CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
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2010
Du gâchis à l'intelligence. Le bon usage de l'électricité

ADIT, juin
http://www.global-chance.org/
http://www.negawatt.org/
 

EDITORIAL

     Pour prévisible qu'il ait été, l'échec de Copenhague est extrêmement brutal. L'impératif commun de réduire les émissions de gaz à effet de serre s'avère insuffisant pour engager des politiques volontaristes et, en particulier, rompre avec les stratégies énergétiques du passé. Les solutions bien établies, d'abord la maîtrise de la demande, puis le développement des énergies renouvelables, semblent encore perçues comme des fardeaux par la plupart de nos dirigeants politiques qui n'ont pas pris pleine conscience que ces orientations sont au contraire bénéfiques. Elles contribuent pourtant à la sécurité énergétique, réduisent les impacts environnementaux locaux et bénéficient à l'économie, en plus d'être indispensables à la lutte contre le changement climatique.
     Toute analyse globale et à long terme du système énergétique montre en effet le potentiel et l'importance du bon usage de l'énergie. Ce principe vaut dans tous les usages et pour toutes les énergies, ce que l'application du seul prisme climatique tend à faire oublier. C'est ainsi, par exemple, que le Président de la République a récemment choisi d'exempter la consommation d'électricité des ménages et de l'industrie de toute contribution à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre – réduisant le projet de contribution climat énergie à une simple taxe carbone.
     En France, l'argument sur le faible contenu en carbone de la production nationale d'électricité est le dernier avatar d'une politique engagée avec le «tout nucléaire, tout électrique» dans les années soixante-dix. Forte d'une image très positive auprès du grand public, produite et distribuée encore très majoritairement, malgré un marché européen libéralisé, par EDF, l'électricité fait depuis des décennies l'objet d'un soutien sans faille des pouvoirs publics de gauche comme de droite. Puisqu'il est bon pour la France de développer une production d'énergie domestique alternative aux énergies fossiles, il est bon de développer la consommation d'électricité. Celle-ci est ainsi encouragée non seulement dans ses applications spécifiques (éclairage, moteurs fixes, procédés industriels...), mais aussi dans des applications plus banales comme le chauffage des locaux.
     Cette sollicitude constante des gouvernements a porté ses fruits: la France compte de très loin le premier parc nucléaire en Europe et se situe en tête des grands pays européens en ce qui concerne la consommation d'électricité par habitant et par unité monétaire de produit intérieur brut. La taxe carbone n'est en fait que le dernier exemple d'une série de décisions politiques systématiquement favorables à l'électricité, qui traduisent une forme de sacralisation de cette composante du système énergétique, aux dépens de tout bilan critique.
     Il reste ainsi très difficile de faire entendre que l'indépendance énergétique que le nucléaire est sensé donner à la France est un leurre, basé sur une comptabilité très discutable (où l'on considère que la production nucléaire couvre presque 50% de la consommation d'énergie primaire, alors que l'électricité représente environ 20% de la consommation d'énergie finale, et où l'uranium importé devient, contrairement au pétrole, une production d'énergie domestique). Il n'est pas non plus fait de lien entre l'affirmation rituelle de cette indépendance énergétique et le constat que la France ne diminue en rien sa dépendance vis-à-vis de l'or noir, avec une consommation de pétrole par habitant supérieure à celle de ses grands voisins (Allemagne, Italie, Royaume-Uni) et une facture énergétique qui s'envole, retrouvant en 2008 avec 58 milliards €, les niveaux records du premier choc pétrolier de 1973.
     De même, il est difficile de porter le débat sur les orientations pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre au-delà du constat autosatisfait selon lequel la forte proportion d'électricité d'origine nucléaire permet à la France d'afficher aujourd'hui des émissions de gaz à effet de serre inférieures à celles de ses principaux voisins européens. Celles-ci restent pourtant bien trop élevées, et les exercices prospectifs montrent que la poursuite des orientations actuelles ne permettra pas de se placer sur la courbe de réduction nécessaire. De plus, elles tendent à augmenter dans le secteur électrique, surtout si l'on inclut les importations croissantes d'électricité d'origine fossile, pour faire face aux besoins de «pointe».
     Ces débats n'ont pas cours. Il manque plus largement une discussion mettant en perspective, sur des bases solides, l'ensemble des conséquences économiques, environnementales et sociales, à court et à long terme, des orientations données au secteur de l'électricité.
     L'électricité est avant tout un produit énergétique noble dont la production, le transport et la distribution exigent des investissements lourds et entraînent des coûts de fonctionnement et des frais de maintenance importants. Les rendements de production des différentes filières, rarement élevés, bien plus souvent modestes, voire franchement mauvais, enchérissent ces coûts. Par ailleurs, la nette tendance à l'augmentation des coûts des investissements et des approvisionnements énergétiques constatée ces dernières années, à laquelle il faut ajouter l'impact de la construction et de l'entretien des ouvrages des réseaux de transport et de distribution de l'électricité dans un système électrique aussi centralisé que celui de la France, laisse augurer un renchérissement significatif et durable de l'électricité.

