BENJAMIN DESSUS ET BERNARD LAPONCHE
Qu'on en juge.
«Il y a trente ans, la France fit
le choix du nucléaire. C'était le prix de son indépendance,
celui de sa prospérité, celui de sa liberté.»
Belle
erreur! En termes de sécurité énergétique,
tant économique que géopolitique, la contrainte majeure est
la dépendance pétrolière. Or la consommation de pétrole
par habitant de la France atteignait 1,48 tonne en 2006, autant qu'en Allemagne
(1,49 tonne), plus qu'en Grande-Bretagne (1,41 tonne) et que la moyenne
de l'Union européenne (1,36 tonne), qui n'ont pourtant pas choisi
le «tout-nucléaire». L'autonomie vantée
par l'auteur est aussi une illusion. Les produits pétroliers
représentent 50% de la consommation d'énergie finale de la
France, loin devant l'électricité (21%). Et si celle-ci est
à 70% d'origine nucléaire, n'oublions pas que la totalité
de l'uranium naturel, qui est la source de cette énergie, est importée.
Sur la question de la prolifération,
l'argumentation est a priori plus subtile. Les technologies de l'enrichissement
de l'uranium en isotope 235 et du retraitement du combustible irradié
avec production de plutonium sont à la base d'un programme militaire.
La solution: s'assurer que le pays qui voudra développer un programme
civil n'ait pas accès à ces technologies et que le combustible
nucléaire soit «géré» par une «banque
du combustible». Mais le grand argument utilisé par les promoteurs
du nucléaire, repris au début de l'article de Bernard Kouchner,
a depuis toujours été l'«indépendance».
Cela signifie qu'un pays qui veut se doter d'un programme nucléaire
civil doit se doter d'une industrie autonome du combustible. Si celui-ci
dépend d'une ou de plusieurs puissances étrangères,
l'indépendance disparaît.
Certes, le retraitement des combustibles irradiés
et la production du plutonium n'ont rien d'obligatoire pour produire de
l'électricité d'origine nucléaire. La plupart des
pays s'en passent. Un traité international interdisant cette technologie
serait déjà un progrès considérable vis-à-vis
des risques de prolifération comme de détournement d'une
matière fissile extrêmement dangereuse. Par contre, l'enrichissement
est une nécessité si l'on développe des réacteurs
à eau ordinaire et uranium enrichi (filière la plus courante
et dont l'EPR est le dernier avatar). C'est sur ce point que la propagande
développée par le ministre des Affaires étrangères
aboutit à une impasse, évidente dans le cas de l'Iran
et applicable aux autres «clients» potentiels, surtout s'ils
ne sont pas signataires du traité de non-prolifération. Qui
veut développer un programme civil avec ce type de réacteur
se doit de développer un programme d'enrichissement au nom de sa
prétendue indépendance énergétique. Il peut
alors enrichir l'uranium à des fins militaires le jour où
il en prend la décision. |
Que dire maintenant des politiques énergétiques
qui permettent le développement économique et social tout
en réduisant les contraintes de la sécurité énergétique
et du réchauffement climatique? Tout le monde s'accorde aujourd'hui,
l'Agence internationale de l'énergie et l'Union européenne
les premières, à reconnaître que la priorité
des priorités est la mise en oeuvre dans tous les secteurs d'activité
d'une politique d'efficacité énergétique beaucoup
plus ambitieuse qu'elle ne l'est aujourd'hui. Les gains potentiels sur
la consommation d'énergie sont considérables et c'est là
que se situe la plus grande ressource énergétique. Ensuite,
et c'est particulièrement vrai pour les pays du pourtour méditerranéen,
vient le développement des énergies renouvelables:
biomasse (chaleur et biogaz), éolien, solaire.
Quant à la rationalité économique,
parlons-en! Les investissements nucléaires sont très lourds
(construction des centrales, gestion des déchets, démantèlement
des installations). La sûreté nucléaire (prévention
des accidents) demande un effort colossal de contrôle et de
surveillance. Les durées de construction sont très
longues par rapport à celles des autres technologies et les besoins
d'eau de refroidissement considérables. Enfin les
puissances unitaires très élevées, de 1.000 à
1.600 mégawatts, ne sont souvent compatibles ni avec les besoins
en électricité ni avec le réseau de transport du courant.
C'est le cas notamment en Tunisie, au Maroc ou en Lybie, dont les
capacités électriques installées sont quatre fois
inférieures au seuil considéré comme économiquement
raisonnable par des hommes comme Jean Syrota, pourtant favorables au nucléaire.
La technologie serait, de plus - et pour longtemps
-, presque totalement importée au prix fort (on ne voit pas pourquoi
les «fournisseurs» du nucléaire ne profiteraient pas
de la montée des prix de l'énergie). Bref, voilà
un marché de dupes, drapé dans les voiles bien commodes du
«développement durable».
BENJAMIN DESSUS est coauteur du rapport au Premier ministre
« Etude économique
de la filière nucléaire» (Commissariat général
du Plan, 2000). est docteur ès sciences en physique des réacteurs
nucléaires, expert en politiques énergétiques.
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