Les Echos
28/06/10
1 Quel degré de sûreté ?
L'EPR est-il «trop» sûr?!
C'est la question que posent certains industriels constatant la sophistication
qu'imposent ses exigences de sûreté (béton ultra-ferraillé,
etc.) Des exigences qui contribuent à faire du réacteur français
l'un des plus chers du marché. «A partir du moment où
on sait construire des réacteurs plus sûrs, il faut le faire»,
estime André-Claude Lacoste, le patron de l'Autorité de sûreté
française. Pour lui, l'EPR censé résister aux chutes
d'avion doit être la «norme». Les Emirats arabes unis
l'ont pourtant rejeté au profit d'un réacteur coréen
moins cher, jugé moins sûr par les Français. Face à
cet échec, et pour que la sûreté joue un rôle
plus important dans les futurs choix technologiques, Nicolas Sarkozy a
proposé la création d'une échelle internationale classant
les réacteurs par degré de sécurité. L'entreprise
paraît compliquée, même si les autorités de sûreté
nationales travaillent à une harmonisation croissante de leurs positions.
2 Quelle organisation?
Après l'échec à Abu Dhabi,
Henri Proglio a créé le débat en revendiquant le rôle
historique de chef de file de la filière pour l'électricien
public. Six mois plus tard, Hervé Machenaud, directeur exécutif
en charge de la production et de l'ingénierie chez EDF, estime que
«l'organisation dépend de ce que demandent les clients.»
C'est aussi la stratégie que revendique Areva. Sa patronne
Anne Lauvergeon distingue les électriciens déjà établis
dans le nucléaire, qui veulent commander eux-mêmes leur chaudière
ou leur turbine, et les nouveaux pays de l'atome dans lesquels il faudra
arriver avec une offre intégrée pilotée par EDF ou
GDF Suez. Patrick Kron, le patron d'Alstom, s'est d'ailleurs rangé
à cet argument. Pour lui, «nous aurons besoin de règles
claires le plus tôt possible dans le processus».
3 Quels besoins?
Les experts sont unanimes: l'assèchement
des réserves d'hydrocarbures et la lutte contre le changement climatique
vont donner un nouvel essor au nucléaire. Toute la question est
de savoir à quel rythme. Les prévisions de croissance mondiale
de l'énergie atomique à 2030 varient du simple au double.
Outre les capacités financières des investisseurs, secoués
par la crise, un élément clef de l'équation est la
durée de vie des 430 centrales en service dans le monde.
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En France, EDF veut ainsi porter de quarante à soixante
ans la durée d'exploitation de ses 58 réacteurs. Par ailleurs,
le groupe veut augmenter leur productivité. Or, la croissance prévisible
de la demande d'électricité attendue notamment avec le déploiement
du véhicule électrique sera en partie compensée par
les mesures d'économie d'énergie décidées lors
du Grenelle de l'environnement. In fine, la construction de nouveaux EPR,
comme à Penly, se justifie d'abord par la préservation du
savoir-faire nucléaire.
4 Quels coûts?
C'est la grande question pour les électriciens.
Si on se limite à l'EPR, celui vendu par Areva à l'électricien
finlandais TVO devait coûter 3 milliards €, mais, suite aux
multiples retards, la facture a presque doublé. A Flamanville, EDF
subit lui aussi les effets collatéraux d'une tête de série:
annoncé à 3,3 milliards €, le budget est passé
à 4 milliards et, selon des chiffres non officiels, il a atteint
5 milliards... Le prix devrait toutefois baisser quand la filière
sera rodée. L'incertitude porte aussi sur le démantèlement.
Celui de la centrale de Brennilis, en Bretagne, devait coûter aux
alentours de 100 millions €, mais, suite à des adaptations
liées à la sûreté, il coûtera 500 millions
€. «Il n'y a pas une vérité sur le démantèlement»,
estime Nicolas Goldberg, consultant chez Sia Conseil. Au Royaume-Uni, le
coût moyen de démantèlement d'un réacteur a
été estimé à 2,9 milliards €, contre 300
millions aux Etats-Unis et 500 millions en France, rappelle-t-il.
5 Quid des déchets?
Que ce soit en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs,
c'est une réserve majeure de l'opinion publique vis-à-vis
de l'atome. Et personne n'a trouvé la panacée. En France,
la filière défend son modèle de retraitement: 96 %
des déchets nucléaires peuvent être retraités
à l'usine Areva de La Hague. Mais tous ne sont pas à proprement
parler recyclés, en tout cas pas immédiatement. Quant aux
déchets dits ultimes, les 4% restants, ils sont entreposés
à La Hague ou à Marcoule et doivent rejoindre le centre de
stockage de Bure, dans la Meuse, en 2025. Au total, selon l'Agence nationale
pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), la France comptait
1,15 million de mètres cubes de déchets radioactifs en 2007,
l'équivalent de 461 piscines olympiques. Seule une partie est stockée
pour le long terme dans un centre dédié. Le chiffre doit
tripler d'ici à 2020.
T. M., Les Echos
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