GRÉGOIRE BISEAU et KARINE LE LOËT (à
Londres)
QUOTIDIEN : mardi 24 juin 2008 Et si EDF était en train de se fourvoyer?
En souhaitant prendre le contrôle de British Energy (BE), l'électricien
français serait en train de renouer avec ses vieux démons
qui, dans son histoire encore récente, lui ont fait faire de grossières
erreurs en matière d'acquisition. C'est la thèse développée
en interne par plusieurs cadres qui s'inquiètent de voir leur groupe
s'apprêter à faire un chèque de 14 milliards €
pour racheter un parc de huit centrales nucléaires, en piteux état.
Et qui ne servira à rien.
|
Mais, et c'est là tout le problème, selon nos informations,
un seul site de BE pourrait accueillir en l'état un futur EPR. Si
on met de côté les deux centrales écossaises (où
il existe un moratoire sur le nucléaire), il reste donc six sites
potentiels. Or, soit par manque de place, soit à cause de zones
protégées, ou de risques d'élévation du niveau
de la mer, voire de faille sismique, un seul de ces emplacements (celui
de Sizewell) peut a priori accueillir un EPR. Sans le reconnaître
officiellement, EDF en a bien conscience, puisque depuis une grosse année,
il rachète, en toute discrétion, des terrains privés
autour de la centrale d'Hinckley Point et de celle de Wylfa, propriété
non pas de British Energy, mais de la Nuclear Decommissioning Authority
(NDA), organisme public en charge du démantèlement des centrales.
Et c'est là que le dossier devient baroque: pourquoi se porter acquéreur
de BE, tout en achetant des terrains? «Nous savons qu'EDF a acheté
des terrains privés en bordure de la centrale de Wylfa, au Pays
de Galles. Mais ils n'ont pas assez d'espace pour construire un EPR. S'ils
veulent en faire un, ils auront besoin du terrain de la centrale qui appartient
à la NDA», souligne Bill Hamilton, chef de la communication
à la NDA. En revanche à Hinckley Point, EDF serait propriétaire
d'une superficie suffisante pour construire tout seul un EPR. Sans l'aide
de BE.
«Rois des couillons». C'est d'autant plus troublant que la NDA a déclaré vouloir mettre aux enchères certains de ses sites (dont Wylfa) pour permettre à un nouvel acteur de venir concurrencer le futur propriétaire de BE. Pourquoi alors s'entêter à vouloir prendre le contrôle du groupe si on peut faire sans? Pour l'instant, EDF y voit un atout politique. «C'est clair que si EDF n'obtient pas la garantie de Londres de pouvoir construire plusieurs EPR sur les sites de BE, alors on est les rois des couillons», s'amuse un administrateur, pourtant favorable au projet. La direction d'EDF, elle, se dit droite dans ses bottes et ne déposera son offre que si elle a la certitude de pouvoir construire ses quatre EPR, sans l'acquisition de nouveaux terrains. Pour un groupe évalué à 11,2 milliards de livres (14,2 milliards €), c'est le moins. |