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30 navires chargés de déchets toxiques
coulés au large des côtes italiennes-Une longue chaîne
de complicités à travers toute l'Europe
AUTEUR: Mariavittoria ORSOLATO
Traduit par Fausto Giudice
Un vieux proverbe de marin dit de manière
fort sage: "Telle mer, tels poissons". Et quand cette mer est la nôtre,
il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il y a quelques jours, au large
de Cetraro, en province de Cosenza,on ait retrouvé l'épave
d'un bateau plein de déchets toxiques. La découverte a été
rendue possible par le témoignage de Francesco Fonti, ex-trafiquant
de drogue affilié au clan Mutu et aujourd'hui repenti de la 'Ndràngheta1
sous protection policière. Mais les rapports indiquant que quelque
chose n'allait pas dans la mer Tyrrhénienne datent de plusieurs
années. Les déclarations faites en avril 2006 par le repenti
Fonti à un magistrat anti-mafia, ne sont pas en fait la première
pierre d'une énième enquête sur la mafia locale, mais
contribuent à la quadrature du cercle auquel nos magistrats essayent
depuis des décennies de donner une paternité certaine.
Et le fait qu'il a fallu 3 ans et demi avant
que les vérifications appropriées soient autorisées
et réalisées, en dit long sur le type de boîte de Pandore
qui pourrait être découverte et ouverte dans les eaux de la
Méditerranée qui lèchent nos côtes.
La piste suivie par les enquêteurs est
celle du trafic international de déchets radioactifs, celle-là
même qui a coûté la vie à Ilaria Alpi et Miran
Hrovatin à Mogadiscio en 1993 et que beaucoup considèrent
comme l'un des nombreux mystères de la Première République,
où sont impliqués services secrets, politiciens et
magouilleurs faisant la navette entre la Hollande et la Somalie, la Calabre
et l'ex-Yougoslavie. La procédure utilisée par le clan et
clarifiée par Francesco Fonti est très simple: on choisit
des charrettes de la mer déjà mal en point ou au rencart
- des bateaux dits «à perte» -, on les charge de déchets
et de substances toxiques, puis on simule un naufrage et on les coule,
en réclamant qui plus est des généreuses compensations
aux compagnies d'assurance.
«A bord des navires il y avait à
cette époque une certaine quantité de fûts qui
n'avaient pas été éliminés à l'étranger»,
peut-on lire dans le PV des déclarations de Fonti , «Nous
avons pris les caisses d'explosifs et les avons positionnées aux
endroits où elles devaient exploser pour faire embarquer l'eau et
les faire couler.». D'après l'exposé du repenti,
donc, la ‘Ndrangheta n'est que le simple exécutant des faux naufrages
et, toujours selon Fonti, ceux qui voulaient que le Cunski coule avec 120
fûts de déchets, résidaient en Norvège, pas
en Italie.
L'écheveau est décidément
embrouillé mais Bruno Giordano, procureur en chef de Paola, semble
en avoir trouvé le bout. En effet, c'est lui qui a découvert
que le long des berges de la rivière Oliva, entre Aiello Calabro
et Serra d'Aiello, étaient stationnés des métaux lourds
d'une radioactivité très intense, c'est son intuition qui
l'a amené à vérifier un document de l'ARPA Calabre
[Agence régionale pour la Protection de l'Environnement] où
était signalée la présence un objet le long d'au moins
80 mètres sur les fonds marins au large de Cetraro. Bien que
la Marine ne disposât pas de moyens appropriés pour
l'inspection, Giordano s'est adressé au conseiller à l'environnement
de la région Calabre, Silvestro Greco, qui a réussi à
récupérer un robot en mesure de scanner l'épave.
Les images diffusées samedi par les
principaux services d'information sont les mêmes que le robot a prises
à plus de 500 mètres de profondeur et représentent
un squelette métallique d'où sort un fût presque complètement
aplati, confirmant ainsi les affirmations de plusieurs sources et le témoignage
du repenti Fonti. Depuis la fin des années 70 c'est une trentaine
de navires empoisonnés qui ont coulé le long des côtes
italiennes dans des conditions qui restent à élucider, mais
les révélations de certains collaborateurs de justice liées
aux découvertes journalistiques d'Ilaria Alpi, donnent à
penser que, durant les quinze ans de 1976 à
1991, il y a eu un véritable trafic des déchets nucléaires,
organisé entre le Nord de l'Europe (d'où les chargements
partaient), et certains endroits de l'Aspromonte (où on décidait
de la manière de s'en débarrasser).
