CONTROVERSES NUCLEAIRES !
Mafia italienne et nucléaire...

2009
1b) Epaves radioactives

http://www.tlaxcala.es/
30 navires chargés de déchets toxiques coulés au large des côtes italiennes-Une longue chaîne de complicités à travers toute l'Europe

AUTEUR:  Mariavittoria ORSOLATO
Traduit par  Fausto Giudice

     Un vieux proverbe de marin dit de manière fort sage: "Telle mer, tels poissons". Et quand cette mer est la nôtre, il n'y a pas lieu de s'étonner qu'il y a quelques jours, au large de  Cetraro, en province de Cosenza,on ait retrouvé l'épave d'un bateau plein de déchets toxiques. La découverte a été rendue possible par le témoignage de  Francesco Fonti, ex-trafiquant de drogue affilié au clan Mutu et aujourd'hui repenti de la 'Ndràngheta1 sous protection policière. Mais les rapports indiquant que quelque chose n'allait pas dans la mer Tyrrhénienne datent de plusieurs années. Les déclarations faites en avril 2006 par le repenti Fonti à un magistrat anti-mafia, ne sont pas en fait la première pierre d'une énième enquête sur la mafia locale, mais contribuent à la quadrature du cercle auquel nos magistrats essayent depuis des décennies de donner une paternité certaine.
     Et le fait qu'il a fallu 3 ans et demi avant que les vérifications appropriées soient autorisées et réalisées, en dit long sur le type de boîte de Pandore qui pourrait être découverte et ouverte dans les eaux de la Méditerranée qui lèchent nos côtes.
     La piste suivie par les enquêteurs est celle du trafic international de déchets radioactifs, celle-là même qui a coûté la vie à Ilaria Alpi et Miran Hrovatin à Mogadiscio en 1993 et que beaucoup considèrent comme l'un des nombreux mystères de la Première République, où sont impliqués services secrets, politiciens et  magouilleurs faisant la navette entre la Hollande et la Somalie, la Calabre et l'ex-Yougoslavie. La procédure utilisée par le clan et clarifiée par Francesco Fonti est très simple: on choisit des charrettes de la mer déjà mal en point ou au rencart - des bateaux dits «à perte» -, on les charge de déchets et de substances toxiques, puis on simule un naufrage et on les coule, en réclamant qui plus est  des généreuses compensations aux compagnies d'assurance.
     «A bord des navires il y avait à cette époque  une certaine quantité de fûts qui n'avaient pas été éliminés à l'étranger», peut-on lire dans le PV des déclarations de Fonti , «Nous avons pris les caisses d'explosifs et les avons positionnées aux endroits où elles devaient exploser pour faire embarquer l'eau et les faire couler.». D'après l'exposé du repenti, donc, la ‘Ndrangheta n'est que le simple exécutant des faux naufrages et, toujours selon Fonti, ceux qui voulaient que le Cunski coule avec 120 fûts de déchets, résidaient en Norvège, pas en Italie.
     L'écheveau est décidément embrouillé mais Bruno Giordano, procureur en chef de Paola, semble en avoir trouvé le bout. En effet, c'est lui qui a découvert que le long des berges de la rivière Oliva, entre Aiello Calabro et Serra d'Aiello, étaient stationnés des métaux lourds d'une radioactivité très intense, c'est son intuition qui l'a amené à vérifier un document de l'ARPA Calabre [Agence régionale pour la Protection de l'Environnement] où était signalée la présence un objet le long d'au moins 80 mètres sur les fonds marins au large de Cetraro. Bien que  la Marine ne disposât pas de  moyens appropriés pour l'inspection, Giordano s'est adressé au conseiller à l'environnement de la région Calabre, Silvestro Greco, qui a réussi à récupérer un robot en mesure de scanner l'épave.
     Les images diffusées samedi par les principaux services d'information sont les mêmes que le robot a prises à plus de 500 mètres de profondeur et représentent un squelette métallique d'où sort un fût presque complètement aplati, confirmant ainsi les affirmations de plusieurs sources et le témoignage du repenti Fonti. Depuis la fin des années 70 c'est une trentaine de navires empoisonnés qui ont coulé le long des côtes italiennes dans des conditions qui restent à élucider, mais les révélations de certains collaborateurs de justice liées aux découvertes journalistiques d'Ilaria Alpi, donnent à penser que, durant les quinze ans de 1976 à 1991, il y a eu un véritable trafic des déchets nucléaires, organisé entre le Nord de l'Europe (d'où les chargements partaient), et certains endroits de l'Aspromonte (où on décidait de la manière de s'en débarrasser).

