CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE INTERNATIONALE
2008

février
EDF veut prolonger la vie des centrales nucléaires
http://www.lesechos.fr/
ADIT
     L'opérateur français crée avec des partenaires internationaux un institut de recherche sur le vieillissement des matériaux nucléaires. L'enjeu est colossal. (A noter que la Gazette Nucléaire étudie cette problématique depuis ses débuts...)
     Les centrales nucléaires d'EDF passeront-elles la crise de la quarantaine sans heurts? C'est l'objectif de l'électricien qui espère obtenir la prolongation de ses 58 réacteurs au-delà de leur durée de vie initiale (vingt-cinq ans). EDF vient de créer pour cela un institut d'études du vieillissement des matériaux de ses centrales, le MAI. «Nos ingénieurs ont la conviction que nous pouvons exploiter nos centrales nucléaires au-delà de quarante ans. Mais nous souhaitons démontrer notre maîtrise des phénomènes de vieillissement par la modélisation et l'expérimentation», explique Jean-Pierre Hutin, directeur des programmes de recherche «production». Les réacteurs les plus âgés appartiennent à la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), entrée en service en 1978. Le prochain examen décennal de sûreté aura lieu en 2009, mais la plus attendue interviendra en 2019. Cette étape implique très en amont la recherche sur le vieillissement.
     EDF a pris l'initiative de créer cet institut MAI pour mutualiser ses recherches avec celles d'autres opérateurs étrangers comme le japonais Tepco et les américains de l'Epri, ainsi que leurs partenaires scientifiques. Le groupe français fournit les 15 millions € d'investissement en équipements et apportera la moitié des 8,8 millions € de budget pour la première année 2008. Il accueille aussi l'institut sur son site des Renardières (Seine-et-Marne). EDF justifie son effort par son parc nucléaire exceptionnel. «Nous sommes les seuls à avoir autant de réacteurs aussi similaires. Nous avons intérêt à ne pas nous laisser surprendre», estime Jean-Pierre Hutin.
     Du côté des autorités de sûreté, une telle initiative est bien accueillie, considérant qu'EDF a encore du travail à faire pour décrocher ses autorisations. Comme le rappelle, en 2003, le rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques, le dossier qu'a présenté EDF pour prolonger les quarante ans de durée de vie n'est pas convaincant. Les rapporteurs insistaient sur la nécessité d'augmenter les recherches sur le vieillissement, un avis partagé au niveau mondial par l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire. EDF avance, de son côté, dépenser 20 millions € sur le sujet du vieillissement et 20 autres millions sur les matériaux. L'industriel mobilise 150 chercheurs dans ce domaine et autant chez ses partenaires comme le CEA.
Anticiper les dégradations
     Les membres de l'institut ont décidé une programmation autour de 4 projets d'environ trois ans chacun. Ils couvrent les éléments les plus surveillés au cours du vieillissement d'une installation nucléaire. Il s'agit des matériels influençant la sûreté de la centrale mais, plus encore, ceux qui ne peuvent pas être remplacés. C'est le cas de la cuve du réacteur et de son enceinte de confinement. La cuve est la plus exposée puisqu'elle subit directement les fortes chaleurs du circuit primaire, les contraintes mécaniques et le flux de neutrons venant du combustible. Les ingénieurs rappellent que toute dégradation de cet élément est bien surveillée car la cuve contient des éprouvettes chargées de donner l'alarme lors des inspections. L'enjeu des recherches reste, toutefois, de savoir anticiper ces dégradations, une action corrective étant toujours plus coûteuse qu'une réparation anticipée. Seule la modélisation du vieillissement le permet. EDF a jusqu'ici fait confiance à l'extrapolation des données historiques, mais cette approche ne suffit pas pour les prévisions à long terme. C'est pourquoi les chercheurs travaillent désormais à simuler les phénomènes physiques eux-mêmes, ce qui implique de comprendre ce qui se passe dans la matière.
