La championne du nucléaire
a des problèmes d'argent... et son conseil recale son plan de financement.
L'Elysée la presse de trouver un partenaire. Elle entend le choisir.
Le 5 février, Anne Lauvergeon, patronne
d'Areva, fait grise mine. Siemens, son partenaire allemand, vient de lui
filer entre les doigts, la laissant dans l'obligation de racheter ses parts
pour 2 milliards d'euros. Comble de malchance, l'ex-partenaire révèle
que TVO, le commanditaire de l'EPR finlandais, réclame 2,4 milliards
de pénalités à cause des retards du chantier.
Le 6 février, changement radical. Nicolas
Sarkozy visite le chantier de l'EPR de Flamanville. Anne Lauvergeon l'accompagne,
tout comme les autres sommités du monde de l'énergie français:
Pierre Gadonneix , patron d'EDF, Patrick Kron, PDG d'Alstom, et son premier
actionnaire Martin Bouygues.
Devant ces derniers, qui ont Areva en ligne
de mire, le président souhaite que le dossier de l'avenir du groupe
- l'Etat en contrôle 94% - «aboutisse rapidement»
. Et ajoute qu'Areva «est l'exemple même, dans le nucléaire,
de la réussite. Tous ses concurrents imitent son modèle intégré,
qui part de la mine d'uranium, passe par la fabrication du combustible,
la construction et l'entretien des réacteurs, et termine par le
traitement et le recyclage des déchets». Phrase magique
qui encense la stratégie défendue bec et ongles par Anne
Lauvergeon depuis la création de son groupe en 2001! Requinquée,
elle prépare la contre-attaque.
Son souhait le plus cher est de rester indépendante.
Seulement, outre Siemens et les pénalités de son EPR finlandais,
elle doit trouver 11 milliards € pour financer son programme d'investissements
d'ici à 2012. Or, en 2009, Areva n'a pas les moyens de ses ambitions.
A tel point que le conseil de surveillance a refusé de voter son
plan de financement. Du jamais-vu !
D'où la course à l'argent. Une ouverture du capital apporterait
les milliards dont Anne Lauvergeon a besoin. Hélas, actuellement,
le groupe ne serait pas estimé à sa juste valeur (il valait
deux fois plus cher il y a un an). Impossible donc à mettre en oeuvre.
Profiter de la manne du Fonds stratégique industriel? A la Caisse
des dépôts, qui en a la tutelle, le dossier Areva n'avance
pas. Le groupe garde une capacité d'endettement, mais seulement
pour quelques centaines de millions, vu l'état des marchés.
Alors que faire? Maigrir? Grossir? S'unir?
Cessions, acquisition...
La voie la plus simple consisterait à
se défaire d'actifs non stratégiques. Mais les participations
qui sont immédiatement cessibles - dans Safran, Total, GDF Suez
- se limitent à 1,5 milliard €, selon une étude de Natixis.
Il y a aussi T&D, la filiale d'Areva dans les équipements pour
la transmission et la distribution d'électricité, qui n'est
pas spécialisée dans le nucléaire. Mais la céder,
c'est se priver de près de 30% du résultat opérationnel!
Areva avait plutôt imaginé un
chemin inverse : grossir. Sur une idée d'Alain Minc, devenu conseil
d'Anne Lauvergeon, un rapprochement avec le parapétrolier français
Technip avait été mis sur la table. Pour le groupe nucléaire,
il présentait trois avantages: il l'arrimait à une entreprise
dotée d'une poche profonde; il se ménageait une aide puissante
dans les projets miniers; et il se renforçait en ingénieurs
capables de mener à bien des projets complexes. Mais ce montage,
les dirigeants de Technip, les pouvoirs publics et même le conseil
de surveillance d'Areva l'ont refusé catégoriquement en janvier
dernier. Motif: aucune synergie de fond entre les deux groupes, au-delà
des trois arguments d'opportunité.
... ou union?
C'est dans ce climat que ressurgit le projet
Alstom. L'entreprise dirigée par Patrick Kron souhaite depuis longtemps
une fusion avec Areva. Jusqu'ici, la présence de Siemens, son concurrent
direct, interdisait tout rapprochement. Aujourd'hui, il n'y a plus d'obstacle...
sinon Anne Lauvergeon, qui a promis qu'elle démissionnerait en cas
de mariage forcé. Au sein du conseil de surveillance, l'opposition
n'est pas aussi absolue.
