Patrick Charton, adjoint au directeur sûreté,
qualité et environnement à l'Agence nationale de gestion
des déchets radioactifs (Andra)
LE MONDE | 06.09.08
L'humanité produit chaque année
des centaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs, issus
des centrales nucléaires, de l'industrie militaire ou de la recherche.
Que deviennent-ils, et combien de temps resteront-ils dangereux?
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Quels autres vecteurs faudra-t-il employer pour assurer cette transmission? Il faudra d'abord entretenir la mémoire dans les têtes. L'Andra devra maintenir sa communication sur l'existence des sites de stockage, même s'ils ne sont plus surveillés. Les commissions locales d'information (CLI), organismes indépendants devant lesquels l'Andra vient s'expliquer, permettront également de préserver la mémoire. Cela peut fonctionner sur un ou deux siècles. Et au-delà ? Des archives détaillées sont conservées sur les sites de stockage et aux Archives nationales. Le papier moderne contenant des composés chimiques chlorés qui attaquent l'encre, nous avons recours au papier "permanent", qui n'en contient pas, en espérant qu'il durera de six cents à mille ans. Nous inscrirons également des servitudes au cadastre pour éviter que les sites soient réutilisés. Imagine-t-on de laisser des signes sur les lieux de stockage? Les Américains envisagent d'installer, au-dessus des sites, des objets servant à marquer le terrain. Des "information rooms", taillées dans le marbre, seront érigées sur des monticules de 30 mètres de haut. Ces salles contiendront des inscriptions en anglais et dans d'autres langues, ainsi que des symboles de dangerosité. Celui de la radioactivité bien sûr, mais aussi des visages exprimant la douleur. Ils pensent qu'elles auront une pérennité de l'ordre de 25.000 à 50.000 ans. Les Japonais, eux, se fondent sur une coutume ancestrale, qui veut que certains temples soient détruits tous les vingt-cinq ans et reconstruits à l'identique. Ils ont prévu de construire un temple contenant des plaques microgravées faites de matériaux très résistants, comme le tungstène ou le titane, où les sites de stockage seront décrits. La France ne s'oriente pas dans cette voie ? Cela pose en tout cas plusieurs types de problèmes. On peut trouver des supports qui résisteront très longtemps, comme le granite, mais la pierre finira par s'éroder. Des matériaux plus nobles pourraient être utilisés, tels des disques en saphir massif et en titane qui pourraient résister 2 millions d'années. Mais sans gardiennage, ils risquent d'être vandalisés. Il y a aussi l'obstacle de nos langues actuelles, qui peut-être seront mortes demain... Le principal problème, c'est la transmission du sens : il faut que les générations futures comprennent ce que nous avons voulu dire. N'existe-t-il pas des symboles susceptibles de traverser le temps ? Les mégalithes de Carnac, qui remontent à 6.700 ans, nous sont mystérieux. Pourquoi ces alignements, pourquoi à cet endroit? Même chose avec les fresques de la grotte de Lascaux, exécutées il y a 18.000 ans. Etait-ce un exercice esthétique, ou ces hommes ont-ils essayé de nous transmettre un message? Une tête de mort, un visage qui pleure évoqueront-ils un danger? Rien ne dit que, dans des dizaines de milliers d'années, les symboles que nous laissons ne passeront pas pour un exercice esthétique. Il faut arriver à coupler le signe matériel et le sens, et personne n'a de réponse unique sur les moyens d'y parvenir sur des durées aussi longues. De nos ancêtres, nous avons reçu des objets d'art, des réalisations architecturales... Cela ne pose-t-il pas un problème moral de transmettre à nos descendants des déchets dangereux ? La mission de l'Andra, c'est de gérer les déchets. Ils existent. Même si, demain, on arrêtait le parc électronucléaire, il faudra en faire quelque chose. Aurait-il fallu ne pas les produire? C'est un débat éthique qui dépasse la question du nucléaire. Si vous ne produisez pas votre électricité avec l'énergie nucléaire, vous utilisez du pétrole ou du charbon, qui émettent du CO2. Il faut mettre en parallèle notre mode de vie, qui génère toutes sortes de pollutions, et ce que nous voulons léguer à nos enfants. Notre mission est de faire en sorte que les générations futures puissent faire leurs choix en toute connaissance des nôtres. Propos recueillis par Gaëlle Dupont
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