Le prix de l'uranium a été multiplié
par 15 entre 2001 et 2007. Cette augmentation peut-elle avoir un impact
sur le prix du kWh d'électricité?
Francis Sorin: S'il est vrai que le prix de l'uranium dans le
marché à court terme a beaucoup augmenté, cette hausse
est moindre dans les contrats à long terme [ndlr : + 800% en 6 ans].
De plus, on part de valeurs très basses. On estime la part du prix
de l'uranium à 4-5% seulement du prix du kWh. Donc si cette part
atteint par exemple 7%, l'augmentation ne sera ressentie que très
faiblement par le consommateur. Ces hausses ne sont pas négligeables,
mais elles n'ont rien à voir avec ce qu'entraînent les coûts
des énergies fossiles. Le nucléaire reste compétitif,
et je ne pense pas que l'Etat français essaye de cacher l'augmentation
du prix du nucléaire en maintenant le kWh à un prix artificiellement
bas.
Stéphane Lhomme: Les pro-nucléaires continuent
à affirmer que l'impact est faible. Pourtant, le prix de l'uranium
a été multiplié par 8, ce qui ferait passer la part
du prix de la matière première de 5 à 30%! Il y aura
forcément un impact sur le coût de revient du kWh, mais l'Etat
français peut décider de vendre à perte pour raisons
sociales. Quoi qu'il en soit, dans les contrats à longue durée,
les hausses ne sont pas immédiatement répercutées.
Par exemple, le contrat d'Areva au Niger arrive à terme en décembre
2008, et on peut s'attendre à un maintient du prix du kWh d'ici
là. Le vrai problème, c'est la rareté de cette matière
première. L'uranium facilement extractible a déjà
été utilisé. Les prospections sont coûteuses,
et les gisements découverts sont plus profonds, donc plus chers
à exploiter.
Les coûts de construction, maintenance et démantèlement
des centrales nucléaires sont très élevés.
Ne devraient-ils pas plomber le prix de l'électricité?
Stéphane Lhomme: Si on écoute le discours officiel,
tout est compris dans le prix du kWh. Pour le démantèlement
par exemple, la Grande-Bretagne a prévu 103 milliards €. Alors
que la France a beaucoup plus de centrales que son voisin anglais, EDF
n'aurait mis de côté que 30 milliards €, qui ne sont
même pas un fonds dédié. Il risque de manquer des centaines
de milliards €. Le nucléaire peut être rentable si on
répercute les coûts sur les générations futures.
Dans la situation actuelle, on découvrira une facture astronomique
dans quelques années. C'est une façon de délester
les entreprises du nucléaire de leur responsabilité quant
au démantèlement.
Francis Sorin: Le prix de la construction du parc nucléaire
français, qui a 20 ans de moyenne d'âge, est déjà
amorti ou est en voie de l'être. C'est le moment où le nucléaire
devient une machine à cash extraordinaire, car le prix de l'uranium
est extrêmement bas par rapport aux énergies fossiles. La
maintenance et la gestion des déchets sont anticipées: les
dépenses font partie de l'ordinaire et sont comprises dans le prix
du kWh. Il est prévu de stocker les déchets de haute activité
à vie longue dans des formations géologiques en profondeur.
Pour ce projet, 15 milliards € sont investis sur 100 ans, dont la
moitié pour la construction et l'autre pour l'exploitation. |
Même si ce chiffre s'avère sous-estimé,
le coût supplémentaire sera répercuté sur 100
ans, et ne sera que très peu perçu. Le CEA et Areva font
des provisions (25 à 30 milliards €) pour disposer de fonds
pour le démantèlement des centrales en fin de vie. Il n'y
a pas de surprise, les coûts sont pris en compte dès le départ,
en prévision des dépenses d'entretien à venir. C'est
notre génération qui paye, pas celle de nos enfants.
La France peut-elle réellement se passer de l'énergie
nucléaire?
Stéphane Lhomme: On accuse les anti-nucléaires
de vouloir remettre à l'ordre du jour l'utilisation du pétrole,
du gaz et du charbon. Mais les énergies fossiles représentent
déjà 75% de l'énergie produite en France. Certes,
si la France stoppe le nucléaire, il faudra peut-être remplacer
une partie du nucléaire par des énergies fossiles. Mais nous
sommes déjà dépendants du charbon allemand en hiver.
Le miracle nucléaire n'est pas au rendez-vous: pour résoudre
le très grave problème énergétique à
venir, il faudra faire des économies d'énergies et développer
les énergies renouvelables.
Francis Sorin: Pour produire la même quantité qu'aujourd'hui
sur la base d'un baril de pétrole à 100 dollars, il faudrait
dépenser 43 milliards de dollars en pétrole ou 33 milliards
en gaz. La seule possibilité serait de développer les énergies
renouvelables tout en lançant une politique de réduction
des dépenses d'énergie. Mais même alors, il faudrait
investir près de 25 milliards en installations, et continuer à
acheter des énergies fossiles en attendant. Les énergies
renouvelables ne seront pas à la hauteur. Cet investissement serait
une ponction sur la richesse nationale, sans contrepartie pour l'emploi.
Et la France a-t-elle économiquement intérêt
à sortir du nucléaire?
Francis Sorin: La France s'est constitué une filière
nucléaire complète, elle est le leader mondial dans ce secteur.
Malgré des importations d'énergie d'Allemagne, elle exporte
massivement son énergie nucléaire et reçoit des commandes
de centrales du monde entier. Si l'on prend toutes ces données en
compte, le chiffre d'affaire moyen du nucléaire est de 6 milliards
€ par an, soit un des postes bénéficiaires les plus
importants de la balance commerciale.
Stéphane Lhomme: En France, le nucléaire est une
idéologie. Ailleurs, on évalue la rentabilité de cette
énergie comme on le fait avec les autres. Les Etats-Unis par exemple
ont revu leurs prévisions de construction de réacteurs à
la baisse: 12 au lieu de 30. De plus, on n'a jamais eu de chiffres fiables
sur l'argent que rapporte à la France l'exportation de sa technique
nucléaire. En Finlande, Areva a deux ans de retard sur un chantier
qu'elle a vendu à prix fixe. On a également dénoncé
la vente, a priori à perte, de réacteurs à la Chine,
qui a signé surtout pour l'uranium vendu avec. Il y a beaucoup d'effets
d'annonce sur ces questions. Il y a également un petit problème
démocratique: les contrats signés par la France le sont,
le plus souvent, avec des régimes dictatoriaux. |