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2010
Chine: Le côté sombre du solaire

ADIT, mai
Jordan Pouille - publié le 29/04
     En trois ans, ce pays est devenu le premier producteur mondial de panneaux solaires. Dans des conditions environnementales désastreuses.

     Au pied du Grand Bouddha de Leshan, un joyau touristique haut de 71 m taillé dans la roche, un paysan à la retraite plante sa canne dans les graviers qui bordent la rivière Dadu. Chaque matin, Tang Jie vient y taquiner la carpe, pour la relâcher aussitôt. "Je pêche uniquement pour la détente, car ici le poisson n'est pas comestible... à cause de la pollution." Laquelle? L'homme tourne la tête de gauche à droite. "A cause de tout ça !" Le panorama qui s'offre à lui est éloquent : des grues tous azimuts, un va-et-vient incessant de camions de charbon, un ballet de péniches chargées de poudre de galets broyés, les tours à refroidissement des centrales électriques et quelques grosses cheminées d'où sortent d'épaisses fumées brunes. C'est l'arsenal qui, depuis 2007, accompagne la mono-industrie solaire de Leshan, 550?000 habitants, contre 3,6?millions pour la ville voisine de Chengdu, capitale du Sichuan.
     Il y a trois ans, le gouvernement central a décidé de renverser l'indécent monopole de l'entreprise privée Suntech Power, jusqu'alors la première compagnie solaire de Chine, installée à Wuxi, près de Shanghai. De fait, le prix de la cellule photovoltaïque a fini par chuter et la production chinoise, à elle seule, dépassait même la demande mondiale l'an dernier. Les tarifs imbattables du solaire chinois ne se justifient pas seulement par la compétition interne, les subventions d'État ou les bas salaires des travailleurs. À Leshan, l'absence de considérations écologiques à chaque étape du processus de production permet aussi de réduire fortement les coûts. Les villes voisines d'Emeishan et de Chengdu sont entrées l'an dernier dans la danse, avec l'ouverture de vastes usines d'assemblage de panneaux solaires, toutes propriétés de l'État.
     L'industrie solaire est d'abord très énergivore. À Leshan, l'électricité acheminée jusqu'aux fours de silicium et usines de production de cellules solaires est exclusivement produite grâce aux centrales électriques au charbon, construites autour de la ville. Un journaliste hongkongais avait calculé en septembre dernier que 40 kilos de charbon étaient nécessaires en Chine pour produire un panneau de 1 m sur 1,5 m, dont la durée de vie est estimée à 20 ans. Alors que la même quantité de charbon brûlée en centrale fournirait assez d'électricité pour alimenter une ampoule de 22 W, 12 heures par jour pendant 30 ans !
     A mesure que l'économie de Leshan se développe autour de l'énergie solaire, c'est toute une ville qui sort de terre. Les immeubles de bureaux, les complexes résidentiels farfelus pour les cadres ou les dortoirs austères pour les ouvriers migrants poussent comme des champignons, tandis que les cimenteries et les carrières de silicium s'installent en périphérie, en amont du puissant Dadu, un affluent du fleuve Yangzi Jiang. Résultat : sur les berges, des centaines de machines rudimentaires broient sans relâche les galets au fond de l'eau pour en extraire une poudre de silicium, matière première de la cellule photovoltaïque, rejetant des tonnes de poussière dans l'atmosphère de cette ville «solaire» aujourd'hui bien grisâtre.
     Autre pollution, et non des moindres, celle inhérente à la fabrication de la cellule solaire. Avant son découpage et son assemblage en panneaux, l'étape primordiale reste le raffinage du silicium, préalablement fondu en four. Plus le silicium sera purifié, plus les capacités d'absorption de la lumière du soleil par la cellule seront optimales. Sauf que ce sont les bains d'acide qui permettent cette purification. L'opération chimique rejette du tétrachlorure de silicium et du chlore, dont le recyclage est encore très onéreux. Au Sichuan, seules les usines d'État de raffinage de silicium comme Sichuan Xinguang Silicon ou Tianwei New Energy peuvent se le permettre... mais elles refusent catégoriquement toute visite.

