Le prochain conseil des responsables
du programme de recherche sur la fusion nucléaire s'annonce houleux
: son président devra défendre un budget qui a doublé
par rapport aux objectifs initiaux. En cause, les coûts d'ingénierie
et l'explosion des besoins en matériaux.
C'est un rendez-vous tendu demain pour les
responsables du programme international Iter de recherche sur la fusion
nucléaire. Les représentants des sept puissances signataires
du traité International Thermonuclear Reactor se réunissent
en conseil au Japonavec un ordre du jour épineux: valider la nouvelle
conception du démonstrateur. Et une mauvaise nouvelle: au lieu des
5 milliards € annoncés initialement, la facture atteindra sans
doute plus du double. A laquelle il faudra ajouter 5 milliards pour l'exploitation
du site.
Le coup est rude pour ce programme lancé
dans la douleur en 2006, après des années de négociations
internationales. La France avait notamment bataillé pour accueillir
en Provence, à Cadarache, le premier démonstrateur de ce
projet de recherche prestigieux, le plus grand jamais réalisé
au niveau mondial. Quant aux physiciens, les promesses qu'ils ont «vendues»
sont attendues au tournant: une nouvelle énergie illimitée
et non polluante pour la seconde moitié du siècle. Contrairement
aux centrales nucléaires à fission, la fusion fait appel
à une source de carburant théoriquement inépuisable:
deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium.
Ce procédé possède un rendement très élevé
et produit peu de déchets radioactifs.
A condition de baigner le carburant dans une
température de plus de 100 millions de degrés dans une enceinte
sous vide où s'entrechoquent les atomes (plasma). La machine Iter
compte sur ses bobines supraconductrices pour confiner le plasma dans un
champ électromagnétique circulaire. Mais, à jouer
les démiurges, les chercheurs sont pris de vertige.
Dérapage contrôlé
«C'est un réajustement plus
qu'un dérapage», assure Didier Gambier, directeur de l'agence
européenne Fusion for Energy (FFE), la principale des sept agences
chargées de la fourniture des composants au programme. La précédente
évaluation avait été réalisée en 2001
à partir des connaissances partagées entre les trois partenaires
historiques (Euratom qui implique 28 nations, la Russie et le Japon). Depuis
vingt-cinq ans, quelques premières machines expérimentales
(tokamaks) tentent de dompter la fusion. En Europe, le prototype Torre
Supra, détenteur du record de durée de la réaction
(378 secondes) et l'équipement britannique Jet, quatre fois plus
grand, ont fourni la plupart des réponses scientifiques. Mais, depuis,
quatre puissances ont rejoint le traité signé fin 2006 (Chine,
Inde, Corée, Etats-Unis) et modifié la donne en contestant
certains choix. «Sept partenaires, c'est plus de connaissances
à partager, plus d'ingénierie, moins d'amortissement»,
résume Didier Gambier.
Depuis le début des expérimentations
sur la fusion dans les années 1970, les scientifiques butent sur
le même écueil: le contrôle du plasma. Il suffit
qu'il vienne lécher la paroi de la machine pour s'éteindre.
Les chercheurs avancent sur ce sujet de façon empirique, car la
modélisation du phénomène dépasse la puissance
des ordinateurs actuels.
Une équipe internationale de chercheurs
conduite par Todd Evans à San Diego a proposé un nouveau
concept : «créer un système «ABS» pour
rattraper les dérapages du plasma», résume Norbert
Holtkamp, directeur général adjoint d'Iter Organization.
Selon ses travaux, il suffirait de rendre légèrement chaotique
le champ de confinement magnétique avec une série de soupapes
disséminées autour de la chambre à vide, pour que
le plasma retrouve sa stabilité.
Des expériences sont en cours sur un
petit tokamak à San Diego et, d'ici peu, toutes les machines des
partenaires d'Iter testeront la solution. «On saura d'ici à
deux ans, si les choix technologiques qui ont été pris sont
les bons, explique Norbert Holtkamp. Le design global de la machine n'est
pas affecté, assure-t-il, mais des adaptations seront nécessaires.»
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Source: Consorzio RFX
Encore plus de plasma
Le changement d'échelle pose un autre
défi coûteux aux ingénieurs. Les expériences
menées dans les tokamaks actuels montrent qu'il faut augmenter le
volume du plasma pour obtenir une réaction de fusion qui dégage
plus d'énergie qu'elle n'en consomme. C'est pourquoi les chercheurs
ont le regard vissé sur deux objectifs: obtenir 500 mégawatts
pendant au moins 400 secondes pour 50 mégawatts injectés.
«Cela signifie que les particules alpha (le noyau d'hélium
issu de la fusion deutérium-tritium) devront participer à
hauteur de 66% au chauffage du plasma, contre actuellement 10% dans le
tokamak européen Jet», explique Michel Chatelier, responsable
de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique
au CEA. Les responsables du programme s'attendent donc à voir les
coûts du démonstrateur exploser, notamment à cause
du renchérissement de ses matériaux (cuivre, titane, alliages
spéciaux). «Le programme Iter est cher car il est sophistiqué»,
tranche Kaname Ikeda, son directeur général. La fabrication
des structures mécaniques est un bon exemple de cette complexité.
La production de ces pièces nécessitera 10.000 tonnes d'aciers
refroidis à moins 269 degrés et environ 130 tonnes
de niobium-étain par an sur trois ans, alors que la production mondiale
de cet alliage n'est encore que d'une tonne par an. S'il est plus
performant que l'alliage niobium-titane déjà utilisé
sur d'autres tokamaks, il est aussi quatre fois plus cher.
Calendrier serré
S'ils veulent tenir le calendrier prévu
pour la réalisation d'un premier plasma en 2018, les 34 partenaires
du programme sont malgré tout condamnés à s'entendre,
financièrement comme scientifiquement. «Iter n'est pas
seulement une machine énergétique. C'est une machine diplomatique
complexe et un défi culturel autant que technique», résume
Bernard Bigot, administrateur général du CEA et haut représentant
de la France pour Iter. Après le conseil du 17 juin, les échanges
ne devront pas durer plus de six mois avant que le nouveau budget soit
approuvé au cours d'un conseil prévu en novembre à
Cadarache (Bouches-du-Rhône). Les appels d'offres seront rédigés
et lancés dans la foulée, au tout début 2011. «Le
planning est serré», admet Didier Gambier, dont l'agence
FFE est chargée de coordonner les travaux de chaque partenaire.
Mettre tout le monde d'accord
Les rouages bien huilés de l'organisation
suffiront-ils à mettre tout le monde d'accord sur les nouveaux montants?
Les règles du traité prévoient le partage équitable
de 90% des coûts d'Iter à travers des apports en nature de
composants. Une centaine d'accords doivent être signée pour
ces fournitures. Le Japon et l'Europe auront ainsi l'essentiel du coeur
de la machine, dont les aimants seront produits essentiellement en Asie.
Les Etats-Unis interviendront sur toutes les parties du programme. L'Inde
travaillera principalement sur les auxiliaires internes... «Pas
sûr que la répartition initiale tienne le choc de la hausse
des matières premières ou des coûts d'ingénierie»,
estime le représentant d'un des partenaires d'Iter qui veut garder
l'anonymat. Certains pourraient profiter du prochain conseil pour demander
à réviser les règles. Dans le contexte actuel de la
crise financière, la diplomatie devra montrer toute sa puissance. |