Plus que le problème des
déchets ou de la sûreté, c'est l'explosion du cours
de l'uranium qui pourrait constituer un argument contre la filière
nucléaire. Il a déjà monté de plus de 1.000
% depuis 2001. Or, après l'interconnexion aux frontières,
il faudra bien s'attaquer au deuxième facteur de risque de rationnement
de l'électricité: le manque de production.
L'approvisionnement des centrales se fait
pour 60% à partir du minerai et pour 40% à partir du démantèlement
des armes nucléaires (dont la fin est programmée en 2013)
ou des excédents commerciaux des années 80 (quasi épuisés).
Le vocabulaire utilisé ressemble désormais à celui
du pétrole au point qu'on parle même d'un pic d'uranium.
La demande d'uranium a certes relancé
la prospection. Comme au temps des chercheurs d'or, 400 sociétés
ont poussé comme des champignons pour l'exploration. Mais si on
table sur un doublement du parc nucléaire d'ici 2030 (réaliste
vu la demande des pays émergents), la production d'uranium doit
plus que doubler d'ici 2030.
Pour 70 ans
Les ressources identifiées pourraient
alimenter pendant 70 ans seulement le parc actuel. Tout comme le pétrole,
on parle aussi de ressources potentielles, très spéculatives.
Mais les réserves d'uranium des gisements de phosphates ne sont
pas pertinentes: ils sont utilisés pour l'industrie de l'engrais
et l'uranium n'est qu'un sous-produit.
Bref, pourquoi s'encombrer de dizaines de
nouveaux réacteurs à démanteler un peu plus tard,
faute de combustible? Certes, il y a eu un trou de 20 ans dans l'exploration
de nouveaux gisements mais rien ne permet de préjuger que ces estimations
de 1976 soient pessimistes: elles faisaient partie d'un programme lancé
par l'OCDE pour quantifier les ressources d'uranium dans le monde.
En fait, le cours élevé de l'uranium
est plutôt une aubaine pour relancer le nucléaire et l'optimiser:
il poussera l'industrie à mieux exploiter les gisements et à
relancer les filières qui, tout en consommant de l'uranium, créent
par transmutation d'autres formes de combustibles!
Avec des prix élevés, il devient
intéressant d'exploiter le contenu fissile des rejets de l'enrichissement
qu'on conserve. La distinction entre le minerai et les stériles,
purement économique, va aller dans le sens de considérer
plus de roches comme minerai (c'est tant mieux car les stériles,
comme les terrils, ne sont quasi plus exploitables). On verra aussi la
remise sur pied des surgénérateurs, tant honni par Greenpeace,
pour un déploiement vers 2050. Cette filière avait été
abandonnée car trop chère à exploiter (le fameux gouffre
Superphénix auquel Chirac a mis fin). Le cours actuel de l'uranium
est désormais dans la fourchette basse de rentabilité de
la filière. Celle-ci a des atouts: elle brûle tout l'uranium,
le transforme en plutonium qu'on réutilise comme combustible et
incinère les déchets radioactifs (actinides) qui font le
cauchemar de la gestion des déchets dans la filière actuelle.
On multiplierait par 70 les ressources utilisables d'uranium et notre indépendance
énergétique serait assurée pour des millénaires.
Ne nous leurrons pas: ce n'est pas pour ces
motifs nobles que tout le monde étudie à nouveau la filière;
c'est d'abord pour faire face à la pénurie possible d'uranium. |
Les réacteurs de 2050
Il y a 6 concepts de réacteurs pour
l'horizon 2050 étudiés dans le monde: la compétitivité,
la sûreté, la réduction des déchets et la non-prolifération
ont été les critères. Le combustible sera conçu
pour rendre difficile l'extraction de plutonium ou des déchets hautement
radioactifs.
Le retraitement se fera dans des pays sûrs
de sorte que même l'Iran pourrait avoir son programme nucléaire
sans risque. Même l'uranium appauvri qui vient des opérations
d'enrichissement servira de matière fertile dans ces réacteurs
(il se transforme en matière fissile) mais un problème se
pose pour leur démarrage. Soit il faut une forte proportion d'uranium
enrichi (au risque de gaspiller cette ressource qui sera de plus en plus
rare), soit il faut suffisamment de plutonium (50 années sont nécessaires
pour produire assez de plutonium pour démarrer un surgénérateur).
La question, n'en déplaise, ne demande plus s'il faut prolonger
les réacteurs actuels mais combien en mettre en service pour préparer
l'après uranium. A moins de faire la même erreur que nous
faisons pour le pétrole: ne pas préparer le pic d'uranium.
Ce serait priver la génération suivante d'un choix sur son
approvisionnement en énergie alors qu'on sait que seul un mix de
sources d'énergie pour demain est plausible. Comme quoi l'argument
de la «génération suivante», souvent utilisé
contre le nucléaire avec la problématique des déchets,
peut être détourné comme on veut...
Chacun son choix
En Europe, c'est le chaos: chaque pays est
souverain pour son énergie. Si l'Italie et l'Autriche
se sont prononcées contre l'énergie nucléaire et le
regrettent, la Suède a décidé de sortir du
nucléaire à l'horizon 2010. Mais après avoir arrêté
une centrale, elle se garde bien de continuer. L'Allemagne a décidé
de sortir du nucléaire en 2000 et la Belgique en 2001.
À l'autre extrême, la Suisse
a refusé, en mai 2003, de sortir du nucléaire. La Finlande
a commandé un réacteur nucléaire de 3e génération
et la France construit un démonstrateur.
Les USA, pourtant traumatisés
par Three Mile Island, ont prolongé la durée de vie de la
plupart de leurs 104 réacteurs. La situation est tellement stratégique
que les centrales se revendent au prix neuf entre compagnies d'électricité.
La Russie, malgré Tchernobyl, est très active dans
la recherche sur les surgénérateurs. La Corée du
Sud, avec déjà 19 réacteurs, en construit actuellement
2 et en prévoit 8 autres. Le Brésil, malgré son hydroélectricité,
a déjà deux réacteurs et s'est lancé dans la
recherche sur la technologie nucléaire. Le Japon dispose
de 54 réacteurs et en construit quatre. Vingt sont en projet. Sans
parler de la Chine.
L'Afrique du Sud, qui est confrontée
au rationnement de l'électricité, a 2 réacteurs et
développe un réacteur à haute température de
100 MW.
Cette idée de petit réacteur
tranche avec les monstres actuels et vise un retour sur investissement
plus rapide. Car on ne fera pas que de l'électricité avec
le nucléaire: on produira l'hydrogène pour les voitures propres
(aujourd'hui seuls 4% de la production se fait sans CO2... les
voitures propres sont un leurre) ou on l'utilisera pour extraire les dernières
gouttes de pétrole dans les sables bitumeux. Il y a un fort besoin
de chaleur pour le liquéfier.
Préparons-nous à importer notre
plutonium d'Iran... |