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Love Boat / mercredi 23 septembre par Enrico Porsia (amnistia.net)
Le trafic de déchets toxiques
mis au jour en Italie déborde bien au-delà de la Méditerranée.
Et le lucratif commerce des bateaux-poubelles a prospéré
jusqu'en Somalie.
La confession de Francesco Fonti, le membre
de la 'ndrangheta qui a révélé que l'organisation
mafieuse avait coulé des bateaux chargés de déchets
toxiques en Méditerranée?(nos éditions du 22 avril
et du 17 septembre), se poursuit. «Il y a eu bien d'autres naufrages,
au moins trente. Les bateaux ont été coulés au large
de la Calabre, mais aussi devant La Spezia et Livourne» a précisé
Fonti au procureur Bruno Giordano. Le «repenti» a en aussi
affirmé que « différents acteurs politiques »
seraient impliqués dans le trafic des déchets. Un trafic
international.
«Je me suis rendu personnellement
en Somalie en 1993 pour superviser un chargement de déchets toxiques»,
a précisé l'ancien membre de la'ndrangheta.
En 1994, justement en Somalie, à Mogadiscio,
2 reporters de la télévision italienne furent assassinés:
Ilaria Alpi et Miran Hrovatin. Ils enquêtaient sur le trafic de déchets
toxiques. Une commission d'enquête parlementaire avait été
créée pour élucider le meurtre des deux journalistes.
Entendu, Gianpaolo Sebri un acteur du trafic de déchets, qui collabore
depuis quelques années avec les magistrats italiens, avait déclaré:
«Je ne sais pas combien de déchets ont été
envoyés en Somalie. La Somalie était devenue une nouvelle
poubelle, et aussi le pays de destination de plusieurs cargaisons d'armes.
Je sais que ces "affaires" pouvaient se réaliser grâce à
l'engagement des mafieux qui garantissaient la protection. Je sais que
les Calabrais étaient très intéresses par la Somalie».
La Somalie, un pays au carrefour des trafics… selon ce qu'avaient vraisemblablement
découvert, les journalistes Ilaria Alpi et Miran Hrovatin.
La Somalie, décharge toxique contre armes à feu
«Ilaria Alpi a touché au secret
le plus jalousement caché en Somalie. La décharge de déchets
payée avec de l'argent et des armes», écrivit,
dans une lettre adressée aux journalistes Barbara Carazzolo, Alberto
Chiara, et Luciano Scalettari de Famiglia Cristiana , Guido Garelli, condamné
à une peine de 14 ans pour escroquerie et recel. Il parle en connaisseur.
En effet Guido Garelli est à l'origine du projet «Urano»,
une opération d'envergure qui prévoyait «l'envoi
d'une grande quantité de déchets dans un énorme cratère
naturel qui se trouve dans le Sahara espagnol», comme le précise
Gianpiero Sebri.
Voici le protocole d'accord signé en 1987
qui est à l'origine du "Projet Urano". Il s'agit de l'écoulement
de déchets industriels toxiques provenant des pays industrialisés,
principalement des USA, dans un énorme cratère naturel qui
se trouve au Sahara Occidental. Cet accord a été signé
par Nickolas Bizzio et Luciano Spada (homme de confiance de l'ancien Premier
ministre italien, le socialiste Bettino Craxi) pour la société
Instrumag et par Guido Garelli en tant que représentant de l'Administration
Territoriale du Sahara et de la Compania Minera Rio de Oro.
En 1992 a été signée à
Nairobi, Kenya, cette "lettre d'intentions" classée "réservée"
sur papier à en-tête de l'Administration Territoriale du Sahara.
On peut y lire: "Les rencontres et les conversations que nous essaierons
d'avoir et de conduire, avec l'œuvre irremplaçable du Consul de
Somalie en Italie, le professeur Ezio Scaglione, porteront sur la possibilité
de développement du Projet Urano, pour la partie déjà
connue, dans la Corne d'Afrique..." Le "Projet Urano", initialement
destiné à écouler des déchets toxiques dans
le Sahara Occidental, est "exporté" dans la Corne d'Afrique. Ce
document est signé par Guido Garelli, pour l'Administration Territoriale
du Sahara, par Ezio Scaglione, consul de Somalie en Italie, et par Giancarlo
Marocchino, entrepreneur italien vivant en Somalie.
