Les Etats-Unis sont engagés
dans une bataille : celle des technologies propres [1]. Et le vocabulaire
utilisé récemment par le secrétaire général
du Département de l'Energie (DoE), Steven Chu, n'était pas
sans rappeler certaines heures de la guerre froide : il parlait de "Moment
Sputnik" en Novembre dernier [2], faisant référence à
la prise de conscience par les USA des capacités technologiques
de l'Union Soviétique pour les vols spatiaux habités. Cette
prise de conscience avait mené à la course à la Lune,
ou "Moon Shot" [3]. C'est donc naturellement que Steven Chu annonçait
la semaine passée le nouveau programme Américain "SunShot"
[4] dont les ambitions sont d'atteindre le prix mythique de $1 le Watt
de photovoltaïque installé en 2017. C'est à ce prix
que l'industrie du solaire Américain pourrait gagner son bras de
fer face à l'Asie et à la Chine plus particulièrement.
Genèse de l'initiative SunShot
C'est lors d'un atelier de travail organisé
l'été dernier par le DoE que le programme a été
défini. C'était un gigantesque brainstorming où étaient
invités une soixantaine de chercheurs, d'industriels, d'entrepreneurs
et d'investisseurs du secteur photovoltaïque (PV) ou de domaines adjacents.
L'objectif étant de repositionner les Etats-Unis en situation de
dominance du marché PV mondial alors que la part de marché
actuelle est de 6%.
Pour cela, il faut réduire de 75% le
coût du PV installé, qui comprend le coût du module,
de l'électronique de puissance et de tout le reste y compris l'installation.
On peut voir sur la Figure ci-dessous une décomposition du coût
du PV installé suivant 3 scénarios:
- colonne 1: le coût actuel
- colonne 2: le coût en 2016 sans l'initiative SunShot
- colonne 3: le coût avec le programme $1/W
Les objectifs sont les suivants pour 2017:
- Etre capable de produire les composants
majeurs et les méthodes d'installation de systèmes de 5MW
au minimum au coût d'$1/watt, ce qui équivaut à un
prix moyen pondéré de l'électricité de 6 cents/kWh.
- Le coût doit inclure tous les équipements
et installations nécessaires pour que l'électricité
produite soit injectée sur le réseau.
- Utiliser des matériaux abondants.
- Fabriquer des composants recyclables.
- Etre compatible avec les standards de sécurité
et environnementaux.
=> Un professeur de UC Berkeley aux commandes
Encore une fois c'est un professeur de UC
Berkeley qui se trouve nommé à un poste de responsabilité
dans le domaine de l'énergie au niveau fédéral et
qui vient grossir les rangs des représentants de la Baie de San
Francisco à Washington [5].
C'est le Professeur Ramamoorthy Ramesh qui
vient de prendre pour au moins 2 ans la tête de l'équipe de
12 personnes qui gère l'initiative SunShot au sein de la division
Energy Efficiency and Renewable Energy (EERE) du DoE. Techniquement en
congé de son poste de directeur d'une équipe de recherche
à Berkeley, ce spécialiste des couches minces et des nanostructures
continue néanmoins à travailler à distance avec ses
25 étudiants et chercheurs le soir et le week-end, en s'appuyant
sur l'aide des plus expérimentés. Cette hyper-activité
ne l'a pas empêché de se prêter de bonne grâce
au jeu de l'interview.
Il est intéressant de noter qu'il a
travaillé par le passé à Bell Labs sous la responsabilité
de Jean-Marie Tarascon, spécialiste mondial de nanochimie et de
stockage énergétique, aujourd'hui Professeur à l'université
de Picardie, membre de l'académie des sciences et professeur au
collège de France.
Ce qui suit est la présentation de
l'initiative SunShot par le Pr Ramesh.
Un programme ambitieux
Le budget de ce programme n'est pas finalisé,
mais il le sera sous peu. Il s'agit de rediriger une grande partie du budget
solaire du DoE sur ce programme. En 2010 cela représentait $200
millions, dont la majeure partie allait aux laboratoires NREL, Sandia National
Lab, ainsi que quelques universités et entreprises.
=> Fonctionnement
Tout d'abord il s'agit de caractériser
les différents domaines technologiques sur lesquels des avancées
notables doivent être faites:
- les modules
- l'électronique de puissance
- l'installation
Ensuite dans chacune de ces catégories
il faut financer des travaux de R&D ambitieux par des acteurs privés
ou publics, sur le modèle de ce que fait ARPA-E [6].
Puis lorsque les technologies sont matures
- un délais de 3 ans est prévu pour les développements
technologiques - il s'agira d'intégrer verticalement les acteurs
travaillant sur des segments différents dans des équipes
transversales Modules/Electronique/Installation en compétition entre
elles pour créer des champions du PV capables de fournir une technologie
complète à 1$/W installé au bout de 3 ans supplémentaires.