suite:
     L'hypothèse est que certaines autorités étatiques en Europe, ne sachant où se débarrasser de leurs propres chargements de déchets radioactifs, s'en soient remises avec la complicité d'autres instances aux services de la criminalité organisée pour éliminer le problème à la source, évitant ainsi déclencher des batailles avec des opinions publiques opposée au stockage des déchets nucléaires dans leur propre pays. Pour avaliser la thèse des magistrats il y a le témoignage de Fonti sur deux autres navires coulés à Metaponto et Maratea, mais il y a aussi un rapport signé par le Dr Giacomino Brancati - médecin et conseiller du procureur de Paola - qui explique: «Nous pouvons confirmer qu'il y a eu, par rapport au reste de la région, une surmortalité statistiquement significative dans le district d'Amantea, de 1992 à 2001, en particulier dans les communes de Serra d'Aiello, Amantea, Cleto et Malito.» Le rapport évoque l'impressionnante escalade de tumeurs malignes du côlon, du rectum, du foie et du sein, dans le district touché par les naufrages criminels, et probablement dues à des radiations excessives.
     Interrogé hier (au Parlement) à l'occasion des questions au gouvernement, le gouvernement a apparemment omis de prendre sérieusement en considération les progrès dans l'enquête du procureur de Paola; malgré cela Pisanu (ministre de l'Intérieur) a promis un examen approfondi de l'affaire à la Commission Antimafia [on est rassurés; depuis 1963 qu'elle existe, on se demande ce qu'elle a fait, NdT], pour l'instant le seul ministère impliqué dans la résolution de ce qui apparaît de plus en plus comme une crise de santé publique est celui dirigé par Stefania Prestigiacomo [ministre de l'Environnement, de la Protection du Territoire et de la Mer, ça tombe bien, Ndt]. Le ministère de l'Environnement, soutenu par l'ARPA Calabre et par l'ISPRA [Institut supérieur pour la protection et la recherche environnementales], a promis de réaliser ce que l'on appelle dans le jargon une «caractérisation» du sol, pour effectuer des relevés de chaque type d'échantillon susceptible de fournir des informations sur la typologie et la diffusion des polluants contenus dans les bidons des navires coulés. Il est désormais trop tard pour arranger les choses, mais, apparemment, cela, personne ne semble l'avoir compris.

Note du traducteur:
1 - La 'Ndràngheta est une organisation criminelle originaire de Calabre, mais qui s'est mondialisée comme ses sœurs sicilienne – la Mafia – et napolitaine –le Camorra. Son nom vient du grec andragathía, qui signifie héroïsme et vertu. Son berceau et bastion historique est le massif montagneux de l'Aspromonte, à la pointe de la botte italienne.
     Lire à ce sujet La 'Ndrangheta - Enquête au cœur de la plus puissante des mafias italiennes, de Stéphane Quéré, qui vient de paraître aux éditions La manufacture de livres ISBN-13: 9782358870023 18,90 €
Présentation de l'éditeur:
Enlèvements, drogue, corruption, extorsion de fonds, en 2007, la 'Ndrangheta a réalisé un chiffre d'affaires de 44 milliards d'euros, soit prés de 3 % du P.I.B. de l'Italie. La camorra napolitaine, popularisée par le livre et le film Gomorra, se fournit auprès de sa grande soeur moins médiatique du sud de l'Italie. Impossible de lutter contre cette organisation avec les méthodes traditionnelles qui ont fait vaciller Cosa Nostra: la ‘Ndrangheta est composée de clans familiaux et est imperméable aux recrutements extérieurs. Il est aussi très difficile de trouver des repentis.
La 'Ndrangheta a des ramifications dans le monde entier: Europe, Amérique du Nord et du Sud, Afrique du Nord. Stéphane Quéré nous révèle comment la 'Ndrangheta dispose aussi de bases en France. Le livre débute sur le massacre de Duisbourg en août 2007: 6 membres d'un même clan de la 'Ndrangheta abattus lors d'un règlement de comptes.
Source: Altrenotizie - Relitti radioattivi
Article original publié le 17/9/2009
Sur l'auteure
     Fausto Giudice est membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner l'auteure, le traducteur et la source.