Sebri affirme qu'il existe une organisation
très structurée en Italie, avec des ramifications dans toute
l'Europe. A sa tête, selon Sebri «il y avait Nickolas Bizzio.
Il était le chef du groupe grâce à ses entrées
internationales».
Nickolas Bizzio est un richissime homme d'affaires
italo-américain résidant à Monaco. Il n'est pas très
connu du grand public... mais nous l'avions «croisé»,
dans l'extrême sud de la Corse, sur l'île Cavallo. Sa luxueuse
villa est située juste en face de celle de son ami le prince Vittorio
Emanuele de Savoie.
Les aventures de Berlusconi en Somalie
Sebri raconte que lors d'une réunion
de travail, qui se déroula à Milan pendant le printemps 1994,
un homme des services secrets italiens, en parlant des «affaires»
en Somalie, lui affirma «Nous avons arrangé cette journaliste
communiste». Ilaria Alpi et Miran Hrovatin venaient d'être
assassinés.
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suite:
Depuis les années 80, le magistrat
italien Carlo Palermo enquêtait sur un trafic international d'armes
et de drogue, dont la péninsule italienne figurait comme un centre
névralgique important. Au cours de son enquête, Carlo Palermo
eut aussi l'occasion d'interroger le «frère» de la loge
P2 Giovanni Nistico', qui occupa la fonction de responsable du service
de presse de l'ancien président du Conseil italien Bettino Craxi.
Nistico' déclara au juge que l'ancien patron des services secrets
italiens, le général et «frère» de la
loge P2 Santovito, lui avait longuement parlé de la Somalie et,
plus particulièrement, de ses intérêts en Somalie.
«Berlusconi aussi, toujours selon ce que m'a confié Santovito»,
affirma Nistico' au magistrat, «était intéressé
à avoir une présence commerciale en Somalie». (Commission
d'enquête parlementaire sur la loge P2, volume 7, tome 4).
Le juge Palermo fut contraint d'abandonner
son enquête. Le 2 avril 1985 il fut visé par un attentat à
la voiture piégée, bourrée d'explosif. Le magistrat
eut la vie sauve, mais un passant ainsi que ses deux fils furent tués
par l'explosion.
- «Vous rappelez-vous les noms de
certaines sociétés utilisées par votre organisation?»
A cette question, posée par nos confrères
de Famiglia Cristiana, Sebri répond sans détours: «Pour
les trafics avec Haïti, la société Bauwerk, dont le
siège est au Liechtenstein et une filiale est au Liberia, fut utilisée.
Pour le projet Urano, il a été utilisé la société
Instrumag, et pour d'autres affaires la société Bidata, dont
le siège est à Lugano. Je suis l'un de quatre associés
de l'International Waste Group Europe, IWG Europa. Cette société
dont le siège est à Dublin a l'exclusivité pour toutes
les expéditions au départ du vieux continent. Il existe aussi
deux autres sociétés qui opèrent [toujours dans
l'écoulement des déchets toxiques, NDLR]. Il s'agit de
IWG Argentine et de l'IWG Mozambique». Pour ce qui concerne l'IWG
Europe, les autres associés de Sebri sont Luis Ruzzi (directeur
d'une clinique privée à Rome et consultant de l'ambassade
argentine en Italie), le financier Diego Colombo et Nickolas Bizzio, l'homme
d'affaires italo-américain, qui selon Sebri était le véritable
chef de l'organisation «grâce à ses connaissances
importantes, même si elles sont dangereuses».
Les bons plans de la 'ndrangheta
Il est vrai que Nickolas Bizzio fréquente
beaucoup de monde. Très proche de l'ancien membre de la loge P2
Vittorio Emanuele de Savoie, il a aussi ses entrées dans la haute
société monégasque, pays où il est résident.
Mais les fréquentations de Bizzio ne s'arrêtent pas dans les
luxueuses et discrètes demeures de la principauté. En effet,
toujours selon Sebri, Bizzio entretient aussi des rapports avec le trafiquant
d'armes international Mozner Al Kazar.
