CONTROVERSES NUCLEAIRES !
ACTUALITE DES CONTROVERSES...

2009
janvier
L'inflexible gendarme du nucléaire
ADIT, http://www.lesechos.fr/
08/01/09

André-Claude Lacoste, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire, agace les industriels, qui l'accusent d'entraver la relance de la filière.

Le «monsieur Propre» du nucléaire
     EDF contraint de suspendre son chantier phare, Areva tancé publiquement après les incidents de Tricastin... c'est lui. Le gendarme français du nucléaire, qu'incarne avec sévérité André-Claude Lacoste, le président de l'autorité de sûreté du secteur, ne rate pas une occasion de sortir son sifflet. Son zèle agace les industriels, qui l'accusent de brider la relance de la filière.
     Cet homme est en mission. «Mon but est le suivant, dit André-Claude Lacoste: s'il y a du nucléaire, il doit être sûr.» Le regard sombre, la tête carrée et le profil de rugbyman, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) veut rompre avec ce qu'on appelait dans les années 1970 le «French cooking» - l'idée que tout le monde devait se serrer les coudes et concourir à la prospérité de la filière nucléaire hexagonale. Mais si son dynamisme est respecté par ses confrères des autorités de contrôle étrangères, il passe de plus en plus pour de l'activisme dans son propre pays. Cela ne déplaît pas aux écologistes comme Frédéric Marillier, de Greenpeace, lequel a «observé des changements positifs» à l'ASN, même s'il n'ose pas encore affirmer qu'il s'agit «d'une réelle évolution». Mais ça commence à énerver sérieusement les industriels, qui craignent que le zèle d'André-Claude Lacoste et de ses équipes ne vienne saper leurs chances de profiter pleinement de la relance annoncée du nucléaire un peu partout dans le monde. «On a affaire à une orientation destructrice», lâche l'un d'eux.
     Il faut dire que l'ASN ne manque pas une occasion de les blâmer publiquement depuis sa création formelle en novembre 2006, avec l'entrée en vigueur de la loi TSN sur la transparence et la sécurité du nucléaire. En mai dernier, après avoir constaté des manquements techniques, elle a forcé EDF à suspendre le chantier de Flamanville, où le groupe construit le premier réacteur nucléaire de troisième génération, le fameux EPR. Plus récemment, l'électricien s'est fait épingler pour un « risque d'explosion » dans les canalisations d'une centrale et sur la gestion globale de son parc nucléaire. En 2007, le directeur du site de Saclay du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) s'est fait convoquer suite à un incident dans le traitement de déchets. De son côté, Areva s'est fait taper sur les doigts après les incidents de l'été dernier dans sa filiale Socatri, au Tricastin. En octobre, le groupe s'est aussi fait tancer pour le manque de surveillance de ses sous-traitants...

«Les Dalton à Crunch City»
     Ce dernier rappel à l'ordre est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. On dit qu'Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva, a très peu apprécié le communiqué de presse de l'ASN. Dans la foulée, elle aurait eu une franche explication avec André-Claude Lacoste. Imperturbable, le vétéran de l'atome répond, avec le chuintement qui le caractérise: «Nous sommes payés pour dire «non», pas systématiquement certes, mais pour notre capacité à dire «non».» Le dit-il plus souvent depuis deux ans? «Je ne pense pas, je crois même qu'on serait intervenu au fond de la même façon avant la loi TSN, mais le nouveau statut nous donne plus d'indépendance et plus de visibilité.» De fait, cette loi lui confère un statut d'autorité administrative indépendante, alors que, avant, ce qui s'appelait encore la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR) était placé sous la tutelle des ministères de l'Ecologie et de l'Industrie. Par ailleurs, le nouveau texte impose aux industriels un devoir d'information et de transparence.
     Cette propension à dire «non» entretient selon certains un climat nuisible. «Quand les inspecteurs arrivent dans une centrale, c'est les frères Dalton qui débarquent à Crunch City», se plaint un routard du métier. Les 450 agents de l'autorité réalisent environ 800 inspections par an sur les installations nucléaires de base et à peu près autant sur les installations dites de proximité (cabinets de radiologie...). «Ils se comportent comme des voyous, ne cherchent plus à respecter notre travail, renchérit un autre. On ne sait jamais ce qui va nous tomber sur le coin de la gueule.» Or les enjeux ne manquent pas : l'année prochaine, l'autorité de sûreté doit procéder à des visites décennales qui doivent conclure si, oui ou non, deux réacteurs EDF basés à Fessenheim et au Tricastin peuvent allonger leur durée de vie de trente à quarante ans.
     Ce sont les plus anciens en France. Leur visite a valeur de test pour l'ensemble du parc. Mais l'ASN va aussi continuer de surveiller le chantier de Flamanville. Et, ici, tout retard risque de coûter cher à EDF, en termes financiers mais aussi d'image.

