CONTROVERSES NUCLEAIRES !
HISTOIRE
L'accident de la centrale de Lucens a mis fin au rêve d'un nucléaire 100% suisse
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ADIT, novembre 2009

1969 | Une grave avarie provoqua la fermeture définitive de l'installation expérimentale.
© HÉLÈNE TOBLER - En tout, il a fallu trente-quatre ans pour mettre un terme à l'expérience nucléaire de Lucens; ce n'est qu'en 2003 que les derniers fûts de déchets faiblement radioactifs ont quitté l'ancienne centrale. La possibilité d'y installer un dépôt intermédiaire de substances radioactives avait été abandonnée en 1988.

GILLES SIMOND | 14.11.2009
     Le mercredi 22 janvier de «l'année érotique», en dessous d'un gros titre consacré aux événements se déroulant à Prague, la Feuille d'Avis de Lausanne annonçait: «Centrale nucléaire de Lucens: alarme! Des produits radioactifs s'échappent dans les cavernes.» Et l'ancêtre de 24 heures de préciser, en majuscules s.v.p.: «AUCUN DANGER POUR LE PUBLIC
     L'alarme avait été donnée le jour précédent, à 17?h?13 précisément, lorsque les instruments de la salle de commande avaient indiqué l'échappement d'un gaz radioactif servant à évacuer la chaleur contenue dans le réacteur nucléaire. Ils signalaient une très grave avarie, le problème de refroidissement entraînant une surchauffe du cœur nucléaire et le début de fusion d'un élément. Le réacteur, en train d'être remis en fonction après plusieurs mois d'interruption, fut immédiatement arrêté par les dispositifs de sécurité, la ventilation stoppée, la caverne isolée pour éviter la contamination radioactive.
     Le lendemain matin, la radioactivité mesurée «n'était plus que le dixième de ce qu'elle était juste après l'accident», relevait La Feuille du jeudi 23. Mais la caverne demeurait inaccessible, et allait le rester définitivement.

Solution d'avenir?
     Le murage de la centrale de Lucens mettait un terme au projet onéreux de filière nucléaire 100% helvétique, né au début des années 1960 avec l'augmentation de la demande en électricité et qui fut soutenu par la Société nationale pour l'encouragement de la technique atomique industrielle (SNA), fondée en 1961. 

     L'atome semblait être la solution d'avenir face aux polluantes centrales thermiques à mazout ou à charbon. La Suisse devait «choisir de manière définitive de baser sa production sur la force hydraulique et l'énergie atomique et conjuguer ces deux agents énergétiques en un système rationnel», écrivait le Conseil fédéral dans son «Rapport de gestion» de 1964. C'est ainsi que naquit la centrale expérimentale de Lucens, dont la mission était la recherche, la formation et le développement de la technologie, avant la production d'électricité.
     Construit dès 1962, le réacteur était de type dit «à eau lourde», fonctionnant à l'uranium naturel, que l'on espérait alors dénicher dans les Alpes, ce qui aurait assuré l'indépendance de la Suisse. Cent fois moins puissant que ses homologues actuels, il n'a fourni du courant qu'à partir de janvier 1968. Mais, pour l'industrie du nucléaire, Lucens a rempli sa mission en permettant la formation d'une génération de spécialistes – physiciens, chimistes et ingénieurs.
     Cela dit, il faut noter que les centrales construites en Suisse l'ont été à partir d'autres types de technologie, importés d'Allemagne et des Etats-Unis...
     En 1979 – dix ans après les faits! – le rapport de la commission d'enquête sur l'accident de Lucens conclut à une avarie technique. L'humidité régnant dans la caverne aurait corrodé des équipements. Le rapport précisait également que ni les techniciens présents dans la centrale ni la population environnante n'avaient été exposés au rayonnement radioactif.

Jusqu'en 2003
     Le démontage de la centrale de Lucens prit du temps: les cavernes ont été partiellement comblées par du béton en 1992, et les derniers déchets radioactifs n'ont été expédiés vers un dépôt à Würenlingen qu'en septembre 2003.
En avril 1992, le président de la SNA, André Gardel, remit les clefs du site au conseiller d'Etat Daniel Schmutz. Nouveau propriétaire, le canton de Vaud le transforma alors en vaste réserve pour le patrimoine culturel cantonal, baptisé Dépôt et abri de biens culturels, inauguré en octobre 1997. Animaux empaillés, bobines de films, découvertes archéologiques et autres manuscrits précieux ont remplacé les barres d'uranium.