LES SUJETS sensibles abordés
à l'école ne manquent pas, y compris en sciences. Alors que
la question du nucléaire fait régulièrement la une
de l'actualité, ce thème n'est abordé pour la première
fois qu'en classe de troisième. C'est le professeur de géographie
qui fait étudier le plus le sujet. En France, les manuels sont libres,
autrement dit non officiels, selon une loi datant de la IIIe République.
Les établissements ont donc le choix entre plusieurs ouvrages scolaires.
Celui de Nathan pour la classe de seconde, l'un des plus vendus (100.000
exemplaires), est dirigé par Jean-Louis Mathieu, un professeur de
géographie en khâgne au lycée Fénelon à
Paris, qui se présente volontiers comme pronucléaire. Il
a en charge une équipe de cinq à sept professeurs dont «un
plutôt écolo qui a un peu tendance à noircir le tableau»,
explique Jean-Louis Mathieu. «Certes, le nucléaire présente
des risques, mais il ne produit pas de gaz à effet de serre. Et
quand on veut fournir de l'énergie à une région de
5 à 10 millions d'habitants, ce n'est pas avec des éoliennes
qu'on pourra le faire, analyse-t-il. Et tout ça, je le dis
à mes khâgneux parce que ce sont des adultes.»
Distributions de mallettes Les pages 200 et 201 du manuel présentent un ensemble intitulé «L'environnement en débat». Elles posent la question: «Faut-il continuer à construire des centrales nucléaires?». La page de gauche propose trois illustrations plutôt neutres: une carte sur les emplacements des réacteurs nucléaires dans le monde et deux graphiques, le nucléaire dans la production mondiale d'électricité» et la répartition de la production d'énergie nucléaire dans le monde. La page de droite est plus discutable. Elle présente une grande affiche des Verts montrant des réacteurs de centrale avec pour slogan «Sortir du nucléaire, en 20 ans, c'est possible», ainsi que deux textes. |
Le premier, en faveur du nucléaire, est signé Patrice
Bernard, directeur du développement et de l'innovation nucléaire
au Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Le second, rédigé
par Bernard Laponche, de la société ICE Consultants, est
une attaque en règle contre l'énergie nucléaire. Or,
l'ouvrage ne précise pas que l'auteur est un militant antinucléaire
très connu: après avoir travaillé au CEA, il a rejoint
le cabinet ministériel de Dominique Voynet en 1998.
Le même problème se pose avec le cédérom L'Atlas des énergies, réalisé par Bertrand Barré et édité par Delagrave, très utilisé par les enseignants pour préparer leurs cours. Une rapide enquête permet de découvrir également - ce que L'Atlas ne précise pas - que l'auteur a été attaché nucléaire près de l'ambassade de France aux États-Unis, et directeur des réacteurs nucléaires au CEA. Aujourd'hui retraité, il est conseiller scientifique auprès d'Areva. Dans ce contexte, certains enseignants, y compris parmi les pronucléaires, n'hésitent pas à parler de «pression du lobby nucléaire», selon l'expression d'Hubert Tison, secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie. Elle se manifeste via des distributions de mallettes, des cédéroms ou encore des propositions d'intervention dans les classes. Jérôme Theuillon, professeur d'histoire et de géographie en classe de troisième près de Lyon, enseigne le nucléaire en éducation civique. Il y a quelques années, il a fait venir EDF dans sa classe pour présenter l'énergie en France. «C'était très axé sur le nucléaire, très propagandiste. Rien n'était dit sur les risques d'accident. C'est nous, les enseignants, qui en avons parlé après à nos élèves», se souvient-il. Depuis, il n'a jamais renouvelé l'expérience. |