CONTROVERSES NUCLEAIRES !

2009
avril
La renaissance du nucléaire, une route semée d'obstacles
ADIT, http://www.lemonde.fr/


LE MONDE | 18.04

     La prédiction n'émane pas d'un militant de Greenpeace, mais de Pierre Gadonneix, PDG d'EDF, le premier producteur mondial d'électricité nucléaire: "Le nucléaire va redémarrer, mais peut-être pas aussi vite que certains le disent".Après vingt-cinq ans de gel des investissements à la suite des accidents de Three Mile Island (1979) et surtout de Tchernobyl (1986), les esprits avaient commencé à s'échauffer à partir de 2005. Trop, sans doute. Tourneboulés par la flambée des prix du pétrole, la hausse annoncée de la demande d'électricité et l'inquiétude grandissante sur le réchauffement climatique, de bons experts ont livré des chiffres faramineux. Certains scénarios annonçaient un triplement des capacités d'ici à 2030 (à 1.200 GW) tandis que la liste des nations nucléarisées passait de 31 à 60.
Cette "exubérance excessive" - de l'aveu de Dale Klein, patron de l'Autorité de sûreté américaine - est retombée, même si l'avenir semble sourire au nucléaire. Un réacteur émet 60 fois moins de CO2 qu'une centrale au charbon*. Malgré un coût de plus de 4 milliards d'euros pour le modèle le plus puissant, il reste compétitif avec un baril à 40-50 dollars, affirme Pierre Gadonneix. L'uranium n'entre que pour 5% dans le prix du kilowatt.heure (kWh), ce qui évite la volatilité affectant les cours des hydrocarbures. Sa compétitivité sortira renforcée si les gouvernements imposent aux utilisateurs d'énergies fossiles une taxe carbone ou le captage-stockage du CO2, qui alourdiront le coût du kWh. Quant à l'opinion, elle évolue favorablement: 29 % des 10.000 personnes interrogées dans vingt pays par le cabinet Accenture sont partisanes de l'adoption ou du renforcement du nucléaire. 40 % y seraient favorables si leurs inquiétudes étaient dissipées (sûreté, déchets, prolifération...).
     Bonnes nouvelles pour les pronucléaires! Mais toutes les hypothèques pesant sur la filière sont loin d'être levées. "L'ensemble des études sur une relance massive montre la marginalité des résultats qu'on peut en attendre en 2030 du point de vue de la sécurité énergétique et du réchauffement climatique", note Benjamin Dessus, président de Global Chance, dans les cahiers de l'association (Nucléaire: la grande illusion, septembre 2008).
     La prochaine décennie sera cruciale, si l'on en croit le Groupe intergouvernemental des experts sur le climat créé par les Nations unies. Or, les délais de construction des nouvelles centrales sont tels que la plupart n'entreront en service qu'après 2020, quand il sera peut-être trop tard.

suite:
     Les sous-capacités de l'industrie et la nécessité de former une nouvelle génération d'ingénieurs et de techniciens pourraient aussi ralentir le rythme. S'il existe environ 240 projets de réacteurs, on n'en compte qu'une trentaine en construction.
     Pour faire passer la part d'électricité nucléaire de 16% à 22% en 2050, hypothèse haute de l'Agence de l'énergie nucléaire (AEN) dépendant de l'Organisation de coopération et de développement économiques, il faudrait mettre en service 54 réacteurs par an entre 2030 et 2050. "L'expérience passée montre que le monde en est capable", et la planète peut fournir de l'uranium pendant un siècle, affirme l'Agence. Un optimisme vivement contesté par les écologistes.
L'équation économique est, elle aussi, complexe. "L'incertitude sur ses coûts est une contrainte pour l'avenir du nucléaire", notent les experts du cabinet Booz & Company (Energy Shift, Eric Spiegel et Neil McArthur, McGraw Hill, 2009). Surtout dans des pays où, comme les Etats-Unis, le montant des investissements supportés par des groupes d'électricité privés inquiète politiques et banquiers. Barack Obama n'en a pas fait une priorité, contrairement à George Bush. Les déboires des électriciens et des financiers américains dans les années 1970 et les dérapages actuels du chantier finlandais d'Areva envoient des signaux inquiétants.
     S'ils surmontent ces difficultés industrielles et financières, gouvernements et exploitants auront à résoudre celles du stockage des déchets dit "à longue vie et à haute activité". A ce jour, seule la Finlande a trouvé un site, alors que les Etats-Unis, première puissance nucléaire mondiale, viennent de repousser le projet de Yucca Mountain (Nevada).
     Restera le risque de prolifération, notamment la contrebande de matières fissiles, au moment où la tendance est à la relance du désarmement dans le cadre d'une reprise du dialogue américano-russe. La communauté internationale réfléchit à des centres implantés dans des pays déjà nucléarisés où les nouveaux venus au club se fourniront en combustible. A condition de le restituer une fois brûlé pour éviter toute tentation proliférante.
     Les partisans du nucléaire se veulent rassurants: les pays exploitant des réacteurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Russie, France...) ont eu la bombe, puis des centrales; d'autres ont renoncé à leurs ambitions militaires pour un programme civil (Afrique du Sud, Egypte, Brésil, Argentine...). Jusqu'à ce que l'Iran vienne semer l'inquiétude et le doute.
* Tiens, tiens, jusque-là, "on" disait qu'il ne produisait pas de CO2!...