Charles-Emmanuel Haquet et Géraldine Meignan -
26/08/2009
Reuters/ Vincent Kessler
Fabriqués avec du métal contaminé,
des produits de consommation courante - sacs à main, ustensiles
de cuisine, boutons d'ascenseur, etc. - sont radioactifs. L'Union européenne
cherche à mieux les détecter pour limiter les risques. Révélations.
Ils sont arrivés à quatre dans
l'entreprise iséroise. Ce matin d'octobre 2008, dans le hall de
Mafelec, les inspecteurs de l'Institut de radioprotection et de sûreté
nucléaire (IRSN) installent leurs outils et procèdent aux
premières mesures. Quelques jours plus tôt, les ouvriers de
cette fabrique de composants pour ascenseurs apprenaient qu'ils avaient
manipulé des métaux radioactifs. L'Autorité de sûreté
nucléaire (ASN) a classé l'incident au niveau 2, du jamais-vu
pour une entreprise n'appartenant pas au secteur nucléaire. Au siège
du sous-traitant d'Otis, à qui les boutons d'ascenseur étaient
destinés, c'est la stupeur. Plusieurs sites français avaient
déjà été livrés, obligeant l'entreprise
à récupérer ses lots suspects.
Pour accéder à la liste des
incidents répertoriés dans le monde entier ces dix dernières
années, cliquez
ici.
L'affaire n'est pas un cas isolé, loin s'en faut. Boucles de
sacs à main aux Pays-Bas, instruments de musique en Belgique,
ustensiles de cuisine aux Etats-Unis, articles de quincaillerie
en Allemagne, produits métalliques en Italie: les
alertes à la radioactivité portant sur des biens de consommation
se sont multipliées ces dernières années. D'où
vient cette radioactivité? Comment se retrouve-t-elle dans des produits
qu'on achète au supermarché? En cause, du métal fabriqué
dans des aciéries indiennes ou chinoises à partir de ferrailles
contaminées au cobalt 60, au césium 137 ou au radium.
La lutte pour la protection de l'environnement
n'a pas que des vertus. La moitié de l'acier produit dans le monde
est fabriqué à partir de métaux recyclés. Carcasses
de voitures, électroménager, emballages métalliques,
déchets électroniques, rien ne se perd, tout se récupère.
A l'exception de certaines machines industrielles et médicales qui
contiennent des sources radioactives scellées et font l'objet d'un
retraitement à part. Normalement, les autorités nucléaires
les suivent à la trace, mais il arrive qu'elles soient abandonnées
par erreur dans des déchetteries, ou récupérées
par des ferrailleurs peu scrupuleux, notamment lorsque des usines mettent
la clef sous la porte.
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suite:
«Des lots de métaux radioactifs,
on en trouve tous les ans, explique Didier Louvat, responsable du programme
de gestion des déchets radioactifs à l'Agence internationale
de l'énergie atomique (AIEA). Souvent, la contamination vient
d'appareils de mesure, de dispositifs d'imagerie médicale, mais
aussi d'équipements provenant d'installations pétrolières.
Par exemple, des tuyaux dans lesquels s'est déposé du radium.»
Ces trois dernières années, 150 alertes à la ferraille
radioactive ont ainsi été enregistrées par l'AIEA.
Des tonnes de rouleaux d'acier contaminé
Pour comprendre le processus de contamination,
cliquez
ici.
Si ces sources sont accidentellement fondues
dans les hauts-fourneaux, c'est la catastrophe. Des tonnes de rouleaux
d'acier contaminé partent alors dans les usines, où elles
sont transformées en montres, en téléphones, en ustensiles
de cuisine... «Les douanes belges interceptent régulièrement
des barres d'acier contaminé en provenance d'Inde. On a découvert
une fois qu'elles allaient être utilisées dans l'industrie
agroalimentaire pour trier et conditionner des aliments! Nous sommes arrivés
juste à temps», raconte André Poffijn, inspecteur
à l'agence fédérale belge de sûreté nucléaire.
Que découvrirait-on en faisant ses
courses avec un compteur Geiger sous le bras? Les objets radioactifs retrouvés
ces dernières années n'avaient pas été contrôlés
avant d'être mis dans les linéaires. Quand ils sont interceptés,
c'est souvent de manière fortuite, comme ces montres dont le bracelet
était radioactif, en vente au début des années 2000
dans les hypermarchés Carrefour, et découvertes après
qu'un salarié d'une centrale nucléaire eut fait sonner un
portique de détection, à l'entrée du site. Le 6 février
2007, à l'institut Laue-Langevin de Grenoble, c'est un sac à
main acheté au Royaume-Uni qui déclenche l'alerte des capteurs.
Faisait-il partie du lot de sacs contaminés au cobalt découvert
quelques semaines plus tôt par les douanes néerlandaises à
Rotterdam? C'est vraisemblable.
Certes, ces alertes n'ont pas eu d'effets
néfastes sur la santé humaine. Les doses reçues ont
été faibles, et les durées d'exposition, très
courtes (lire page 45). Mais elles suscitent des doutes sur la façon
dont les citoyens sont protégés contre cette radioactivité
«industrielle». «Le risque de voir un jour des
produits importés comporter des doses plus importantes est loin
d'être nul», dit-on à l'ASN. Encore faudrait-il
les chercher. Pour l'heure, cela ne rentre pas dans les contrôles
de routine effectués par la Direction générale de
la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. |