     Grâce à un programme européen, les chercheurs ont montré ces dernières années que c'est possible. Ils ont modélisé à l'échelle atomique l'irradiation du réseau cristallin des aciers ferritiques de la structure de la cuve. Un petit exploit quand on sait que ce vieillissement met en jeu une douzaine de phénomènes élémentaires à des échelles très différentes. Physiquement, le bombardement de neutrons provoque des déplacements d'atomes dans le matériau qui finissent par ébranler sa structure. «La science des matériaux, qui était encore expérimentale il y a dix ans, a fait des progrès extraordinaires», admire Jean-Pierre Hutin. EDF et ses partenaires veulent, maintenant, s'attaquer à une modélisation encore plus difficile, celle du vieillissement du revêtement intérieur en acier inoxydable de la cuve. Cette couche subit, en plus des autres contraintes, la corrosion chimique provoquée par l'eau de la cuve. Le code de calcul doit être assez fin pour travailler à l'échelle atomique tout en prenant en compte l'échelle plus macroscopique comme les grains de la matière. «La corrosion implique des dizaines de paramètres qui agissent tous au même niveau. Il va nous falloir trouver les paramètres dominants pour parvenir à une modélisation», explique Jean-Pierre Hutin. Ce travail sera proposé dans le cadre européen mais pourra, sinon, être effectué au sein de l'institut. Celui-ci va acquérir un supercalculateur BlueGene (IBM) pour faire tourner ces gros codes de calcul.
     EDF veut aussi continuer à travailler sur la corrosion du nickel qui a posé bien des problèmes aux centrales dans les années 1980. Plusieurs équipements du circuit primaire, comme les couvercles de cuve ou les générateurs de vapeur, étaient conçus dans un alliage riche en nickel, l'Inconel 600. La découverte de fuites dans les couvercles de réacteurs américains a montré la fragilité de ce matériau. De nombreux couvercles similaires ont été remplacés en France par un autre alliage, l'Inconel 690, que les spécialistes des matériaux veulent mieux modéliser.
«Maladies» du béton
     L'institut travaillera aussi sur le vieillissement des polymères des câbles d'alimentation ou de communication des réacteurs. La tenue des polymères aux irradiations n'a jamais fait l'objet d'études poussées, selon les spécialistes. Le quatrième sujet d'étude concernera la chimie du circuit secondaire. Le fluide qui transfère la chaleur du circuit primaire jusqu'à la turbine est composé d'eau et de quelques additifs chargés de limiter la corrosion du circuit (acidité, conductivité thermique, etc.). A cause de la diversité des matériaux du circuit, ces additifs ne sont pas optimisés pour tous les composants. Les recherches serviront à mieux caractériser l'ensemble du circuit pour trouver un meilleur compromis au fluide. EDF devra aussi démontrer la tenue de l'enceinte de confinement en béton précontraint, un élément non remplaçable. Les chercheurs veulent anticiper un certain nombre de maladies du béton comme la carbonatation du ciment. Les autorités de sûreté ont déjà constaté un relâchement de la précontrainte dans certaines enceintes.
     L'institut MAI ne couvrira pas tout le spectre de recherche, EDF ayant choisi d'en conserver certains en interne. Sur d'autres sujets, l'opérateur ne se montrerait pas assez volontariste. C'est pourquoi l'IRSN pratique ses propres recherches sur le vieillissement des installations, des matériaux notamment. «Notre R&D doit aiguillonner la leur, nous devons chercher là où ils ne le font pas», estime Laurent Foucher, du service d'analyse des matériels et des structures de l'IRSN. Il y a quelques années, ses services avaient montré un défaut d'étanchéité des sas des centrales. L'IRSN insiste actuellement sur un autre point: «Nous voudrions les voir travailler sur le maintien de la qualification des matériels dotés de fonctions de sauvegarde», prévient Laurent Foucher. En clair, le vieillissement des réacteurs affecte-t-il leur capacité de réaction face à un séisme? Dans ces conditions de température (140°C), de pression (6 bars) et d'irradiation, un système de secours doit refroidir le coeur du réacteur. EDF ne pourra manquer de démontrer le bon vieillissement de ce système emblématique.