Mycle Schneider
Consultant international en énergie et politique nucléaire
Commandité par le Groupe des Verts/ALE au Parlement Européen
Traductions par Julie Hazemann, Paris
Note:
Le présent rapport est en partie basé
sur une analyse commandée par le Non-Proliferation Policy Education
Center (NPEC), Washington DC, en mars 2008.
L'auteur remercie Yves Marignac pour sa
relecture et ses commentaires.
Le rapport complet peut être téléchargé
sur le site des Verts/ALE au Parlement Européen:
http://www.greens-efa.org
An English version of the report can be downloaded
at:
http://www.greens-efa.org/
L'auteur:
Mycle Schneider est consultant international
indépendant sur l'énergie et la politique nucléaire,
basé à Paris.
En 1983, il a créé l'agence
d'information sur l'énergie WISE-Paris, qu'il a dirigée jusqu'en
2003.
Depuis 1997, il a assuré des missions
d'information et de conseil auprès du ministre de l'Energie belge,
des ministères de l'Environnement français et allemand, de
l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, de Greenpeace International,
de l'IPPNW (International Physicians for the Prevention of Nuclear War),
du WWF, de la Commission Européenne, la direction générale
de la
recherche du Parlement Européen, de l'Oxford Research Group,
de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN).
Depuis 2007, il est membre du International
Panel on Fissile Materials (IPFM),
basé à l'Université de Princeton. En 2006-2007, il
a fait partie d'un consortium de consultants
chargé d'analyser l'organisation des fonds de démantèlement
et de gestion des déchets pour le compte de la Commission Européenne.
En 2005, il a conseillé le Committee on Radioactive
Waste Management (CoRWM) au Royaume Uni sur des questions de sécurité
nucléaire.
Mycle Schneider a été auditionné
et a présenté des briefings aux Parlements en Allemagne,
Australie, Belgique, Corée du Sud, Etats Unis, France, Japon, Royaume-Uni,
Suisse et au Parlement Européen.
Depuis 2004, Mycle Schneider est chargé
de cours dans le cadre du Master international Project Management for Environmental
and Energy Engineering à l'Ecole des Mines de Nantes. Il a enseigné
ou donné des conférences dans des universités sur
trois continents dont la Freie Universität, Berlin
(Allemagne), Carlton University, Ottawa (Canada), Tsinghua University
(Chine), Ritsumeikan University, Kyoto (Japon).
En 1997, il a reçu avec le Japonais
Jinzaburo Takagi, le Right Livelihood Award, connu sous le nom de "Prix
Nobel Alternatif".
Table des matières
Introduction (ci-contre =>)
Aspects historiques
Processus de prise de décision
Accès à l'information
Les liens civils-militaires
Les garanties internationales en France
Les garanties d'EURATOM en France
Les garanties de l'AIEA en France
L'accord tripartite EURATOM/AIEA/France
Les “swaps” de plutonium
L'industrie du plutonium
Recherche & Développement
Pétrole, dépendance énergétique et nucléaire
Chaleur électrique et commerce transfrontalier d'électricité
Et si…? Equipement optimisé et évaluation économique
Indépendance énergétique – De 50 % à 8,5
%
Faibles prix de l'électricité – facture énergétique
élevée
Secteur résidentiel
Secteur industriel
Des assurances limitées
Les coûts de démantèlement et de gestion des déchets
Evaluation et gestion des fonds
Un équilibre précaire entre la productivité et
la sûreté nucléaire
EPR – European Problem Reactor ?
Olkiluoto-3, Finlande
Flamanville-3, France
Erosion des compétences et manque de personnels qualifiés
L'opinion publique
Conclusions |
Introduction
Il n'y pas si longtemps, les frites ("French
Fries") étaient rebaptisées "Freedom Fries" aux
Etats-Unis, dans le cadre d'une intense campagne anti-française
qui faisait suite au refus du gouvernement français de participer
à la guerre en Irak. Mais la colère contre la France semble
être totalement passée aux oubliettes. Non seulement les "French
Fries" sont redevenues politiquement correctes, mais la France fait figure
de modèle aux Etats-Unis, comme ailleurs: un
modèle nucléaire. "Il est temps de
regarder vers la France", écrivait le chroniqueur du
New
York Times Roger Cohen, "ils ont la tête bien en place, avec
un nucléaire qui atteint les 70% d'avis favorables". Et dans
la même veine, l'ancien candidat présidentiel républicain
John McCain s'interrogeait: "Si la France peut produire 80% de son
électricité avec le nucléaire, pourquoi pas
nous?".
