LE MONDE | 05.12.08
Depuis quelques mois, pas un jour sans tribunes
de scientifiques renommés sur l'urgence d'engager au plus vite une
véritable guerre aux émissions de gaz à effet de serre,
de stopper, mieux d'inverser leur croissance actuelle. Pourtant, en termes
d'action, rien n'a vraiment changé. Tout le monde parle du gaz carbonique
(CO2). Des autres gaz, en particulier du méthane, il
n'est guère question, sauf pour faire écho aux inquiétudes
des chercheurs devant la fonte du permafrost, qui pourrait libérer
des quantités de méthane importantes et déclencher
la dérive du climat.
Le Groupe intergouvernemental sur l'évolution
du climat (GIEC) le considère pourtant comme l'un des principaux
gaz à effet de serre. Il proposait dès 1994 la notion "d'équivalent
CO2" pour comptabiliser avec une seule unité de mesure
les émissions des différents gaz dont les effets sur le climat
sont d'ampleur et de longévité très différentes.
Ce coefficient de chacun des gaz avec le CO2
varie au cours du temps. C'est ainsi que le GIEC propose aujourd'hui un
coefficient 7 pour caractériser les effets sur le climat de l'émission
d'un kilo de méthane par rapport à celle d'un kilo de CO2
sur une période de cinq cents ans, de 25 sur une période
de cent ans et de 72 sur une période de vingt ans.
Très vite c'est le coefficient du méthane
à cent ans qui est devenu la règle pour la plupart des décideurs,
ignorants de sa variation rapide avec le temps. Ce gaz est alors apparu
comme marginal par rapport au CO2, puisqu'il ne compte dans
ces conditions que pour 15% du total des émissions, loin derrière
le CO2 crédité de 76%. Le débat s'est donc
focalisé sur le gaz carbonique.
Mais, si l'échéance 2030 devient
primordiale, l'analyse change du tout au tout : sur la base du coefficient
d'équivalence à vingt ans, les 360 millions de tonnes de
méthane émises chaque année au niveau mondial ont
un effet intégré d'ici à 2030 équivalent à
26 milliards de tonnes de CO2, autant que le CO2
émis par l'ensemble des énergies fossiles.
Pourquoi le mot même de méthane
n'est-il même pas présent dans la loi post-Grenelle en discussion
au Parlement? Pourquoi le "paquet énergie climat" européen
est-il si muet sur la question du méthane? Pourquoi, à
de rares exceptions près, la communauté scientifique reste-t-elle
silencieuse? Outre l'inertie propre à tous les systèmes lourds,
du GIEC aux administrations nationales et internationales, on peut trouver
quelques raisons à cette apathie dangereuse. |
D'abord, la crainte de la communauté
scientifique de brouiller le message qu'elle martèle depuis longtemps
non sans difficulté et de voir l'action basculer vers la réduction
des émissions de méthane au détriment de l'effort
indispensable sur le CO2. Ensuite l'hostilité
des tenants de la bourse internationale du carbone, qui mêle tous
les gaz à effet de serre sur la base des coefficients d'équivalence
à cent ans, de voir contester la pertinence du produit nouveau "la
tonne équivalent CO2" qui promet aux financiers d'intéressantes
spéculations.
Enfin, la résistance passive
de tous ceux que cela arrange de limiter la lutte contre le changement
climatique aux questions énergétiques, les promoteurs du
nucléaire en tête et, inversement, la crainte du monde agricole,
au Sud comme au Nord, de se voir soudain accusé de tous les maux...
Sans compter qu'il est facile de culpabiliser le consommateur sur ses émissions
de CO2 (sa voiture, son chauffage, etc.) mais plus difficile
pour celles de méthane, dont la réduction suppose des actions
collectives et engage donc la responsabilité politique...
LE PET DES VACHES
Est-il possible de réduire significativement
les émissions de méthane? La question reçoit en général
une réponse facile: "Le méthane, c'est le pet des vaches
et la culture du riz; si vous y touchez, vous allez affamer le monde en
développement." Alors que la rumination des animaux domestiques
et la culture du riz ne comptent chacun que pour 15% des émissions
mondiales de méthane, moins que celles des décharges d'ordures
ménagères (23%) ou que les émissions fugitives du
système énergétique (33%).
En fait, le potentiel de réduction
des émissions de méthane à horizon de vingt ans est
de l'ordre de 30%, dont plus des deux tiers dans le secteur énergétique
et la gestion des déchets. Il est donc parfaitement possible d'engager
à court terme des programmes ambitieux de réduction des émissions
de méthane, la plupart du temps peu onéreux, en complément
de l'action indispensable sur le CO2.
Il est crucial que l'Europe se mobilise rapidement
sur cette question et la porte au niveau de la Convention climat en proposant
de définir des objectifs séparés pour le gaz carbonique
et le méthane. La présidence française de l'Europe
tient une occasion unique, à la conférence de Poznan, de
faire des propositions et d'engager le débat sur cette question
majeure pour notre avenir proche.
Benjamin Dessus
ingénieur et économiste.
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