LE MONDE | 06.08.08
Sommes-nous en train d'assister au début
d'une farce grandeur nature aussi amusante que terrifiante? Son thème?
L'escamotage du risque nucléaire face à la catastrophe du
changement climatique et à la crise pétrolière. Lors
du sommet du G8 organisé à la mi-juillet à Hokkaido,
le président américain, George Bush, a de nouveau plaidé
pour la construction de centrales nucléaires. Son homologue français,
Nicolas Sarkozy, souhaite que l'Europe se dote de nouveaux réacteurs
et appelle à la relance de l'énergie nucléaire dans
une économie post-pétrole. Tout se passe comme si, pour préserver
le climat, le monde devait apprendre à apprécier la "beauté
de l'énergie nucléaire", ou "énergie verte", comme
le secrétaire général de la CDU allemande, Ronald
Pofalla, vient de la rebaptiser. Au vu de ce nouveau virage dans la politique
du langage, il importe de se remémorer les éléments
suivants.
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Or les formes actuelles du discours public et scientifique ne sont
pas à la hauteur de telles considérations. Les gouvernements
adoptent en la matière une stratégie de simplification délibérée.
Ils présentent chaque décision particulière comme
un choix entre une solution sûre et une solution risquée tout
en minimisant les incertitudes de l'énergie nucléaire et
en focalisant l'attention sur le changement climatique et la crise pétrolière.
Les lignes de fracture concernant l'appréciation des risques globaux sont de nature culturelle. Plus les périls échappent aux méthodes de calcul scientifique pour former un domaine de non-savoir relatif, plus la perception culturelle des risques globaux spécifiques, autrement dit la croyance ou non dans leur réalité, devient importante. Dans le cas de l'énergie nucléaire, nous assistons à un véritable choc des cultures du risque. Ainsi, l'expérience de Tchernobyl est perçue différemment en Allemagne et en France, en Angleterre et en Espagne, en Ukraine et en Russie. Pour beaucoup d'Européens, les risques posés par le changement climatique dépassent de loin ceux de l'énergie nucléaire ou du terrorisme. A présent qu'il est admis que le changement climatique résulte de l'activité humaine et que ses effets catastrophiques sont considérés comme inévitables, les cartes sont redistribuées dans la société et en politique. Or il est totalement erroné de penser que le changement climatique mènera fatalement à la destruction de l'humanité. Car le changement climatique ouvre des opportunités inattendues pour reformuler les priorités et les règles de la politique. Bien que la hausse du prix du pétrole soit bénéfique pour le climat, elle s'accompagne de la menace d'un déclin massif. L'explosion du coût de l'énergie grignote le niveau de vie et fait naître un risque de paupérisation au coeur même de la société. En conséquence, la priorité qui était encore accordée à la sécurité de l'énergie vingt ans après Tchernobyl est à présent mise à mal par la question de savoir combien de temps les consommateurs vont pouvoir maintenir leur niveau de vie face à la hausse constante du prix de l'énergie. Pourtant, négliger le "risque vestigiel" de l'énergie nucléaire, c'est ne pas comprendre la dynamique culturelle et politique de la "société à risque résiduel". Les critiques les plus tenaces, efficaces et convaincants de l'énergie nucléaire, ne sont pas les Verts - le plus influent opposant à l'industrie nucléaire est l'industrie nucléaire elle-même (voir les problèmes survenus récemment au Tricastin et à Romans-sur-Isère). Cette menace est constante et permanente, et elle reste présente même lorsque les manifestants épuisés ont depuis longtemps cessé de lutter. La probabilité d'accidents improbables s'accroît avec le nombre de centrales nucléaires "vertes"; chaque "occurrence" ravive dans le monde entier le souvenir de toutes les autres. Le risque signifie l'anticipation de la catastrophe, pas seulement en un lieu donné, mais partout. On n'aura même pas besoin de voir survenir un mini-Tchernobyl en Europe. Il suffira que l'opinion mondiale ait vent d'un cas de négligence et d'"erreur humaine" quelque part dans le monde pour que brusquement les gouvernements qui se font les avocats de l'énergie nucléaire "verte" soient accusés de jouer avec insouciance et sans discernement avec les intérêts de sécurité des populations. (Traduit de l'anglais par Gilles Berton)
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