Interrogations après une alerte nucléaire
européenne
Marc Payet et Frédéric Mouchon
jeudi 05 juin 2008 | Le Parisien
Le dispositif est exceptionnel. Hier, l'Union
européenne a déclenché une alerte étendue à
l'ensemble des pays membres après un incident nucléaire survenu
dans une centrale slovène. Pourtant, dans la soirée, les
autorités se voulaient rassurantes...
QUE s'est-il vraiment passé hier dans
la centrale de Krsko, en Slovénie? Un communiqué de l'Union
européenne a fait planer le spectre de la catastrophe de Tchernobyl.
Pour la première fois, une alerte publique était lancée
auprès des pays membres, à la suite de la «détection
d'une fuite dans le système de refroidissement». Ce système
d'alerte, créé en 1987 après l'explosion de la centrale
ukrainienne, est régulièrement déclenché, mais
rarement rendu public.
Uniquement «en cas d'accident nucléaire
majeur ou d'urgence radioactive». Cela semblait donc très
sérieux. Mais à 21 heures, les autorités nucléaires
de la Slovénie se montraient rassurantes: «La centrale
a été arrêtée à titre préventif,
pour permettre au personnel d'établir les causes de la panne et
de la réparer. Un arrêt d'urgence n'a pas été
nécessaire, et la panne ne devrait pas avoir d'effets sur l'environnement».
A Paris, à 21 h 15, le directeur général
adjoint de l'Autorité de sûreté nucléaire, Alain
Delmestre, donnait des précisions: «J'ai eu un échange
téléphonique avec mon homologue slovène. C'est rassurant.
Ils sont peut-être allés trop vite en besogne en déclenchant
cette alerte publique.» Du côté de la direction
croate de la centrale slovène, on explique que «l'UE a
été informée car la procédure le demande, mais
il ne s'agit pas d'un incident dont la gravité méritait d'alerter
l'opinion».Encore neuf centrales dangereuses
Bruxelles en a-t-il fait trop? Il y a pourtant
bel et bien eu un problème. «Tout ce que je sais à
cette heure est qu'une fuite d'eau s'est produite dans le circuit primaire
de refroidissement. D'après ce que l'on nous a dit, il n'y a pas
eu de rejet radioactif dans l'environnement , précisait-on à
l'ASN. La porte-parole de la présidence slovène de l'UE affirmait
qu'il «n'y avait pas de danger pour la population et l'environnement,
soulignant que la fuite ne concernait aucune matière radioactive
mais de l'eau». Mais dans une hypothèse pessimiste, une
fuite d'eau peut empêcher le réacteur de se refroidir, ce
qui peut alors entraîner le pire. «L'eau radioactive de
cette centrale reste dans l'enceinte», confirme Jean-François
Lacronique, directeur médical de l'Institut de radioprotection et
de sûreté nucléaire.
L'extrême vigilance de Bruxelles s'explique
sans doute par l'état préoccupant de certaines centrales
dans les ex-pays de l'Est. L'UE est en négociation notamment avec
l'Estonie, pour fermer ses centrales, comme celle d'Ignalina, qui est conçue
comme celle de Tchernobyl. «Il existe encore sept à neuf
centrales de ce type. Elles sont en Ukraine, en Lituanie et en Slovaquie»,
ajoute Jean-François Lacronique. La centrale de Krsko ne fait pas
partie de cette «liste noire». Elle a été
construite en 1981, par un consortium americano-japonais. Elle avait été
arrêtée un mois l'an dernier pour maintenance.
La centrale de Krsko (idé)
La fuite de la centrale nucléaire
de Krsko stoppée (sciences.blogs.liberation)
D'après l'Autorité
de Sûreté Nucléaire, informée par son homologue
slovène, la fuite survenue sur le circuit primaire de la centrale
nucléaire de Krsko (voir schéma ci dessous) a été
stoppée cette nuit, vers 2h du matin. Si l'incident technique semble
donc contrôlé et limité, sa gestion médiatique
commence à soulever un débat à Bruxelles.
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suite:
Revue de questions techniques et médiatiques.
Que s'est-il passé à Krsko?
- le circuit primaire, c'est l'eau qui passe
dans le réacteur pour se réchauffer au contact des gaines
métalliques où est niché le combustible nucléaire
dont les réactions produisent de la chaleur. Un joint défectueux
de ce circuit a laissé échapper de l'eau. Il a provoqué
une fuite, au rythme, pas très élevé, de 2,4 mètre
cube par heure, détectée à 15h07, mercredi, par les
exploitants de la centrale. L'eau du circuit primaire sert simultanément
à extraire la chaleur du coeur du réacteur pour l'exporter
vers un générateur de vapeur où elle réchauffe
celle du circuit secondaire, et de ralentisseur (modérateur) de
neutrons de manière à favoriser les réactions nucléaires.
