CONTROVERSES ENERG...ETHIQUES !
Energies renouvelables, environnement-écologie, développement...
FLASHES 2011
Un dollar le watt de photovoltaïque installé: la course au soleil est lancée

ADIT, février
     Les Etats-Unis sont engagés dans une bataille : celle des technologies propres [1]. Et le vocabulaire utilisé récemment par le secrétaire général du Département de l'Energie (DoE), Steven Chu, n'était pas sans rappeler certaines heures de la guerre froide : il parlait de "Moment Sputnik" en Novembre dernier [2], faisant référence à la prise de conscience par les USA des capacités technologiques de l'Union Soviétique pour les vols spatiaux habités. Cette prise de conscience avait mené à la course à la Lune, ou "Moon Shot" [3]. C'est donc naturellement que Steven Chu annonçait la semaine passée le nouveau programme Américain "SunShot" [4] dont les ambitions sont d'atteindre le prix mythique de $1 le Watt de photovoltaïque installé en 2017. C'est à ce prix que l'industrie du solaire Américain pourrait gagner son bras de fer face à l'Asie et à la Chine plus particulièrement.

Genèse de l'initiative SunShot
     C'est lors d'un atelier de travail organisé l'été dernier par le DoE que le programme a été défini. C'était un gigantesque brainstorming où étaient invités une soixantaine de chercheurs, d'industriels, d'entrepreneurs et d'investisseurs du secteur photovoltaïque (PV) ou de domaines adjacents. L'objectif étant de repositionner les Etats-Unis en situation de dominance du marché PV mondial alors que la part de marché actuelle est de 6%.
     Pour cela, il faut réduire de 75% le coût du PV installé, qui comprend le coût du module, de l'électronique de puissance et de tout le reste y compris l'installation. On peut voir sur la Figure ci-dessous une décomposition du coût du PV installé suivant 3 scénarios:
- colonne 1: le coût actuel
- colonne 2: le coût en 2016 sans l'initiative SunShot
- colonne 3: le coût avec le programme $1/W

Les objectifs sont les suivants pour 2017:
     - Etre capable de produire les composants majeurs et les méthodes d'installation de systèmes de 5MW au minimum au coût d'$1/watt, ce qui équivaut à un prix moyen pondéré de l'électricité de 6 cents/kWh.
     - Le coût doit inclure tous les équipements et installations nécessaires pour que l'électricité produite soit injectée sur le réseau.
     - Utiliser des matériaux abondants.
     - Fabriquer des composants recyclables.
     - Etre compatible avec les standards de sécurité et environnementaux.

=> Un professeur de UC Berkeley aux commandes
     Encore une fois c'est un professeur de UC Berkeley qui se trouve nommé à un poste de responsabilité dans le domaine de l'énergie au niveau fédéral et qui vient grossir les rangs des représentants de la Baie de San Francisco à Washington [5].
     C'est le Professeur Ramamoorthy Ramesh qui vient de prendre pour au moins 2 ans la tête de l'équipe de 12 personnes qui gère l'initiative SunShot au sein de la division Energy Efficiency and Renewable Energy (EERE) du DoE. Techniquement en congé de son poste de directeur d'une équipe de recherche à Berkeley, ce spécialiste des couches minces et des nanostructures continue néanmoins à travailler à distance avec ses 25 étudiants et chercheurs le soir et le week-end, en s'appuyant sur l'aide des plus expérimentés. Cette hyper-activité ne l'a pas empêché de se prêter de bonne grâce au jeu de l'interview.
     Il est intéressant de noter qu'il a travaillé par le passé à Bell Labs sous la responsabilité de Jean-Marie Tarascon, spécialiste mondial de nanochimie et de stockage énergétique, aujourd'hui Professeur à l'université de Picardie, membre de l'académie des sciences et professeur au collège de France.
     Ce qui suit est la présentation de l'initiative SunShot par le Pr Ramesh.

Un programme ambitieux
     Le budget de ce programme n'est pas finalisé, mais il le sera sous peu. Il s'agit de rediriger une grande partie du budget solaire du DoE sur ce programme. En 2010 cela représentait $200 millions, dont la majeure partie allait aux laboratoires NREL, Sandia National Lab, ainsi que quelques universités et entreprises.

=> Fonctionnement
     Tout d'abord il s'agit de caractériser les différents domaines technologiques sur lesquels des avancées notables doivent être faites:
     - les modules
     - l'électronique de puissance
     - l'installation
     Ensuite dans chacune de ces catégories il faut financer des travaux de R&D ambitieux par des acteurs privés ou publics, sur le modèle de ce que fait ARPA-E [6].
     Puis lorsque les technologies sont matures - un délais de 3 ans est prévu pour les développements technologiques - il s'agira d'intégrer verticalement les acteurs travaillant sur des segments différents dans des équipes transversales Modules/Electronique/Installation en compétition entre elles pour créer des champions du PV capables de fournir une technologie complète à 1$/W installé au bout de 3 ans supplémentaires.

suite:
     La figure ci-dessous détaille le mode de fonctionnement.

