Robert Bell est professeur au Brooklyn College.
LE MONDE | 21.04
L'élection de Barack Obama est un coup
dur pour le développement de l'énergie nucléaire aux
Etats-Unis. Un accord gouvernemental en faveur de nouvelles installations
requiert l'approbation d'un site de stockage des déchets radioactifs.
Le seul site envisagé, et déjà en construction, est
Yucca Mountain, dans le Nevada. Mais son ouverture semble bien compromise.
Lors de sa campagne présidentielle,
le candidat Obama a gagné au Nevada en partie grâce à
sa promesse de s'opposer à l'ouverture de ce site, situé
à moins de 150 km de Las Vegas, la ville la plus peuplée
de cet Etat. S'il revient sur sa promesse, le président Obama pourra
dire adieu aux quatre grands électeurs du Nevada, s'il vise une
réélection en 2012.
Au sein de la majorité démocrate
au Congrès, il existe une opposition marquée au site de stockage.
Le puissant président de la commission de l'énergie et du
commerce à la Chambre des représentants, Henry Waxman (député
de Beverly Hills en Californie), a mis sur son site Web une seule information
sur la question de Yucca
Mountain: le communiqué de presse du 25 avril 2002 qui met
en doute les preuves scientifiques avancées en faveur du site. Quant
au Sénat, l'opposition au site de stockage y est virtuellement acquise.
Le leader de la majorité démocrate du Nevada, Harry Reid
- qui se représentera aux élections sénatoriales dans
moins de deux ans -, a déclaré, le 3 décembre 2008,
que le site de Yucca Mountain est "enterré", et qu'il ne laisserait
pas le Sénat entériner la nomination d'un ministre de l'Energie
qui serait favorable à l'ouverture de ce site.
A cet égard, le choix par Obama du
Prix Nobel de physique Steven Chu est un signe fort: le docteur Chu était
un partisan convaincu des énergies renouvelables à la tête
du laboratoire national californien Lawrence-Berkeley. Deux mois après
sa nomination au DOE, le sénateur John McCain lui demanda, devant
une commission du Sénat, si lui et le président Obama allaient
vraiment exclure tout stockage de déchets nucléaires sur
le site de Yucca Mountain. La réponse: "C'est vrai."
Obama a par ailleurs créé un
poste de "superministre de l'énergie", basé à la Maison
Blanche et confié à Carol Browner, qui a dirigé l'Agence
de la protection de l'environnement (APA) sous la présidence Clinton.
Elle était, et est toujours, la protégée d'Al Gore,
l'ancien vice-président de Bill Clinton et Prix Nobel de la paix
2007. Celui-ci appelle les Etats-Unis à se fixer pour but de sortir
de la production d'énergies fossiles dans les dix ans à venir,
au prix d'un accroissement massif des énergies renouvelables, couplées
à un nouveau réseau énergétique national informatisé.
Les réacteurs nucléaires déjà en fonction continueraient
à être utilisés en attendant de les fermer au fur et
à mesure. Alors que le candidat McCain avait promis de faire construire
45 nouveaux réacteurs nucléaires, Obama s'est, lui, engagé
à relancer l'économie américaine avec une croissance
massive de l'infrastructure en énergies renouvelables.
De fait, sans même parler de sécurité
et de risque terroriste, l'énergie nucléaire n'apparaît
plus désormais comme une option politiquement viable pour les Etats-Unis.
Aujourd'hui les crises climatique et économique obligent à
choisir des technologies renouvelables et un retour sur investissement
rapide. Non seulement la construction d'une centrale nucléaire est
trop coûteuse (par gigawatt elle approche le double de l'éolien)
mais en plus le retour sur investissement est trop long: les investisseurs
ne peuvent espérer toucher le moindre centime avant cinq ou dix
ans dans le nucléaire (entre le permis de construire et la production
du premier watt). Dans une récession qui s'accélère,
c'est tout simplement trop long. Ce n'est pas un hasard si EDF envisage
de prolonger de vingt ans la vie de ses réacteurs en fonction...
En revanche, une éolienne ou une installation
photovoltaïque se construisent en quelques mois, et produisent l'électricité
qui permet un retour sur investissement rapide. Reste le prix de revient
de l'électricité produite. Le coût des énergies
nucléaire et fossile semble moins élevé, mais on ne
tient pas compte de tous les facteurs. Une "taxe carbone" obligera à
mettre la vérité des coûts sur la table.
La politique énergétique est
moins conduite par les marchés que par la volonté des gouvernements,
comme a pu le montrer la politique du "tout-nucléaire" de la France
des années 1970.
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Et en Europe?
En Allemagne, le nucléaire est
déjà l'un des thèmes des législatives de septembre.
Si elle parvient à former une majorité avec le parti libéral
FDP, la chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel
voudrait revenir sur l'accord de sortie signé en 2000 sous le gouvernement
SPD-Verts, qui prévoit la fermeture des dix-sept réacteurs
encore en activité d'ici à 2020.
Les Verts ont annoncé des manifestations
de grande ampleur si l'on revenait sur l'accord. Face à eux, les
partisans de l'atome font valoir que le nucléaire offre une énergie
à la fois sûre et relativement bon marché, sans laquelle
les objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2
que s'est fixés Berlin (- 40% d'ici à 2020) pourront difficilement
être tenus.
