Jean-Michel Bader
24/03/2008 Dès le début du XXe siècle et pendant plus de soixante ans, des générations d'enfants atteints de cette pathologie mycologique ont subi des séances de radiothérapie, avec un risque accru de cancer du cerveau. Pendant un demi-siècle, des dizaines de milliers d'enfants en France ont été bombardés de rayons X à des doses importantes, parce qu'ils avaient un champignon microscopique (très contagieux) dans les bulbes de leurs poils et cheveux. Nombre d'entre eux n'ont pas manqué d'être atteints de deux fois plus de tumeurs cérébrales, de cancers de la thyroïde et du cuir chevelu que des populations témoins. Le risque persiste trente ans plus tard, spécialement pour les enfants irradiés dès leur plus jeune âge, d'avoir un cancer du cerveau. L'histoire, qui n'a pas fini d'être écrite, des enfants teigneux irradiés est racontée, notamment ce mois-ci, dans La Presse médicale, par l'historien de la médecine Gérard Tilles. Au fronton du temple de la dermatologie française, le nom du Dr Raymond Sabouraud brille plus fort que les autres. Ce peintre et sculpteur accompli a été le père de la dermatologie et de la mycologie médicale (les champignons microscopiques). Il a identifié des dizaines d'espèces de champignons à l'origine des teignes. Au tournant du XXe siècle, c'est lui qui a été le promoteur d'une méthode de traitement révolutionnaire des teignes tondantes graves et persistantes: la radiothérapie à haute dose du cuir chevelu. Trois ans seulement après la découverte des rayons X par Wilhelm Conrad Roentgen, le médecin français Toussaint Barthélémy et ses confrères Paul Oudin et Jean Darier publient une quarantaine d'observations de radiodermites survenues chez des électriciens et des patients. La peau est «durcie, comme parcheminée, l'épiderme s'écaille et s'enlève par places; les poils de la face dorsale des mains et des doigts ont complètement disparu», écrivent-ils. Malgré cet avertissement, et celui, en 1899, du dermatologue Félix Balzer qui décrit «une alopécie complète dans tous les points soumis à l'action des rayons X» du crâne, des sourcils, des cils, de la barbe, la vogue formidable des rayons X en médecine va aussi toucher la dermatologie. |
Le coût du traitement divisé
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En 1900, au Congrès international de dermatologie de Paris, le lupus tuberculeux, le favus et les teignes figurent en bonne place parmi les indications thérapeutiques des rayons X. Mais c'est le Pr Raymond Sabouraud qui, en 1904, devant la Société de dermatologie, va véritablement consacrer la radiothérapie comme «la solution rêvée» (sic) du traitement des teignes. Il annonce en effet «la guérison de cent teigneux» avec sécurité et sans accidents par une seule application d'une dose «mesurée» de rayons X; «Le 13e ou 14e jour, les cheveux commencent à tomber seuls comme les poils d'une fourrure mangée aux vers. On voit persister tous les cheveux du duvet... C'est à cela que l'on reconnaît une radiothérapie bien faite.» Depuis 1850, un hôpital des teigneux à l'hôpital Saint-Louis à Paris accueille les enfants pour les soigner (et les éduquer à partir de 1886 dans l'école des teigneux de l'établissement, bâtiment Lallier). Il s'agissait aussi d'éviter l'absentéisme scolaire, le rejet voire la désocialisation de ces enfants Mais il fallait alors entre six mois et deux ans de traitements pour guérir de ce parasite. Dans ce contexte historique, la radiothérapie permet de traiter en quelques séances la maladie, de faire sortir 10 enfants par semaine de l'hôpital. Le coût du traitement, calculé par le Dr Sabouraud passe en moyenne de 2.000 francs de l'époque à 0,50 franc. L'Assistance publique a ainsi pu fermer 150 lits à Saint-Louis et 350 lits en province, et économiser plus de 2,5 millions de francs. Les générateurs de rayons X seront utilisés sur les teigneux jusque dans les années 1950 en France (une série de 18.000 enfants traités sera publiée en 1960). En 1910, Sabouraud, ayant traité 2.000 enfants teigneux à l'école Lallier, pouvait affirmer n'avoir pu observer «dans aucun cas un trouble cérébral ni un retard intellectuel. L'action sur le cerveau du traitement des teignes par les rayons X est tout à fait nulle.» La radiothérapie des rayons X cessera dans les années 1950 lorsque se généralisera l'utilisation de la Griséofuline, l'antifongique le plus efficace contre les teignes. C'est à peu près à cette époque que sont publiés les premiers travaux signalant la survenue de cancers de la peau après radiothérapie de teigne en France. En 1974, la première étude d'incidence des conséquences de l'irradiation chez ces enfants a montré un doublement des tumeurs malignes du cerveau, de la thyroïde. En 2005, des travaux sur la même cohorte ont montré que le risque de tumeurs cérébrales persiste plus de trente ans après le traitement, et celui du cancer de la thyroïde subsiste jusqu'à quarante ans après l'irradiation. Mais l'absence de registres, et la disparition des dossiers et archives hospitalières rendent impossible en France tout suivi à long terme des cohortes de ces dizaines de milliers d'enfants... |