Droit à l'information
     Les adversaires d'André-Claude Lacoste apprécient très moyennement son ardeur à appliquer le fameux article 19 de la loi de 2006. Celui-ci accorde au citoyen le droit à l'information pour tout ce qui touche à la sécurité nucléaire et à la radioprotection. L'année dernière, Greenpeace a ainsi demandé à Areva des informations sur le transport de plutonium entre l'usine britannique de Sellafield et son site de la Hague. Face au refus du groupe, l'association s'est tournée vers le patron de l'ASN, qui a adressé en juin une lettre à Anne Lauvergeon lui demandant de «reconsidérer» sa réponse. «Nous nous sentons responsables de la bonne application de la loi», explique-t-il dans ses bureaux du 12e arrondissement de Paris, à l'opposé des sièges sociaux de ses administrés, basés eux à l'ouest de la capitale. Ce souci général de transparence peut cependant passer pour de la politique, même auprès des écolos. «L'ASN communique plus, mais cela ne veut pas dire qu'elle donne plus d'information», juge Roland Desbordes, le président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité(Criirad).

«Contre son camp»
     Les plus virulents de la filière, qui sont parfois les architectes du programme nucléaire des années 1970, estiment carrément que l'ASN joue contre son camp. Quand le gendarme du nucléaire a épinglé Areva au sujet de ses sous-traitants, «le lendemain, tous les concurrents disaient qu'on travaillait comme des cochons, s'emporte un cadre du groupe, qui veut rester anonyme. Il fait des coups pour montrer ses muscles.» Cet interlocuteur reproche à André-Claude Lacoste de ne pas aider les entreprises françaises à l'étranger et, du coup, de les pénaliser vis-à-vis de leurs concurrents internationaux. Il en veut pour preuve les réserves de l'ASN sur le développement du nucléaire dans les pays émergents. Au risque de contredire le président de la République, Nicolas Sarkozy, très pressé de vendre des centrales au Moyen-Orient, l'autorité estime en effet qu'il faudra au minimum quinze ans pour que les pays de la région mettent en place les infrastructures nécessaires. De quoi décourager les candidats!

Les risques de la connivence
     Droit dans ses bottes, l'intéressé ne bronche pas. André-Claude Lacoste est convaincu que le nucléaire est un bien commun et qu'il suffit d'un accident, même moins grave que Tchernobyl, pour que cette source d'énergie soit définitivement bannie. Tout pays qui s'intéresse au sujet doit avoir une autorité de sûreté réellement efficace, selon cet homme de soixante-sept ans, qui parcourt régulièrement le monde pour prêcher ce message. «La responsabilité n'est pas seulement nationale, elle dépasse nos frontières, dit-il. Un accident serait un échec pour nous tous.» Bernard Dupraz, le patron de la production et de l'ingénierie chez EDF, reconnaît d'ailleurs que, «si cela ne fait jamais plaisir d'être stigmatisé sur la place publique, c'est dans notre intérêt de long terme d'avoir une autorité de contrôle crédible». C'est pour cela, d'ailleurs, que certains écologistes soupçonnent André-Claude Lacoste de vouloir secrètement réhabiliter le nucléaire en lui donnant une image plus propre que propre.
     «C'est le piège, répond-il. Si nous contribuons effectivement à ce que le nucléaire soit sûr, on nous accuse d'être pronucléaires. Mais nous ne sommes pas les promoteurs du nucléaire.» André-Claude Lacoste ne nie pas connaître les dirigeants des groupes qu'il surveille - il tutoie Anne Lauvergeon et Pierre Gadonneix pour les avoir croisés à d'autres postes dans sa carrière - mais refuse le mélange des genres. «Je ne considère pas appartenir à la communauté nucléaire, si j'appartiens à une communauté quelconque, c'est à celle des autorités de contrôle.» «Lacoste veut avoir cette image d'emmerdeur et pense qu'elle va le dédouaner de tout lien de complicité avec le nucléaire», estime un connaisseur du milieu. L'intéressé connaît en tout cas les risques d'une telle connivence. «Lors du krach du Crédit Lyonnais, personne n'a rien dit pour ne pas mettre en péril la réputation de la place financière de Paris», a-t-il constaté en octobre lors d'un colloque organisé par le Conservatoire national des arts et métiers, à Paris. A l'heure de l'affaire Madoff, qui a clairement illustré les failles de la régulation, et en pleine renaissance du nucléaire, ses craintes ont un écho particulier.

Une carrière vouée à la sûreté industrielle
     Né le 15 novembre 1941, ancien élève de l'Ecole polytechnique (1960) et de l'Ecole des mines de Paris (1963), André-Claude Lacoste a commencé sa carrière dans le Nord - Pas-de-Calais, au sein de différents services extérieurs du ministère de l'Industrie.En 1978, il est nommé au sein de l'administration centrale du ministère et, jusqu'en 1990, il gère et anime les services extérieurs du ministère de l'Industrie chargés du contrôle et de la sûreté des installations industrielles.Après avoir été adjoint au directeur général de l'industrie, il préside en 1993 la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), qui deviendra en 2002 la Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR), relevant des ministres chargés de l'Environnement, de l'Industrie et de la Santé.Depuis 2006, il préside l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui remplace la DGSNR et assure le contrôle des activités nucléaires en France, aussi bien industrielles (centrales) que médicales (radiologie...). Contrairement à ses prédécesseurs, l'ASN est une autorité administrative indépendante.