En Calabre, l'enquête sur le trafic de déchets
toxiques relancée par la justice italienne
Le salon est devenu une sorte de mausolée,
comme le veut la tradition au sud. Depuis presque quatorze ans, le regard
d'Anna-Maria De Grazia se pose chaque jour sur les multiples photos et
les médailles à la mémoire de son mari, un homme de
mer mort dans des circonstances jamais clarifiées alors qu'il était
chargé d'enquêter sur la disparition suspecte de cargos avec
leur chargement toxique.
"Dix-huit cas de cancer"
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La ténacité du magistrat s'avère payante. "L'épave, nous l'avons trouvée. Il reste à déterminer son identité et surtout ce qui était transporté", reconnaît prudemment le procureur Bruno Giordano. Mais, dans son analyse, il va beaucoup plus loin. Si, effectivement, ce système d'écoulement des déchets toxiques est confirmé, explique-t-il, il faudra sans doute multiplier par dix les chiffres qui font état de vingt ou trente navires envoyés par le fond au large des côtes calabraises et ailleurs en Méditerranée. Le magistrat juge en effet peu probable qu'un tel système, avec tout ce que cela suppose de préparation, puisse avoir été mis sur pied pour écouler uniquement 10 ou 100 quintaux de déchets. Un tableau accablant et pas que pour la Calabre. En attendant, la région est dans la tourmente. La catastrophe pour la santé est doublée par celle des effets sur le plan économique et social. Le tourisme est en danger. La pêche est déjà à genoux. Une manifestation a eu lieu, samedi 24 octobre, à Amantea pour exiger la vérité sur les bateaux-poubelles. Les analyses, au large de Cetraro, viennent de commencer après l'arrivée sur place d'un navire-laboratoire. Pour l'instant, selon ce qu'a déclaré, mardi, le ministre de l'environnement, Stefania Prestigiacomo, aucune trace de radioactivité n'aurait été détectée autour de l'épave qui gît par 483 mètres de profondeur d'eau. Les collectivités locales réclament également une identification rapide du cargo. Rien ne prouve à ce jour qu'il s'agit bien du Cunski, comme l'indique le repenti Francesco Fonti, qui affirme l'avoir coulé, à l'aide d'explosifs, avec ses hommes, en 1992, période où effectivement un navire de ce nom a bel et bien disparu. Des analyses aussi sont attendues sur la terre ferme, près d'Amantea, dans la vallée du fleuve Oliva, où une présence de radioactivité anormale a été détectée. Une cave aurait été utilisée par la 'Ndrangheta pour enterrer des déchets dont elle n'avait pu se débarrasser en mer. Mario Arlia, du comité civique qui a pris le nom du capitaine Natale De Grazia, raconte que, dans le village qui surplombe la vallée, ces analyses ne pourront que confirmer ce que chacun sait: "Le maire m'a confié que, parmi ses 187 habitants, 18 ont un cancer." Pour eux, c'est en tout cas trop tard. Salvatore Aloïse
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