suite:
     Sur un forum en ligne chinois, un blogueur anonyme dénonce les pratiques d'un sous-traitant peu scrupuleux de Sichuan Xinguang Silicon. Selon lui, il soudoierait des voyous de Luohan, petite ville à la sortie de Leshan, afin qu'ils déversent les déchets toxiques dans la rivière la nuit tombée. Sur place, impossible de vérifier: les habitants refusent de s'exprimer sur cette industrie qui les fait vivre.
     A Chengdu, il est possible de pénétrer dans l'unité Tianwei Energy, qui récupère le silicium raffiné pour en faire des panneaux. Au volant d'une voiturette électrique, Michael Dong, responsable commercial, passe en revue les équipements clés du site, inauguré il y a 16 mois. Les ouvriers ? 1?000 migrants, logés en chambres de six, payés 1?000 yuans (environ 100 €) par mois et dont l'âge oscille entre 17 et 22 ans. Les jeunes filles soudent les cellules photovoltaïques entre elles, les garçons assemblent les panneaux, le tout en silence. D'autres astiquent inlassablement les machines de découpe achetées à prix d'or à l'étranger, disposées dans des salles stériles, mais que les chefs ou les invités peuvent venir admirer à travers des baies vitrées.
     Le long d'un couloir "VIP", des photos encadrées témoignent du passage récent d'un ministre ou d'un cadre régional du Parti communiste. "Grâce à Upsolar, nous exportons l'essentiel de notre marchandise", conclut fièrement Michael Dong dans un anglais parfait. Depuis novembre 2008, Upsolar est la marque de Tianwei à l'international. Son siège est à Paris et Zhe Jian, le PDG, est un ancien salarié d'EDF.
     Mais de l'autre côté de la palissade, un terrain vague sert de décharge sauvage pour les déchets de l'usine. Au milieu des gravats, des combinaisons, des masques usagés en pagaille et des kilomètres de câble fin ayant servi à ciseler les cellules solaires. Juste derrière, des milliers de fûts en plastique sont empilés les uns sur les autres. Ils sont remplis des eaux boueuses rejetées par les machines de découpage. Un liquide nocif gorgé de particules de fer, de cuivre, de silicium, mais aussi d'éthylène glycol, la même substance qui, en 1996, en Haïti, avait tué 60 enfants. Le produit s'était retrouvé dans du sirop contre la toux.
     Pourquoi, ici, autant de bidons sont-ils abandonnés en dehors de l'usine ? Embarrassé, Michael Dong ne s'exprimera pas sur le sujet. D'après des ingénieurs européens que nous avons contactés, Tianwei ne disposerait pas d'un système interne pour les recycler. Qu'importe. À Chengdu, l'éthylène glycol ne figure toujours pas sur la liste des produits régulièrement analysés dans l'air et les cours d'eau par les fonctionnaires du bureau de l'environnement. Et, depuis 2007, le bureau de Leshan ne diffuse même plus les chiffres de la qualité de l'air ou de l'eau sur son site public.
     Relié à Chengdu par une nouvelle autoroute, Emeishan est l'un des quatre monts sacrés de Chine, où les pèlerins se succèdent pour admirer la « lumière de Bouddha » venue du ciel. Ironie du sort, c'est aussi là que se construit le futur de l'industrie solaire. La Compagnie 739, propriété de l'armée et spécialisée dans la production de semi-conducteurs, mise désormais sur le panneau solaire monocristallin, capable de produire un maximum d'énergie verte sur un minimum d'espace. Les premières cellules sortiront ce printemps. À l'intérieur, le ciment n'est pas encore sec que des ingénieurs de Shanghai testent déjà les machines tout juste arrivées de Suisse, du Japon et d'Allemagne. "Attention où vous mettez vos mains ! Celle-ci coûte un million de yuans pièce… Et on en attend encore 50 !" La lumière sacrée d'Emeishan sera bientôt masquée par une épaisse fumée.