L'Italie nage en plein paradoxe : Rome
et Paris ont bien signé un accord-cadre pour la construction d'un
minimum de huit centrales d'ici à 2030 dans la Péninsule,
mais la production d'énergie nucléaire y est encore interdite,
depuis le référendum abrogatif de 1987, que les Italiens
avaient largement approuvé après Tchernobyl.
Le gouvernement a préparé les
esprits au retour au nucléaire en expliquant que l'Italie dépend
à 80% des importations et que l'électricité, par exemple,
y coûte deux fois plus cher qu'en France. Mais, aujourd'hui, il semble
moins pressé, et attend les élections européennes
et surtout locales, qui se dérouleront en juin. A ce jour, toutes
les régions ont dit non à une implantation d'une centrale
sur leur territoire. Pour passer outre ce refus, le gouvernement entend
déclarer les sites choisis d'"intérêt stratégique
national" comme cela a été fait pour les décharges
d'ordures de la région de Naples après la grève du
ramassage des poubelles.
Le Royaume-Uni, en janvier 2008, a
donné le feu vert à la construction de nouvelles centrales
nucléaires, dans une logique d'indépendance énergétique
et de protection de l'environnement. Le 15 avril 2009, onze sites de construction
ont été présélectionnés dans le cadre
du plan de relance du nucléaire. Le prix élevé de
l'électricité, la fin prochaine du pétrole de la mer
du Nord sont autant d'arguments dans ce pays qui dispose du plus vieux
parc nucléaire d'Europe occidentale (ses quatorze centrales en activité
fournissent 20% de l'électricité).
Reste que, vu le déficit des finances
publiques, les industriels chargés de construire les nouvelles centrales
ne recevront aucune aide de l'Etat. Celui-ci s'engage juste à faciliter
la délivrance de permis de construire, pénalisée par
de longues enquêtes publiques.
Quant au coût du démantèlement
des centrales et de l'élimination des déchets, il devra aussi
être entièrement assuré par le secteur privé.
La Suède fut à l'avant-garde
du démantèlement de son parc nucléaire en fermant
l'une de ses quatre centrales en 2005. Une décision politique dans
la logique d'un accord conclu il y a près de trente ans, qui prévoyait
un démantèlement complet des centrales suédoises d'ici
à 2010. La tendance s'est brusquement inversée cet hiver.
Le gouvernement de centre droit, en place depuis 2006, a annoncé
en février son intention de construire de nouvelles centrales, mais
uniquement pour remplacer les anciennes. L'opposition gauche verte, menée
par les sociaux-démocrates, a déclaré fin mars que
le nucléaire aura droit de cité en Suède jusqu'à
ce qu'il puisse être remplacé par de l'électricité
provenant de sources renouvelables.
Ce sursis n'est pas un chèque en blanc:
si le plan de développement des énergies renouvelables est
respecté, le nucléaire pourrait être supprimé
vers 2020. Les Suédois se préparent cependant pour une hypothèse
longue. La recherche d'uranium a été relancée ces
dernières années dans le nord du pays, soulevant les protestations
de populations locales.
En Espagne, la fermeture de la centrale
de Garona, dont le permis d'exploitation expire en juillet 2009, est au
centre du débat sur le nucléaire. Si, dans les prochaines
semaines, le Conseil de sécurité nucléaire (CSN) donne
son feu vert technique à la poursuite de l'activité de ce
réacteur, inauguré en 1971, les Espagnols attendront avec
intérêt la décision politique du gouvernement socialiste,
qui promet l'abandon progressif de cette énergie au fur et à
mesure que les huit réacteurs du pays atteindront la fin de "leur
vie utile", en 2028 pour le dernier. Officiellement, la fin du nucléaire
serait "un thème qui ne fait pas débat", estime la
ministre de l'environnement, Elena Espinosa. Mais, à l'automne 2008,
l'ancien chef du gouvernement Felipe Gonzales s'est prononcé pour
le réexamen du moratoire sur la construction de nouvelles centrales,
adopté lorsqu'il était au pouvoir (1982-1996): "Puisqu'il
faut que quelqu'un fasse le premier pas, je me dévoue. On doit se
pencher à nouveau sur ce sujet."
La Belgique a décidé,
en 2003, de fermer, entre 2015 et 2025, ses sept réacteurs nucléaires,
qui fournissent actuellement près de 60% de l'électricité
produite dans le pays. Cette décision ne convainc plus guère
que les écologistes et une partie des socialistes. GDF Suez, premier
producteur d'électricité du pays, via sa filiale Electrabel,
milite pour un report de la décision de fermeture, et propose, en
échange, d'investir dans les énergies alternatives et les
économies d'énergie. Le gouvernement fédéral,
paralysé par ses divisions, hésite. Il ne tranche pas non
plus la question de l'éventuelle construction de nouvelles centrales
dites TGV (turbine gaz vapeur).
Les consommateurs belges, eux, sont partagés.
Ils notent que le prix de leur électricité est de 30% supérieur
aux tarifs pratiqués en France. |