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suite:
L'hypothèse est que certaines autorités
étatiques en Europe, ne sachant où se débarrasser
de leurs propres chargements de déchets radioactifs, s'en soient
remises avec la complicité d'autres instances aux services de la
criminalité organisée pour éliminer le problème
à la source, évitant ainsi déclencher des batailles
avec des opinions publiques opposée au stockage des déchets
nucléaires dans leur propre pays. Pour avaliser la thèse
des magistrats il y a le témoignage de Fonti sur deux autres navires
coulés à Metaponto et Maratea, mais il y a aussi un rapport
signé par le Dr Giacomino Brancati - médecin et conseiller
du procureur de Paola - qui explique: «Nous pouvons confirmer
qu'il y a eu, par rapport au reste de la région, une surmortalité
statistiquement significative dans le district d'Amantea, de 1992 à
2001, en particulier dans les communes de Serra d'Aiello, Amantea, Cleto
et Malito.» Le rapport évoque l'impressionnante escalade
de tumeurs malignes du côlon, du rectum, du foie et du sein, dans
le district touché par les naufrages criminels, et probablement
dues à des radiations excessives.
Interrogé hier (au Parlement) à
l'occasion des questions au gouvernement, le gouvernement a apparemment
omis de prendre sérieusement en considération les progrès
dans l'enquête du procureur de Paola; malgré cela Pisanu (ministre
de l'Intérieur) a promis un examen approfondi de l'affaire à
la Commission Antimafia [on est rassurés; depuis 1963 qu'elle
existe, on se demande ce qu'elle a fait, NdT], pour l'instant le seul
ministère impliqué dans la résolution de ce qui apparaît
de plus en plus comme une crise de santé publique est celui dirigé
par Stefania Prestigiacomo [ministre de l'Environnement, de la Protection
du Territoire et de la Mer, ça tombe bien, Ndt]. Le ministère
de l'Environnement, soutenu par l'ARPA Calabre et par l'ISPRA [Institut
supérieur pour la protection et la recherche environnementales],
a promis de réaliser ce que l'on appelle dans le jargon une «caractérisation»
du sol, pour effectuer des relevés de chaque type d'échantillon
susceptible de fournir des informations sur la typologie et la diffusion
des polluants contenus dans les bidons des navires coulés. Il est
désormais trop tard pour arranger les choses, mais, apparemment,
cela, personne ne semble l'avoir compris.
Note du traducteur:
1 - La 'Ndràngheta est une organisation criminelle originaire
de Calabre, mais qui s'est mondialisée comme ses sœurs sicilienne
– la Mafia – et napolitaine –le Camorra. Son nom vient du grec andragathía,
qui signifie héroïsme et vertu. Son berceau et bastion historique
est le massif montagneux de l'Aspromonte, à la pointe de la botte
italienne.
Lire à ce sujet La 'Ndrangheta - Enquête
au cœur de la plus puissante des mafias italiennes, de Stéphane
Quéré, qui vient de paraître aux éditions La
manufacture de livres ISBN-13: 9782358870023 18,90 €
Présentation de l'éditeur:
Enlèvements, drogue, corruption, extorsion de fonds, en 2007,
la 'Ndrangheta a réalisé un chiffre d'affaires de 44 milliards
d'euros, soit prés de 3 % du P.I.B. de l'Italie. La camorra napolitaine,
popularisée par le livre et le film Gomorra, se fournit auprès
de sa grande soeur moins médiatique du sud de l'Italie. Impossible
de lutter contre cette organisation avec les méthodes traditionnelles
qui ont fait vaciller Cosa Nostra: la ‘Ndrangheta est composée
de clans familiaux et est imperméable aux recrutements extérieurs.
Il est aussi très difficile de trouver des repentis.
La 'Ndrangheta a des ramifications dans le monde entier: Europe, Amérique
du Nord et du Sud, Afrique du Nord. Stéphane Quéré
nous révèle comment la 'Ndrangheta dispose aussi de bases
en France. Le livre débute sur le massacre de Duisbourg en août
2007: 6 membres d'un même clan de la 'Ndrangheta abattus lors d'un
règlement de comptes.
Source: Altrenotizie - Relitti radioattivi
Article original publié le 17/9/2009
Sur l'auteure
Fausto Giudice est membre de Tlaxcala, le
réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette
traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter
l'intégrité et d'en mentionner l'auteure, le traducteur et
la source.
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