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suite:
La figure ci-dessous détaille le mode
de fonctionnement.
=> Un premier volet de financements
Les premiers investissements annoncés
ne concernent que le manufacturing. Mais il s'agit simplement d'une communication
maladroite : les $27 millions annoncés sont en réalité
le premier échelon d'un plan d'investissement qui en comportera
huit ou neuf. Par ailleurs les projets, illustrés sur la carte [7],
étaient sur le point d'être annoncés. Il s'agit de
$20 millions consacrés à des startups travaillant sur des
procédés de fabrication de cellules PV [8] ainsi que de $7
millions pour soutenir des startups dans le cadre du PV Technology Incubator
du NREL [9].
Il faut s'attendre donc à voir un certain
nombre de nouveaux financements se faire sur les autres catégories
telles que l'électronique de puissance et l'installation dans les
mois qui viennent. Par ailleurs il est intéressant de noter qu'un
certain nombre de lauréats de bourses ARPA-E ont su attirer des
capitaux privés. Le DoE mise sur le même mécanisme
pour faire en sorte que les startups financées au départ
sur les deniers de l'état finissent pas trouver grâce aux
yeux des investisseurs privés [6].
=> L'intégration verticale: un vrai challenge
Comment le DoE va-t-il en pratique mettre
en place l'intégration verticale après les deux premières
années de recherche des acteurs travaillant sur des sujets différents
(Power Electronics, PV Array, ...)? Il ne s'agit en aucun cas de désigner
des groupes devant travailler ensemble. Une série d'ateliers de
travail sera organisée, au cours de laquelle on assistera à
l'émergence spontanée d'équipes désireuses
de se rapprocher. Cela pourra amener à la création de nouvelles
architectures, de nouvelles façons de procéder. Selon Pr
Ramesh il faut s'attendre à voir cela arriver dans les dernières
années du programme. Ce serait donc une sorte de gigantesque brainstorming
sur plusieurs années.
=> Utiliser des matériaux abondants: un objectif secondaire,
pas une priorité
Il est en effet surprenant de voir que dans
la liste des lauréats du PV Technology Incubator du NREL se trouve
l'entreprise Solexant qui va développer des cellules couches minces
à base de tellure de cadmium. Pourtant le tellure est un composé
peu abondant, et le cadmium assez toxique.
Selon le chef de l'initiative SunShot, cela
n'est pas incompatible avec les objectifs. En effet les recherches doivent
être d'abord poursuivies dans toutes les directions technologiques:
Silicium, cellules multi-junction (III-V) à base d'arsenure de gallium,
CIGS et CdTe. Le fait de vouloir utiliser des matériaux abondants
est important, mais il ne sera pas réalisé dans la période
allant jusqu'à 2017. L'objectif du programme est avant tout de réaliser
le $1/W maintenant avec les technologies disponibles.
=> Le stockage stationnaire peu abordé
Il est aussi surprenant de voir que le stockage
n'a pas pour l'instant sa place dans la liste des domaines abordés
par l'initiative SunShot. Selon le Pr Ramesh, cela vient de la faible pénétration
actuelle du marché - de l'ordre de 0,1% - et le peu d'impact que
cela aurait sur la fluctuation. Mais le problème se posera très
vite et c'est pourquoi il supervise la mise en place de programmes sur
ce sujet en collaboration avec ARPA-E (notamment dans le programme GRIDS
[10]).
Commentaire
En 2017, quoi qu'il arrive, d'autres pays
seront sans doute capables de parvenir au chiffre d'$1/W. L'objectif pour
SunShot est de permettre aux Etats-Unis de garder des parts de marché,
c'est pourquoi il faut avant tout rendre le PV compétitif avec les
autres sources d'énergie. Cette initiative ne ferme pas la porte
à des collaborations internationales et des partenariats sont mis
en place avec l'Inde et l'Australie. EERE possède d'ailleurs une
division qui finance des projets de collaborations internationaux similaires
aux fonds France-Stanford et France-Berkeley qui permettent de financer
des travaux de recherche entre des laboratoires français et ces
deux universités [11].
Note: La mission pour la science et la technologie
de l'ambassade de France aux Etats-Unis envisage d'organiser mi-2011 une
mission aux Etats-Unis sur le thème de l'énergie solaire.
Les chercheurs, qu'ils soient dans le secteur public ou privé, sont
invités à manifester leur intérêt à l'adresse
science@consulfrance-sanfrancisco.org, en indiquant si possible leur préférence
parmi les sujets suivants:
- solaire thermodynamique à concentration
;
- modules PV à partir de matériaux
"low cost" ;
- modules PV facilement recyclables ;
- évaluation de la ressource solaire
;
- mécanismes de financement de la R&D
du PV aux Etats-Unis. |