- L'eau issue de cette fuite, peu radioactive
puisqu'elle ne charrie pas de matière nucléaire issue du
coeur, s'est répandue dans l'enceinte de confinement en béton
qui héberge le coeur du réacteur, le circuit primaire et
le générateur de vapeur, en rose dans le schéma ci
dessous
- Après détection de la fuite,
les exploitants ont mis à l'arrêt le réacteur par une
procédure normale (et non un arrêt d'urgence). Cette procédure
normale indique que le volume de la fuite n'était pas assez important
pour mettre en cause la fonction de refroidissement du coeur. C'est en
effet la crainte majeure à avoir en ce cas.
- La fuite à été localisée
sur un joint d'une des pompes primaires (entre le coeur et le générateur
de vapeur sur le schéma) [Ajout jeudi à 15h30: on apprend
des autorités slovènes qu'il s'agissait d'un joint d'une
valve d'un système de mesure de la température de l'eau et
que quinze mètres cube d'eau au plus se sont échappés
avat d'être récupérés dans des conteneurs]
.
- La diminution de la pression dans le circuit
primaire a conduit à l'arrêt de la fuite cette nuit (2h du
matin), ce qui indique qu'elle est due à un défaut d'étanchéité
du joint sous pression, et non à une brêche ouverte dans le
circuit.
- L'eau de fuite n'a pas quitté l'enceinte
de confinement.
- La réparation du joint prendra plusieurs
jours. Le réacteur ne sera pas redémarré avant autorisation
de l'autorité de sûreté slovène.
En résumé, l'incident n'a rien d'anodin en raison
de l'endroit où il a eu lieu - l'intégrité du circuit
primaire fait partie des fonctions vitales permettant le contrôle
d'un réacteur nucléaire par son refroidissement. En revanche,
il ne peut avoir de conséquences sur l'environnement ou la santé.
D'autre part, toutes les procédures
semblent avoir fonctionné correctement au plan technique. La centrale
de Krsko, conception Westinghouse, de 700 MWe, a été mise
en service en 1983.
Gestion médiatique
- Conformément aux règles en
vigueur dans l'Union Européenne, les autorités slovènes
ont fait suivre l'information avec rapidité. Moins de trois heures
après la détection de la fuite, la Commission à Bruxelles
était mise au courant, information relayée aux autorités
de sûreté nucléaire des pays qui en disposent.
- La Commission a décidé de
rendre publique l'information sans attendre.
- Il y a manifestement eu des bugs en ce qui
concerne la communication directe entre la Slovénie et l'Autriche
puisque ce pays se plaint d'avoir été informé d'un
'exercice' et non d'un incident réel.
- L'émotion soulevée par la
reprise immédiate de l'information sous le vocable 'accident nucléaire
en Slovénie', alors qu'il était difficile d'en donner les
détails a déclenché des reflexes conditionnés:
les pro-atomes ont immédiatement entonné l'air du 'c'est
pas grave', tandis que les anti-atomes leur faisaient écho sur l'air
du 'c'est catastrophique'... le tout sans information technique véritable.
D'où le rétropédalage des autorités slovènes
(qui en outre président l'Union Européenne en ce moment)
pour marteler 'tout est sous contrôle' et minimiser à outrance
l'incident technique qui, lui, est sérieux.
Du coup, la Commission se demande si elle
n'a pas fait une boulette, alors que son intention initiale était
de 'banaliser' l'information sur les incidents du nucléaire dans
le cadre de son redéploiement en Europe (la Grande Bretagne a décidé
de construire à nouveau des centrales nucléaires, Berlusconi
vient d'annoncer son intention de s'y mettre lui aussi pour l'Italie).
L'expérience française où,
depuis plus de vingt ans, tous les incidents sont rendus publics par l'Autorité
de Sûreté Nucléaire, ainsi que ses rapports et lettres
de suite aux exploitants d'installation nucléaires montre que la
répétition a fini par banaliser ce genre d'informations...
dès lors qu'elles ne sortent pas de l'ordinaire d'un système
industriel où pannes et réparations sont normales. Toute
la difficulté pour les média demeure donc d'expertiser en
'c'est grave', 'c'est pas grave', l'information recueillie... ce qui ne
peut pas toujours se faire à la minute. |