Les dysfonctionnements observés
en juillet 2008 sur le site de Tricastin n'ont rien
d'exceptionnel du point de vue de l'Autorité de sûreté
nucléaire: plusieurs centaines de cas similaires, eux
aussi classés en alerte de niveau 1 ou 0 sur l'échelle Ines,
surviennent chaque année. Mais que sont exactement ces niveaux d'alerte.
Retour sur un classement des risques nucléaires qui fait débat.
Contaminations en chaîne
74 kilogrammes d'uranium perdus dans la nature
à Tricastin ? Pas de quoi s'alarmer. L'Autorité
de sûreté nucléaire (ASN) l'affirme: il s'agit
d'une alerte de niveau 1. Même pas un incident, une simple «anomalie»
selon le classement international Ines (International nuclear event scale).
Cent personnes «légèrement irradiées»
deux semaines plus tard sur le même site? Encore moins grave: une
alerte de niveau 0, un petit écart tout au plus par rapport à
une situation idéale. Vues de loin, ces deux affirmations ont de
quoi surprendre. Alors, qu'entend-on exactement par un incident de niveau
1 sur l'échelle Ines?
Dans les suites de Tchernobyl
C'est au lendemain de l'accident de Tchernobyl,
en 1987, que l'ASN met en place son échelle de gravité des
événements nucléaires:
Les huit niveaux de l'échelle Ines
«L'idée était de mieux
informer le public quant au degré de dangerosité des incidents
nucléaires qui pouvaient survenir en France, dit Jean-Luc Lachaume,
directeur adjoint de l'ASN. Grâce à ce classement, effectué
sous 24 heures par l'exploitant nucléaire concerné, les médias
peuvent jauger l'importance d'un incident en un clin d'œil.»
Reprise en 1991 par l'Agence
internationale à l'énergie atomique (AIEA), l'échelle
Ines est désormais utilisée dans une soixantaine de pays.
Elle permet de classer les incidents nucléaires selon 8 niveaux
de gravité: le 0 correspond à tout événement
«n'ayant aucune importance du point de vue de la sûreté»,
les niveaux 1, 2, 3 correspondent respectivement à une «anomalie»,
à un «incident», à un «incident grave».
Enfin, viennent les plus graves de tous les dysfonctionnements, les accidents
classés de 4 à 7, le dernier échelon correspondant
au désastre de Tchernobyl.
62 niveaux 1 cette année
Chaque année en France, des centaines
d'alertes de niveau 0 et 1 sont enregistrées par l'ASN. Et dans
les niveaux 1, on trouve aussi bien des problèmes de tuyauterie,
de vannes bloquées, que des cas de pollution «légère».
«Or, comment peut-on affirmer qu'une
perte de 74 kg d'uranium est une anomalie, un incident bénin: c'est
30 fois la limite annuelle de rejet autorisé pour cette installation,
s'exclame Roland Desbordes, le directeur de la CRIIRAD*.
Cela n'a rien à voir avec une petite vanne coincée!»
Quelques critères utilisés pour classer les incidents
nucléaires dans l'échelle Ines
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« Oui, cela peut surprendre de prime
abord, convient Jean-Luc Lachaume. Mais il faut bien comprendre
que l'échelle Ines n'est pas un outil d'évaluation. Elle
sert simplement à informer rapidement les médias. Or, d'un
point de vue de la sûreté, un problème de vanne ou
de procédures peut être aussi grave qu'une contamination.
Aussi, au lieu de multiplier les échelles, nous avons choisi d'intégrer
tous ces paramètres dans une seule grille de lecture... par souci
de clarté.»
«Plutôt un moyen de noyer les
problèmes réels dans une nuée de petits problèmes
techniques», conteste Roland Debordes qui affirme que, du point
de vue de la CRIIRAD, le problème survenu à Tricastin correspondrait
plutôt à un niveau d'alerte 2 ou 3.
«Mais non, répond Jean-Luc
Lachaume. Lorsqu'une contamination survient, l'exploitant remplit une
grille de critères et obtient un niveau d'alerte. Il s'agit d'une
procédure très précise. Le cas de Tricastin n'a rien
de bénin. C'est pour cela d'ailleurs qu'il a été classé
en niveau 1. Cela n'a rien d'anodin. Il aurait fallu des pertes 10 à
100 fois plus importantes pour passer à des niveaux d'alerte 2 ou
3. Pour des contaminations aussi faibles que lors du dysfonctionnement
de Tricastin, il n'y a aucun impact sanitaire ou environnemental.»
* CRIIRAD: Commission de recherche et d'information indépendantes
sur la radioactivité.
Quels risques pour les petites contaminations ?
Roland Desbordes refuse d'accepter l'argumentaire
de l'ASN: «Les impacts à long terme des faibles niveaux
de contaminations sont inconnus. Et au lieu d'appliquer le principe de
précaution, l'ASN affirme qu'il est inutile de s'inquiéter!»
Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau
Sortir
du nucléaire enfonce le clou: «En fonction du mode
de contamination (inhalation, contact), les conséquences sanitaires
peuvent être très différentes sur l'homme. Or l'échelle
Ines ne rend pas compte de tels détails.»
Des critiques balayées par l'ASN qui
répond que l'échelle Ines est régulièrement
réadaptée en fonction des découvertes scientifiques
et qu'en l'occurrence, les nombreuses études effectuées en
France n'ont jamais montré que les faibles
doses de radioéléments rejetées dans
l'environnement avaient un impact sur la santé des riverains.
Reste qu'en Allemagne, pays qui applique la
même réglementation qu'en France, les choses sont plus nuancées
en matière d'interprétation des études sur le thème
de l'impact sanitaire. Il y a quelques mois, une étude universitaire
allemande (1- site resosol
où est diponible le dossier complet de l'étude, 2-
site Gazette Nucléaire)
concluait que dans un périmètre de 50 kilomètres autour
des installations nucléaires, le nombre de cas de leucémies
et de cancers tendait à être plus important qu'ailleurs sur
le territoire (Oui?
Non?
Et à La
Hague et Sellafield?). «Nous prenons cette étude très
au sérieux, admet Jean-Luc Lachaume. Nous venons même
de créer un comité d'experts chargés de réanalyser
les résultats allemands et français.»
Pour l'heure, ce résultat n'a néanmoins
conduit à aucune modification de l'échelle Ines. «Il
est trop tôt pour trancher. Néanmoins, il ne faut pas se leurrer,
affirme Jean-Luc Lachaume. Toutes les industries, chimiques ou nucléaires,
sont polluantes et peuvent poser des problèmes sanitaires. C'est
une question de choix de société.»
Viviane Thivent
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