=> Un premier volet de financements
     Les premiers investissements annoncés ne concernent que le manufacturing. Mais il s'agit simplement d'une communication maladroite : les $27 millions annoncés sont en réalité le premier échelon d'un plan d'investissement qui en comportera huit ou neuf. Par ailleurs les projets, illustrés sur la carte [7], étaient sur le point d'être annoncés. Il s'agit de $20 millions consacrés à des startups travaillant sur des procédés de fabrication de cellules PV [8] ainsi que de $7 millions pour soutenir des startups dans le cadre du PV Technology Incubator du NREL [9].
     Il faut s'attendre donc à voir un certain nombre de nouveaux financements se faire sur les autres catégories telles que l'électronique de puissance et l'installation dans les mois qui viennent. Par ailleurs il est intéressant de noter qu'un certain nombre de lauréats de bourses ARPA-E ont su attirer des capitaux privés. Le DoE mise sur le même mécanisme pour faire en sorte que les startups financées au départ sur les deniers de l'état finissent pas trouver grâce aux yeux des investisseurs privés [6].

=> L'intégration verticale: un vrai challenge
     Comment le DoE va-t-il en pratique mettre en place l'intégration verticale après les deux premières années de recherche des acteurs travaillant sur des sujets différents (Power Electronics, PV Array, ...)? Il ne s'agit en aucun cas de désigner des groupes devant travailler ensemble. Une série d'ateliers de travail sera organisée, au cours de laquelle on assistera à l'émergence spontanée d'équipes désireuses de se rapprocher. Cela pourra amener à la création de nouvelles architectures, de nouvelles façons de procéder. Selon Pr Ramesh il faut s'attendre à voir cela arriver dans les dernières années du programme. Ce serait donc une sorte de gigantesque brainstorming sur plusieurs années.

=> Utiliser des matériaux abondants: un objectif secondaire, pas une priorité
     Il est en effet surprenant de voir que dans la liste des lauréats du PV Technology Incubator du NREL se trouve l'entreprise Solexant qui va développer des cellules couches minces à base de tellure de cadmium. Pourtant le tellure est un composé peu abondant, et le cadmium assez toxique.
     Selon le chef de l'initiative SunShot, cela n'est pas incompatible avec les objectifs. En effet les recherches doivent être d'abord poursuivies dans toutes les directions technologiques: Silicium, cellules multi-junction (III-V) à base d'arsenure de gallium, CIGS et CdTe. Le fait de vouloir utiliser des matériaux abondants est important, mais il ne sera pas réalisé dans la période allant jusqu'à 2017. L'objectif du programme est avant tout de réaliser le $1/W maintenant avec les technologies disponibles.

=> Le stockage stationnaire peu abordé
     Il est aussi surprenant de voir que le stockage n'a pas pour l'instant sa place dans la liste des domaines abordés par l'initiative SunShot. Selon le Pr Ramesh, cela vient de la faible pénétration actuelle du marché - de l'ordre de 0,1% - et le peu d'impact que cela aurait sur la fluctuation. Mais le problème se posera très vite et c'est pourquoi il supervise la mise en place de programmes sur ce sujet en collaboration avec ARPA-E (notamment dans le programme GRIDS [10]).

Commentaire
     En 2017, quoi qu'il arrive, d'autres pays seront sans doute capables de parvenir au chiffre d'$1/W. L'objectif pour SunShot est de permettre aux Etats-Unis de garder des parts de marché, c'est pourquoi il faut avant tout rendre le PV compétitif avec les autres sources d'énergie. Cette initiative ne ferme pas la porte à des collaborations internationales et des partenariats sont mis en place avec l'Inde et l'Australie. EERE possède d'ailleurs une division qui finance des projets de collaborations internationaux similaires aux fonds France-Stanford et France-Berkeley qui permettent de financer des travaux de recherche entre des laboratoires français et ces deux universités [11].


Note: La mission pour la science et la technologie de l'ambassade de France aux Etats-Unis envisage d'organiser mi-2011 une mission aux Etats-Unis sur le thème de l'énergie solaire. Les chercheurs, qu'ils soient dans le secteur public ou privé, sont invités à manifester leur intérêt à l'adresse science@consulfrance-sanfrancisco.org, en indiquant si possible leur préférence parmi les sujets suivants:
     - solaire thermodynamique à concentration ;
     - modules PV à partir de matériaux "low cost" ;
     - modules PV facilement recyclables ;
     - évaluation de la ressource solaire ;
     - mécanismes de financement de la R&D du PV aux Etats-Unis.