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     Enfin, aucune des énergies dont est issue l'électricité n'est sans inconvénient, local ou global, même si les degrés de nuisances et de risques couvrent un très large éventail: accidents majeurs, prolifération, matières dangereuses et déchets pour le nucléaire, pollution de l'air et émissions de CO2 et de méthane pour les combustibles fossiles, déforestation, dégâts à la biodiversité et concurrence avec les besoins alimentaires pour les plantations énergétiques, déplacements de population et dégâts environnementaux pour les grands barrages, problèmes paysagers pour les éoliennes, etc. Il faut bien sûr tenir compte aussi de l'impact des ouvrages du réseau de transport de l'électricité.
     L'impossibilité de stocker massivement l'électricité impose en outre d'intégrer pleinement le fait que le facteur dimensionnant du système est la puissance appelée, c'est-à-dire l'énergie consommée à un instant donné et pas seulement sa consommation cumulée sur une certaine durée. La répartition de la consommation a en effet des répercussions importantes sur le plan économique ou environnemental, comme le montre l'exemple du chauffage électrique, qui «pèse» 2,5 fois plus en puissance instantanée (36 % au moment du record de consommation sur le réseau français) qu'en consommation cumulée en moyenne sur l'année (14%).
     Les conséquences sociales de ces spécificités sont également lourdes. La très forte centralisation du système et la tension sur les usages crée une grande vulnérabilité de la société française au risque d'une panne géante sur le réseau, qu'elle ait pour origine des difficultés de fonctionnement du parc nucléaire français comme on l'observe en ce début d'hiver, des aléas naturels, une cause accidentelle ou un acte malveillant. De plus, le développement massif des usages non pertinents de l'électricité favorise et entretient parmi les ménages les plus pauvres un phénomène très préoccupant de précarité énergétique.
     Enfin, la réflexion sur le système électrique doit porter sur son évolution à long terme. Si l'on ne peut pas compter dans un proche avenir sur les énergies renouvelables (à l'exception de l'hydraulique et de l'éolien à court-moyen terme) pour produire des quantités suffisantes d'électricité bon marché, c'est bien dans une transition vers ces formes de production qu'il faut s'orienter à long terme. Le développement des technologies d'information associées aux réseaux fait émerger la vision des «smart grid», systèmes électriques intelligents organisés autour d'un pilotage beaucoup plus décentralisé des usages et de moyens de production locaux. Cette vision doit être adoptée dès aujourd'hui dans les choix qui structureront le système à moyen et long terme.
     Le dimensionnement, l'organisation et l'évolution du système électrique sont donc des questions majeures, qui doivent d'abord être abordées par une réflexion sur la demande. Devant l'importance sociale, économique et environnementale qui s'attache à un usage à bon escient de ce vecteur énergétique noble, rare et durablement onéreux, il a donc paru important et utile à Global Chance et négaWatt de consacrer un numéro des cahiers de Global Chance à la question de l'électricité, mais en choisissant délibérément de se consacrer à la demande d'électricité plutôt qu'à sa production.
     L'enjeu, en Europe et en France, d'un bon usage de l'électricité (au sens de sa rationalité, de son économie et de ses impacts environnementaux), justifie pleinement cette approche dans un contexte de tension croissante sur les approvisionnements énergétiques et sur les questions d'environnement à court et moyen terme, et donc des prix, avec leurs conséquences sur l'activité économique, le revenu des ménages et les inégalités sociales.
     Il serait en effet paradoxal et totalement contradictoire de s'engager, comme l'a décidé l'Union Européenne, dans une politique vigoureuse d'efficacité énergétique dans tous les secteurs d'activité et donc de diminuer les consommations d'énergie à service rendu égal ou supérieur, et d'exempter l'électricité de cet effort indispensable de sobriété et d'efficacité énergétiques.
     C'est d'autant plus nécessaire que le discours et les politiques des pouvoirs publics français comme des entreprises du secteur s'appuient sur des conventions dépassées et des chiffres biaisés qui ne reflètent ni la réalité physique, ni la vérité économique et environnementale, pour tenter de justifier un développement tous azimuts et sans entrave de la production et des usages de l'électricité.
     C'est parce que nos deux associations sont hautement conscientes du rôle irremplaçable que l'électricité peut et doit jouer dans la construction d'un système énergétique harmonieux, soucieux d'égalité de traitement et de sécurité, économiquement efficace, respectueux de l'environnement, qu'il nous paraît urgent de sortir du gâchis actuel et de mettre en avant les enjeux, les conditions et les conséquences d'une utilisation intelligente et respectueuse de l'environnement de l'électricité en France dans les décennies qui viennent.
Global Chance et négaWatt