Par le colonel Jean-Louis
DUFOUR
Notre consultant militaire est officier de carrière dans l'Armée française, ex-attaché militaire au Liban, chef de corps du 1er Régiment d'infanterie de marine. Il a aussi poursuivi des activités de recherche: études de crises internationales, rédacteur en chef de la revue Défense… et auteur de livres de référence sur le sujet, dont «La guerre au XXe siècle» (Hachette 2003), «Les crises internationales, de Pékin à Bagdad», (Editions Complexe, 2004) Depuis le 11 septembre 2001 et à chaque manifestation d'Al Qaida, certains spécialistes du terrorisme se posent la question: et si des terroristes mettaient en œuvre un engin à dispersion radiologique (EDR)(1), une «bombe sale»? Outre-Atlantique, la menace est prise au sérieux. Le service spécialisé du NEST (Nuclear Emergency Search Team) a récemment accru sa vigilance après avoir relevé des échanges sur Internet concernant une contrebande de matières radioactives à partir du Mexique et à destination des Etats-Unis. Diverses informations font également état de propos tenus il y a quelques semaines par un responsable d'Al Qaida. Abou Hamza Al-Mouhadjer -c'est son nom- appelait des scientifiques à rejoindre en Irak les rangs de l'organisation. Le but affiché était explicite puisqu'il s'agissait de travailler au montage et à l'emploi d'un engin à dispersion radioactive contre une base américaine. Ce serait là, précisait l'homme d'Al Qaida, une bonne occasion de tester l'efficacité de ce type de bombe. Si l'on considère la facilité avec laquelle un pareil engin peut être mis au point, le moment viendra fatalement où il sera utilisé. On peut même se demander pourquoi cela n'est pas déjà survenu. Autant de raisons qui amènent à s'interroger sur la technique des «bombes sales», leurs effets et les moyens de s'en prémunir. Un EDR est conçu pour disperser des matières radioactives. Le plus simple est de les disséminer dans l'atmosphère, sans violence ni explosion, ou de polluer un fleuve ou une adduction d'eau. De très nombreuses personnes seraient ainsi susceptibles d'être irradiées subrepticement. Toutefois, sauf emploi massif de matières hautement radioactives, les effets d'une telle exposition se feraient sentir en principe seulement à long terme. Les personnes atteintes mourraient d'un cancer des mois ou des années plus tard. Ce type d'engin simplifié, voire sommaire, ne saurait causer cette panique paroxystique espérée par tout auteur d'un attentat dès lors que son «exploit» est amplifié par les médias. C'est pourquoi un terroriste devrait privilégier un système capable de provoquer un véritable choc dans l'opinion, à la fois brutal, dramatique et spectaculaire. Ceci est possible en mêlant des produits radioactifs à des explosifs classiques. Des particules radioactives seraient dispersées, tandis que l'explosion, conçue pour être meurtrière, aurait également pour fonction d'avertir la population et les autorités censées la protéger. Par-delà un grand nombre possible de victimes instantanées, les auteurs de l'attentat pourraient espérer provoquer une grande panique. Manipulation fort périlleuse
(1) En anglais: «radiological dispersion device» ou RDD. |
Pour être redoutable, aussi bien dans
l'instant qu'à long terme, un EDR devrait utiliser des produits
hautement radioactifs comme le plutonium 238 ou le cesium-137, tous matériaux
très difficiles à se procurer dans la mesure où ils
sont extrêmement dangereux et leur manipulation fort périlleuse.
Faute de pouvoir se protéger contre les radiations, l'aspirant terroriste
pourrait bien mourir avant d'avoir pu se faire sauter. En septembre 1999,
deux militants tchétchènes s'effondraient quelques minutes
seulement après avoir dérobé des sources radioactives
dans une usine chimique de Grozny.
Il est cependant des matériaux nucléaires moins délicats à utiliser comme l'americium-241 ou le strontium-90. Dans ce cas, la bombe sale ne provoquerait pas dans l'instant des pertes considérables. Certaines personnes, légèrement contaminées, auraient toute chance de guérir. Et pourtant. La panique surviendrait dès l'annonce par les autorités, probablement inévitable, que l'explosion s'accompagne d'une contamination radioactive, censée durer un fort long temps, parfois plusieurs dizaines d'années. La zone infectée devrait être évacuée jusqu'à décontamination complète, ce qui prendrait du temps et coûterait cher. Les bombes sales sont redoutables dès lors qu'elles associent une létalité instantanée à des dommages graves, à plus ou moins long terme. Il n'est que d'imaginer les conséquences de l'explosion d'un EDR sur une place centrale et animée d'une grande métropole, New York, Casablanca, Londres, Paris… pour mesurer le danger. Si l'emploi d'une «bombe sale» survient un jour, son «rendement» demeure incertain. Toute arme exige une expérimentation préalable pour en maximiser les effets. Divers pays, l'Irak en particulier, ont tenté d'en mettre au point et y ont renoncé, pour cause d'inefficacité en tant qu'arme de guerre. Reste l'action terroriste. Il y a eu des précédents, au demeurant peu concluants (voir encadré). S'il survenait, un tel attentat devrait de préférence frapper un objectif symbolique, représentatif d'un pays que l'on voudrait combattre. Sans doute les auteurs éviteraient-ils d'agir chez eux, mais plutôt dans un pays supposé ennemi… Pareille menace mérite d'être prise en compte. A charge pour les Etats d'établir une veille spécialisée aux frontières pour empêcher l'entrée de matériaux radioactifs. Il leur faut aussi former des équipes de décontamination disponibles en permanence, stocker des équipements spéciaux en quantité suffisante, établir des plans d'intervention, informer le public, seuls moyens connus pour tenter de se prémunir contre les risques d'un attentat à la «bombe sale». Bombes sales, les précédents
Mesures de précaution
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