Point de vue
Corinne Lepage, vice-présidente du MoDem, présidente de CAP21. LE MONDE | 05.06.09 | Article paru dans l'édition du 06.06.09 François Fillon, lors de sa visite au
Tricastin, a qualifié de chance historique le choix nucléaire
de la France. Il s'agit plutôt d'une erreur historique, car la situation
de 2009 n'a rien à voir avec celle de 1973, mais les conséquences
pour notre pays, en termes de responsabilité internationale, risquent
d'être historiques. En 1973, le choix industriel du nucléaire
pouvait paraître défendable: la question des déchets
et du démantèlement était mal connue et Tchernobyl
ne s'était pas produit. Aujourd'hui, les impasses du nucléaire,
le coût du démantèlement et les risques sont non seulement
connus mais accrus en raison du vieillissement des centrales, de la privatisation,
qui ne peut que privilégier la rentabilité au détriment
de la sécurité. Mais, surtout, la problématique industrielle
n'a plus rien à voir.
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Dès lors, le risque avec le choix fait
par le gouvernement est triple: industriel, financier, politique.
1 - Industriel: anéantir l'industrie française du renouvelable et de l'efficacité énergétique, qui ne demanderait qu'à se développer, et, du même coup, nous priver du seul domaine de réindustrialisation solide de la France et de création d'emplois. Le même € dépensé crée 15 fois plus d'emplois dans le renouvelable que dans la filière nucléaire. Il est illusoire de penser que nous développerons simultanément un grand plan de relance du nucléaire et une industrie des énergies renouvelables. C'est financièrement insoutenable et le modèle ne fonctionne pas : trop d'électricité nucléaire à consommer conduit à réduire les efforts d'efficacité énergétique et à voir EDF refuser de supporter les obligations de rachat à un prix correct de l'électricité issue des énergies renouvelables (EnR). Faute de la politique suivie par les pouvoirs publics, nous ne disposons pas de leader mondial, ni même européen, dans ces secteurs et nous n'en aurons pas si nous ne commençons pas par le marché intérieur. 2 - Financier: imaginer que nos voisins vont se ruer sur l'électricité nucléaire, rien n'est moins sûr. L'électricité verte est encouragée et préférée par les consommateurs, et le pari de vendre plus d'électricité à l'export se heurte, d'une part, aux politiques de réduction de la consommation énergétique (objectif de 20% d'augmentation de l'efficacité énergétique), et, d'autre part, aux efforts énormes faits par nos voisins pour augmenter leur potentiel d'EnR. Dès lors, le risque d'échec commercial est considérable, qui vient accentuer une situation financière déjà très fragile du secteur nucléaire; Areva a un besoin de financement de 11 milliards €, sans compter l'épée de Damoclès que constitue le réacteur EPR de Finlande (dont, au passage, les critiques très sévères faites par les Finlandais sur la conception et la réalisation de l'EPR font frémir), et EDF est dans une situation financière que certains jugent préoccupante. Mais le but n'est-il pas de rendre inévitable la privatisation de tout le secteur pour permettre à des financiers ou à de grandes entreprises comme Bouygues de mettre la main sur les investissements faits de longue date par les citoyens français, rachetant des actions d'entreprises endettées? 3 - Politique: enfin, et peut-être surtout, ce choix conduit notre pays à se transformer en VRP du nucléaire, en direction de préférence des pays les moins recommandables, dans la mesure où les clients habituels ne sont plus acheteurs. Ce faisant, nous prenons un risque majeur pour la planète entière en termes de Tchernobyl à répétition et de dissémination de produits radioactifs, sans parler des risques de répétition de situations à l'iranienne ou à l'irakienne dans des pays peu stables. Dès lors, ce choix, qui n'a pas été discuté puisqu'il a été sorti du Grenelle, qui n'a fait l'objet d'aucune évaluation, notamment au regard de l'intérêt des énergies renouvelables, risque d'être un véritable boulet pour l'économie française et de se transformer en erreur historique dont les seuls bénéficiaires pourraient être quelques entreprises en cour, qui pourront élargir leur gamme de produits énergétiques à bon compte. |