Le gouvernement Sarkozy-Fillon, qui assure
la présidence du Conseil des Ministres de l'Union Européenne
jusqu'à la fin 2008, a opté pour une promotion massive du
nucléaire, y compris à
l'intention des nouveaux venus comme l'Algérie, la Jordanie,
la Libye, le Maroc, la Tunisie ou les Emirats Arabes Unis. Et le président
Sarkozy de déclarer à Marrakech: "Il y en a bien en France,
pourquoi n'y en aurait-il pas au Maroc?". Le Président français
parcourt le monde à la manière du VRP d'une industrie nucléaire
rutilante, du Moyen-Orient à la Chine, du Brésil à
l'Inde. Le 29 septembre 2008, avant même que le Congrès américain
n'ait donné le feu vert à l'accord nucléaire entre
les Etats-Unis et l'Inde, la France signait un accord de coopération
similaire avec cette dernière.
L'effondrement international des marchés
financiers ne facilitera pas la réalisation de tels projets. Les
crédits sont rares et se feront de plus en plus chers. Les membres
de la "Disposition directrice pour les Crédits à l'export
officiellement soutenus" de 1978 se sont réunis à Paris,
sous les auspices de l'OCDE, les 19 et 20 novembre 2008, avec comme objectif
principal d'allonger la période des temps de retour accordés
aux crédits nucléaires jusqu'à 30 ans, contre 15 ans
aujourd'hui. Les principales
sources de financement attendues des agences de crédits à
l'exportation sont le Japon et la France.
Avec les Etats-Unis, ces deux pays se sont
accordés pour financer une étude au sein de la Banque Mondiale,
pour réévaluer la compétitivité-coût
du nucléaire. Il s'agit d'un pas supplémentaire pour accroître
la pression sur les banques multilatérales de développement
qui excluent de façon explicite ou implicite le financement du nucléaire.
La Banque Mondiale, par exemple, n'a pas financé de projets nucléaires
depuis des décennies, et de son côté, la Banque asiatique
de développement n'en a jamais financé.
Le message général est clair:
en France, le nucléaire marche, et en 2007, il a fourni 77% de l'électricité
du pays et 47% de l'électricité nucléaire de l'ensemble
de l'Union Européenne. La
compagnie publique EDF a amplifié sa propre stratégie
internationale avec la récente acquisition de British Energy, sa
prise de participation dans la compagnie américaine Constellation
et la création de la Guangdong Taishan Nuclear Power Joint Venture
Company, détenu à 30% par EDF pendant 50
ans, dont l'objectif est la construction et l'exploitation de deux
réacteurs EPR. "Les demandes de pays qui souhaitent bénéficier
de cette énergie propre et peu coûteuse sont légitimes",
déclarait notamment le Ministre français des Affaires étrangères
Bernard Kouchner. Mais le nucléaire marche-t-il si bien, et est-il
aussi sûr et bon marché que cela en France?
La France figure parmi les grandes puissances
économiques mondiales et jouit d'une influence politique considérable.
Elle occupe le 7ème rang mondial pour le Produit intérieur
brut (PIB 2006), le 8ème rang pour la consommation d'énergie
primaire (en 2007) et elle est de loin la destination la plus prisée
des touristes internationaux. Avec plus de 63 millions d'habitants, la
France est le pays le plus peuplé de l'Union Européenne après
l'Allemagne. La politique énergétique française exerce
une influence considérable au niveau international, en particulier
grâce à une représentation forte et continue à
la Direction générale des transports et de l'énergie
(DG TREN), ou d'autres organisations
comme l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) de l'OCDE. La position
pro-nucléaire de l'AIE s'est considérablement renforcée
depuis le passage de Claude Mandil en tant que Directeur exécutif
(2003-2007). Celui-ci appartient Corps des Mines, l'élite française
des ingénieurs qui a conçu, fait passer et mis en place le
programme nucléaire en France, et dont les membres occupent les
positions clé dans les ministères, l'industrie et les agences
gouvernementales.
Représentants de l'industrie nucléaire
et de l'électricien, diplomates et fonctionnaires sont brillamment
parvenus à présenter le programme nucléaire comme
une grande réussite assurant un niveau important d'indépendance
face aux importations d'énergie, et de pétrole en particulier,
et une électricité sans carbone.
Avec la montée apparente de l'acceptation
du nucléaire dans l'Union Européenne, et au-delà,
il n'est pas inutile d'examiner de plus près le "modèle français".
Pour comprendre l'impact global de la stratégie nucléaire
française, il faut regarder au-delà du nombre de kWh produits.
De nombreuses conséquences systémiques de ce choix ne sont
pas visibles à première vue. |