Les unes après
les autres, les enquêtes sur les déplacements des ménages
dans les grandes agglomérations confirment le reflux de la voiture
en ville
«Quand on dit que la voiture recule,
tout le monde prend peur, tellement le concept de mobilité est associé
au dynamisme et à la croissance», note Jean-Marie
Guidez, responsable du groupe «observation de la mobilité»
au Centre d'études sur les réseaux,
les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (Certu).
«Recul ne signifie pourtant pas forcément régression,
argumente-t-il. La mobilité par personne est plus faible à
Lyon qu'à Lille, cela ne veut pas dire que Lyon se porte plus mal
que Lille.»
Il reste que les enquêtes du Certu sur
les déplacements des ménages confirment les unes après
les autres la tendance: en ville, la voiture a moins la cote. Le phénomène
fut identifié la première fois à Lille et à
Lyon en 2006. Le développement régulier de la part de la
voiture dans les modes de déplacement a soudainement calé.
A Lille, l'usage de la voiture, qui occupait
une part de 42% en 1976 et a grimpé jusqu'à 60% en 1998,
est retombé à 56% en 2006, soit un niveau comparable à
celui qui prévalait vingt ans plus tôt (55% en 1987). A Lyon,
la courbe ascendante s'est révélée comparable même
si elle n'a pas atteint les mêmes sommets: 38% en 1976, 53% en 1995
et 49% en 2006.
A Strasbourg, la voiture est devenue minoritaire
Ce qui n'était encore qu'un indice
s'est changé en tendance nationale, à mesure que les statistiques
tombaient : Reims puis Rennes, Rouen, Toulon et, dernièrement, Strasbourg
et Bordeaux... Pas une de ces villes ne fait exception sur le front du
reflux de la voiture, du modeste – 2% à Reims au spectaculaire –
7% à Strasbourg.
Dans la ville alsacienne modèle en
matière de politique de transport, la voiture est même devenue
minoritaire dans les déplacements (45%). En passant sous le seuil
symbolique des 50%, Lyon et Strasbourg sont aujourd'hui maillots jaunes,
mais d'autres villes, notamment Grenoble où une enquête est
en cours, n'ont peut-être pas dit leur dernier mot.
Quoi qu'il en soit, il se passe manifestement
quelque chose au royaume de la voiture. Pour Noël Philippe, directeur
des services urbains de Rennes métropole, la bascule a symboliquement
eu lieu à partir de l'entrée en service du métro rennais
en 2002. «Lors d'opérations de comptages de voitures sur
certains grands axes urbains, on a mesuré une baisse du trafic de
20 à 30%», indique-t-il.
Rennes, à l'instar d'autres villes,
a misé sur le développement de l'offre en métro et
bus; au point que le nombre de kilomètres en transports collectifs
a augmenté de 40% entre 2000 et 2007, ces derniers totalisant aujourd'hui
67 millions de voyages par an.
Le vélo s'est taillé une place encore modeste mais
bien visible
Parallèlement, le vélo s'est
taillé une place encore modeste mais dorénavant bien visible
dans la ville pour atteindre 5,2% des déplacements. A cela s'ajoute
la palette des outils pour faire refluer la voiture individuelle et favoriser
les alternatives: diminution des places de parking en centre-ville au profit
de parking relais en périphérie, émergence du covoiturage
et de l'autopartage, et développement des plans de déplacements
d'entreprise (PDE) qui concernent 40.000 des 200.000 salariés de
l'agglomération.
Sous l'influence des PDE, 26% des salariés
ont changé de mode de transport, renonçant à la voiture
individuelle, faisant reculer la part de l'automobile de 60 à 45%.
De même à Grenoble, grâce aux PDE, le nombre de voitures
sur les trajets domicile-travail a diminué l'an dernier de 4.800
unités.
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De toute évidence, les politiques de
transport, fruit d'investissements au long cours, commencent à emporter
l'adhésion. «Les dépenses des ménages dédiées
aux transports en commun sont passées de 1,9% à 2,1% en dix
ans. Ce n'est pas du tout anecdotique», précise Flavien
Neuvy, responsable de l'observatoire
Cetelem de l'automobile.
La contrainte du stationnement, une arme forte
Cette offre en transports collectifs est d'autant
plus efficace qu'elle s'accompagne de restrictions en matière de
stationnement pour éviter les voitures «ventouses» et
organiser la rotation des véhicules. «Lorsque la contrainte
se renforce, la part de la voiture dans les transports baisse toujours,
mais dans des proportions variables – en recul de 12 à 40% selon
les villes et les types de déplacement», souligne l'étude
du Certu sur vingt ans de politique de stationnement parue en octobre dernier.
La contrainte du stationnement est une arme
forte puisque tout déplacement en voiture suppose une place pour
se garer. Cependant la même étude relève la surveillance
«molle», des sanctions peu dissuasives et le faible respect
de la réglementation par l'usager. «Moins de deux heures
par place sont payées chaque jour en centre-ville», précise
Danielle Vulliet, en charge du stationnement au Certu. De fait, en vingt
ans, le paiement a chuté, le prix du procès-verbal n'a pas
bougé et le seuil de verbalisation s'établit à seulement
16 PV par place et par an.
Pourtant, les Français apparaissent
davantage prêts à se contraindre que ne l'envisagent les décideurs.
Les enquêtes annuelles de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise
de l'énergie (Ademe) sur les représentations sociales de
l'effet de serre montrent qu'ils jugent souhaitable d'adopter des mesures
telles que le bridage des moteurs, l'interdiction des 4 × 4 en ville
ou encore l'arrêt des constructions d'autoroutes.
"Le modèle de la voiture symbole de réussite a du plomb
dans l'aile"
Toute une série d'autres explications
sont avancées pour expliquer le reflux de la voiture en ville sans
que l'on sache quelle part revient à chacune d'entre elles. Jean-Marie
Guidez évoque la hausse du prix des carburants, les effets de la
crise, la prise de conscience environnementale, l'émergence du «e-comportement»,
télécommerce ou télétravail, ainsi que le vieillissement
de la population.
Ainsi, tous les cinq
ans, l'acheteur de voiture neuve vieillit d'un an. Il avait 47 ans
en 1995, 51 ans aujourd'hui. «Ces tendances sont appelées
à être pérennes et les gens ont intégré
l'idée que le pétrole serait de plus en plus cher»,
estime Jean-Marie Guidez. C'est d'ailleurs dans les esprits que les changements
sont les plus spectaculaires. «Les Français avaient autrefois
une voiture dans la tête. C'est sans doute moins vrai aujourd'hui»,
poursuit-il. Fin 2004, acheter une voiture était plutôt un
plaisir pour 67% des Français.
Cinq ans plus tard, c'est devenu une contrainte
pour 62% d'entre eux, selon l'observatoire Cetelem de l'automobile 2010.
«Le modèle de la voiture symbole de réussite professionnelle
a du plomb dans l'aile. La voiture est réduite à son rôle
utilitaire», insiste Flavien Neuvy. «L'idée même
de mobilité, longtemps symbole de modernité, a moins la cote,
ajoute Jean-Marie Guidez, on lui préfère la valeur montante
de proximité.»
Toutefois,
si la voiture recule au cœur des grandes agglomérations, elle gagne
encore du terrain dans les villes moyennes et en milieu rural en raison
des distances qui ne cessent de s'allonger entre résidence, commerces
et lieux de travail. C'est pourquoi, au niveau national, le nombre de déplacements
locaux – 175 millions par jour de semaine – a augmenté de 4,5% en
quinze ans.
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