(suite)
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Certains y voient un avantage: la nouvelle
entité atteindrait une masse critique (près de 25 milliards
de capitalisation); cela lui permettrait de cesser d'être un nain
financier en face des énormes conglomérats nucléaires
qui se constituent partout dans le monde (Toshiba-Westinghouse, Siemens-Rosatom...).
Et puis, il y a les expédients: Total,
déjà actionnaire à hauteur de 1,02%, pourrait grimper
à 5%. Ou GDF Suez, qui finance à hauteur de 5% l'usine Georges
Besse II, pourrait monter dans le capital. Officiellement, ni l'un ni l'autre
ne sont intéressés. Mais l'Etat pourrait subordonner leur
participation dans le nouvel EPR de Penly à une entrée dans
le capital d'Areva. La solution idéale pour Anne Lauvergeon et sa
stratégie de «célibattante». Mais provisoire.
Anne Lauvergeon, la reine de l'atome
Capitalisation d'Areva: 11,5 milliards
€. La patronne d'Areva est sous le choc du départ brutal de
Siemens, son partenaire dans Areva NP, la filiale réacteur du groupe
qui a mis au point les EPR. Elle doit trouver d'urgence comment financer
son programme de 11 milliards d'investissements. Elle refuse oute alliance
qui aboutirait au dépeçage du groupe qu'elle a créé
en 2001 en fusionnant Cogema (enrichissement et retraitement de l'uranium)
et Framatome. Son modèle, c'est Nespresso: vendre les centrales
à bon marché et se rattraper sur le prix du combustible.
Patrick Kron, le prédateur
Capitalisation d'Alstom: 11 milliards €. Ennemi juré
d'Anne Lauvergeon, le PDG d'Alstom est en embuscade depuis longtemps. Il
n'a jamais digéré que son rival Siemens fournisse à
sa place les turbines de l'EPR de Finlande. En se mariant avec Areva, il
compte bien récupérer T&D, la filiale transmission et
distribution, dont il a dû se séparer en 2002 et qui s'avère
très rentable. Il dispose d'alliés au sein du conseil de
surveillance d'Areva; quant à Anne Lauvergeon, elle démissionnerait
si sa belle construction était fusionnée.
Christophe de Margerie, le chevalier blanc
Capitalisation de Total: 94 milliards €. - Le directeur
général de Total souhaite se diversifier dans le nucléaire
pour devenir un acteur global de l'énergie. Dès 2008, il
s'est associé à GDF Suez et à Areva pour la construction
de deux EPR dans le golfe Persique. Plus récemment, il s'est déclaré
intéressé par le deuxième EPR de Penly où il
est prêt à prendre «une participation à deux
chiffres». Anne Lauvergeon aimerait bien qu'en échange le
gouvernement l'incite à donner un petit coup de pouce financier
à Areva en augmentant sa part dans le capital.
Gérard Mestrallet, le discret allié
Capitalisation de GDF Suez: 59 milliards €. - GDF Suez
est déjà un opérateur nucléaire important avec
sept centrales en Belgique. Il lui manque une vraie compétence technologique.
Gérard Mestrallet, le PDG, rêve de l'acquérir en participant
à la construction de l'EPR de Penly. Anne Lauvergeon aimerait qu'il
participe plus activement à ses investissements, au risque de se
rapprocher d'un de ses clients. L'Elysée pourrait appuyer discrètement
Areva en échange d'une part significative dans l'EPR de Penly ou
dans un éventuel troisième site. Donnant, donnant.
Pierre Gadonneix, le client incontournable
Capitalisation d'EDF: 57,4 milliards €. Anne Lauvergeon
ne peut pas se passer du premier client de l'usine de la Hague. Elle vient
en outre de signer avec EDF un contrat de fourniture d'uranium pour les
vingt prochaines années. Entre eux, la hache de guerre est enterrée:
Pierre Gadonneix a cessé de tempêter contre les prix de son
fournisseur et de guigner le rachat de la partie combustible. Anne Lauvergeon
souhaite toutefois diversifier ses clients et ne manque jamais de rappeler
qu'EDF ne représente qu'un quart de ses ventes.
Paul Loubière
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