dans les sols. Une production de biomasse dédiée
à la production de biocarburant et de biochar pose des problèmes
de concurrence avec d'autres productions. C'est particulièrement
vrai dans les régions sèches où les résidus
végétaux sont peu abondants.
Quel est le bilan énergétique
et carboné global de la production par pyrolyse de biocarburant
et de biochar? Aucune estimation chiffrée n'a été
trouvée à ce sujet.
En guise de conclusion,
le biochar ne semble pas être une solution toute faite au problème
de restauration de sols et de stockage de carbone. Son intérêt
pour la lutte contre la désertification dans les terres sèches
n'est absolument pas prouvé. Il semble actuellement possible et
intéressant d'utiliser la pyrolyse pour la production de biocarburant
et de biochar pour valoriser les résidus de l'industrie forestière
et amender les sols acides des zones humides.
Dans certaines situations favorables,
le développement du biochar constitue un des outils de séquestration
du carbone atmosphérique, mais certainement pas la panacée.
En particulier, des études doivent être conduites pour connaître
les mécanismes d'action du biochar dans les sols avant d'inciter
à sa généralisation.
De la même façon
que pour les biocarburants, l'engouement que peut créer la perspective
de nouvelles activités économiques ne dispense pas d'études
complètes sur l'impact global de ces nouvelles filières,
tant sur les écosystèmes que sur les sociétés
paysannes pour lesquelles il est annoncé une amélioration
de leur condition.
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