Depuis la mi-novembre, Areva
a ajourné deux projets non stratégiques, une extension de
bureaux sur un site américain et l'exploitation d'une mine d'uranium
au Canada. La crise pousse les clients à un certain attentisme.
Ce sont de petits événements,
des mesures de gestion quotidienne par les temps qui courent. Mais dans
le nucléaire, elles reflètent un changement d'attitude contrastant
avec la confiance habituelle du secteur dans la relance de l'atome. Depuis
la mi-novembre, Areva a ainsi ajourné deux projets. Le groupe a
reporté la construction de nouveaux bureaux sur son site de Lynchburg,
aux Etats-Unis. Sur place, le groupe a justifié cette décision
par «le climat économique actuel», qui «crée
une forte incertitude sur tous les marchés, y compris celui de l'énergie».
Il a aussi décalé un projet de mine d'uranium au Canada,
dont l'exploitation devait initialement débuter en 2010.
Projets de développement
Le champion français du nucléaire
ne remet pas en question ses projets de développement. A Lynchburg,
il envisage d'embaucher entre 200 et 250 salariés l'année
prochaine, après un renforcement de ses effectifs de 350 personnes
cette année. Quant à sa stratégie dans l'uranium,
le groupe présidé par Anne Lauvergeon entend toujours doubler
sa production d'ici à 2012, à 12.000 tonnes.
Plus largement, il vient d'annoncer la construction
d'une nouvelle usine américaine de composants lourds avec Northrop
Grumman, pour 360 millions de dollars. Il a aussi pris au début
du mois une participation symbolique dans son fournisseur japonais Japan
Steel Works.
Mais le resserrement du crédit risque
de freiner la renaissance de l'atome. «La crise pourrait favoriser
certains modèles peu risqués en termes de mise de fonds initiale,
ce qui est le cas du gaz naturel, et du charbon dans une moindre mesure,
souligne Marc Benayoum, directeur associé au sein du cabinet de
conseil BCG. Le nucléaire demande des reins solides.»
Officiellement, une centrale EPR coûte
3 milliards €. Mais selon le patron d'E.ON, le géant allemand
de l'électricité, il faut en réalité compter
entre 5 et 6 milliards € pour un réacteur de troisième
génération de 1.600 mégawatts, soit plus
de 3 millions € par mégawatt. Par comparaison, il
faut compter un investissement moyen de 750.000 € par mégawatt
installé pour une centrale à gaz et 1,75 million € par
mégawatt pour une centrale vapeur.
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suite:
La question est sensible aux Etats-Unis, où
les groupes d'énergie sont plus fragiles du fait de leur dimension
régionale. Et leurs actionnaires, souvent privés, sont intéressés
par des durées d'amortissement courtes, peu compatibles avec le
nucléaire, selon les experts. Par ailleurs, les acteurs attendent
de voir la politique de Barack Obama.
La prudence de Barack Obama
Durant sa campagne, le candidat démocrate
mettait l'accent sur la réduction des émissions de CO2,
sans exclure le nucléaire, mais en favorisant les énergies
renouvelables. Son rival conservateur, John McCain, était plus décidé
: il voulait construire 45 réacteurs d'ici à 2030...
Chez Areva, on reconnaît à demi-mot
que le développement aux Etats-Unis pourrait prendre plus de temps
que prévu. Mais on veut aussi voir une chance dans la prudence de
Barack Obama, pour qui l'avenir du nucléaire ne peut être
abordé sans régler au préalable la question du retraitement
des déchets - un métier sur lequel le groupe français
est leader. Kit Batten, une experte énergétique du Center
for American Progress, un «think tank» réputé
proche du président élu, s'est d'ailleurs rendue en France
cet automne pour s'informer sur les solutions possibles sur la fin de cycle,
se félicite- t-on dans le groupe.
Mais la crise laisse aussi des traces ailleurs.
Elle n'a certes pas empêché la Bulgarie de confirmer sa commande
de 2 réacteurs pour la centrale de Belene. Dans d'autres pays, cependant,
l'attentisme est patent. En Afrique du Sud, la décision concernant
le projet de construction de deux centrales d'ici à 2016, puis de
10 autres tranches d'ici à 2025, a été reporté
par l'électricien Eskom de septembre à fin décembre.
Mais les experts s'interrogent sur la possibilité d'une réelle
avancée avant les élections, au printemps 2009.
Au Canada, l'Etat d'Ontario ne veut plus choisir
le constructeur de sa future centrale d'ici au 31 décembre, mais
au 31 mars 2009. Il évoque la «débâcle»
des marchés boursiers, mais aussi le degré de risque financier.
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