«Je l'ai connu à l'occasion
des tractations concernant le Mozambique. Il m'a été présenté
comme l'armateur qui devait fournir les navires pour le transport des déchets.
Je ne l'ai vu que pendant une demi-heure, mais je ne savais pas vraiment
qui il était», confirme Bizzio lors d'une interview accordée
à Famiglia Cristiana en octobre 2000. Pourtant, dans la même
interview, l'homme d'affaires s'empresse de démentir toutes les
déclarations faites par Sebri à son encontre. A commencer
par l'envoi de déchets toxiques au Mozambique: «Il s'agissait
d'une hypothèse de travail. Il n'a jamais été possible
de faire quoi que ce soit, car les normes pour l'exportation de déchets
sont telles, de nos jours, qu'elles rendent la chose impossible d'un point
de vue financier».
Des bateaux à 50 millions
«- Mais vous, monsieur Bizzio, vous
êtes-vous déjà occupé de déchets toxiques?
lui demandent nos confrères de Famiglia Cristiana.
- J'aurais aimé le faire. Savez-vous
combien d'argent on gagne dans des affaires pareilles? Chaque bateau, selon
sa cargaison, peut valoir jusqu'à 50 millions de dollars de bénéfice
net.
- Vous paraissez désolé...
lui
glissent nos confrères.
- Bien sûr, je suis un homme d'affaires
et j'ai essayé d'agir dans ce domaine dans la légalité,
sans jamais conclure quoi que ce soit, malheureusement, et même en
y perdant de l'argent.
- C'est quand même singulier qu'un
homme d'affaires de ce niveau se soit intéressé autant à
un secteur économique si spécifique, celui de l'écoulement
des déchets toxiques, sans jamais arriver à concrétiser
quoi que ce soit...» s'interrogent les journalistes italiens
A partir du 25 novembre 1997 jusqu'au 25 juillet
1998, à la suite des déclarations du "repenti" Sebri, le
magistrat milanais Romanelli a autorisé une opération d'infiltration.
Et voici les résultats des différentes écoutes réalisées
par les fonctionnaires de la police judiciaire italienne. Le 18 septembre
1997, par exemple, les fonctionnaires de la PJ italienne écrivent:
«Bizzio, pendant le déjeuner au restaurant raconte son
expérience dans le domaine de l'écoulement des déchets
toxiques en faisant référence à Haïti, à
la Guinée et aux déchets toxiques provenant des bateaux».
Enregistré à son insu, il dit textuellement «cinq
cents mille tonnes, 100 dollars par tonne... il y a sept ans... ils envoyaient
10 navires de 50.000 tonnes...» Quelques semaines plus tard (le
9 octobre 1997), Bizzio se fait une gloire de souligner: «Il y
a quelque chose qu'il faut comprendre, moi dans ce secteur j'y suis depuis
plusieurs années, j'ai été l'un des tous premiers,
des tous premiers».
La nature s'occupe de tout recycler
Le 7 novembre 1997 une note de la PJ fait
état que «dans le contexte de la typologie des déchets
à envoyer à Maputo [au Mozambique, NDLR], Bizzio fait
allusion à des matériaux nucléaires et lui-même
affirme: «S'il arrive quelque chose, nous avons imaginé de
couler le navire, dans le sens qu'il y aurait une tempête, comme
par hasard...»» Le 7 novembre 1997, Bizzio parle du continent
africain: «Il y a des pays en Afrique où on pourrait envoyer
tout ce qu'on veut..., car c'est la nature même qui s'occupe de tout
recycler... c'est la nature même, le degré d'humidité,
la chaleur, les mouvements de la terre, des sables... C'est la nature qui
pense à les avaler [les déchets toxiques, NDLR], il
n'y a même pas besoin de construire des infrastructures [de recyclage,
NDLR]».
Mais qu'à cela ne tienne, Nickolas
Bizzio, maintient sa position: il aurait bien voulu «conclure quelque
chose»... Mais, malheureusement, le destin en a décidé
autrement. C'est étrange, le destin. |