De nombreuses études scientifiques
récentes conduisent à réévaluer la radiotoxicité
du tritium (hydrogène radioactif) qui est rejeté en grande
quantité par les installations nucléaires. En Grande-Bretagne,
le très officiel Advisory Group on Ionising Radiation (AGIR) vient
de franchir le pas en proposant de multiplier par deux le facteur de risque
pour cet élément.
D'autres études tendent à montrer que, contrairement à ce qui est admis actuellement, le tritium rejeté dans l'environnement tend à s'accumuler sous forme organique dans la chaîne alimentaire. Ainsi, des poissons plats de la baie de Cardiff sont 1000 à 10.000 fois plus contaminés que l'eau de mer analysée pour le même site. Alors que la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, impose aux autorités françaises «la mise au point pour 2008 de solutions d'entreposage des déchets contenant du tritium permettant la réduction de leur radioactivité avant leur stockage en surface ou à faible profondeur» et que la France s'apprête à accueillir sur son sol le réacteur expérimental ITER qui va générer d'importantes quantités additionnelles de tritium, l'ACRO demande que l'impact environnemental et sanitaire du tritium soit réévalué avant toute décision. L'association demande en particulier: - à la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) de procéder très rapidement à un réexamen de la toxicité du tritium à partir des connaissances actuelles; - que la surveillance des rejets tritiés des installations nucléaires soit améliorée en prenant plus en compte la mesure du tritium organiquement lié; - que le tritium ne soit plus systématiquement rejeté dans l'environnement; - que des recherches soient menées pour améliorer la connaissance sur l'impact de cet élément sur l'environnement et la santé. L'ACRO (Association pour le contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest) s'est rapidement dotée de moyens de laboratoire pour contrôler les niveaux de Tritium dans l'environnement autour des sites nucléaires depuis presque 20 ans. Grâce à cette action de surveillance citoyenne, notre association a pu notamment alerter sur les fortes contaminations en Tritium qui perdurent depuis plus de 30 ans dans les nappes phréatiques situées sous le Centre de Stockage de la Manche mais aussi sur l'incapacité à gérer de telles situations compte tenu de l'extrême mobilité de ce radioélément. Cette préoccupation forte s'explique, d'une part, par le fait que l'industrie nucléaire produit des quantités très importantes de ce produit radioactif et, d'autre part, parce qu'il est entièrement libéré dans l'environnement. L'ACRO continuera à suivre ce dossier de très près. Les éléments d'information qui suivent ont pour objet de présenter les grandes lignes des enjeux scientifiques actuels relatifs au Tritium.
La solution de facilité dans la gestion
d'un déchet radioactif (ici le Tritium), qui consiste à le
traiter par un simple rejet banalisé dans l'environnement, est justifiée
par les exploitants nucléaires qui insistent sur sa «très
faible radiotoxicité».
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Il y a ensuite l'approche radiobiologique.
Des effets sont insuffisamment pris en compte. C'est d'abord «l'effet
isotopique» où il apparaît dans certaines expérimentations
que le tritium serait intégré de façon privilégiée
par rapport à l'hydrogène et ceci en raison de sa masse.
Le rôle joué par les molécules d'eau en interaction
étroite avec l'ADN, où un enrichissement en Tritium est maintenant
démontré, suggère que les effets sur le patrimoine
génétique seraient plus importants que prévu.
En radioprotection, on utilise des paramètres qui permettent d'estimer le risque radio-induit (par exemple l'induction de cancers) en corrélation avec la dose d'exposition. Parmi ceux-ci figurent un paramètre important, le coefficient d'efficacité biologique relatif (EBR). Pour les radiations émises par le Tritium, l'EBR est toujours pris égal à 1. Pourtant, dans de nombreux travaux concernant des altérations graves du patrimoine génétique (atteinte biologique importante quand on s'intéresse au cancer radio-induit), l'EBR est le plus souvent calculé entre 2 à 3, et jusqu'à 8 dans certaines études. Cela signifie concrètement que, pour ce seul aspect du problème, le risque lié au Tritium est déjà sous-estimé par un facteur 2 à 3. Il faut également retenir que lorsqu'un atome de Tritium se désintègre, il se transforme en hélium ce qui conduit à la perte d'un hydrogène au sein d'une molécule. Ce phénomène, appelé «transmutation nucléaire», a des conséquences biologiques dans la cellule qui sont encore mal appréciées (en particulier les mutations générées). Enfin, s'agissant des rejets dans l'environnement et de l'exposition des populations, un autre élément dans l'évaluation des risques apparaît aujourd'hui sous-estimé; c'est la question des transferts du Tritium dans les milieux aquatiques. Toutes les études d'impact sanitaire qui sont menées considèrent qu'il n'y a pas concentration du Tritium au travers de la chaîne alimentaire. Techniquement, les auteurs retiennent un facteur de concentration égal à 1 (cela signifie que la teneur en Tritium dans une espèce biologique est égale à sa teneur dans l'eau). Or depuis le début des années 2000, des études en radioécologie décrivent très clairement ce que les auteurs appellent un phénomène de «bioaccumulation». De même, la surveillance menée par les autorités anglaises dans la zone maritime proche de Sellafield (usine de retraitement des combustibles usés) souligne des teneurs en Tritium dans les poissons les mollusques et les crustacés 10 fois supérieures à celles de l'eau de mer. En outre, lorsque le Tritium est incorporé (par processus biologique) dans des molécules organiques, ce phénomène est considérablement accentué comme le montrent les concentrations en Tritium dans les poissons de la baie de Cardiff (où les teneurs en Tritium dans les poissons sont de 1.000 à 10.000 fois supérieures à celles de l'eau de mer). Toutes ces considérations prises globalement vont dans un même sens : il y a une réelle sous-estimation du risque lié au Tritium. Certes, même après réajustement, le Tritium restera moins radio-toxique que d'autres radioéléments (tels le Strontium-90 ou le Plutonium-239), mais il faut rappeler que ce radioélément est produit par l'industrie nucléaire en quantités considérables, sans cesse croissantes et que d'autres apports dans l'environnement sont attendus (ITER...). Actuellement, le Canada lance une enquête publique spécifiquement consacrée au Tritium et à la révision de sa norme dans les eaux potables. Sur le plan international, des groupes d'experts revisitent le risque associé à ce radioélément. C'est donc bien un enjeu réel. Notre association, l'ACRO, souhaite que plusieurs orientations soient prises sans délai par les entités et autorités compétentes: * il est essentiel que la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) procède très vite à un réexamen de son modèle biocinétique relatif au Tritium par une démarche qui aille dans le sens du principe de précaution ; * des travaux de recherche doivent être engagés pour renforcer rapidement les connaissances dans les différents domaines (précédemment évoqués) portant sur les volets biophysique et radiobiologique mais également sur les transferts dans l'environnement ; * la surveillance de l'environnement autour des sites nucléaires doit être améliorée (en particulier par le mesure du tritium organiques dans les différentes matrices de l'environnement ; * à terme, les exploitants nucléaires, tenant compte des nouvelles données de la littérature et des réexamens par les groupes d'experts, doivent reprendre leurs évaluations d'impact sanitaire concernant les risques liés au Tritium. |