Par Nicolas Goldberg
jeudi 07 janvier 2010
Alors que le parc nucléaire
français est vieillissant, la question de son démantèlement
commence à poser problème, notamment sur le plan financier.
En 1999, le courrier de l'UNESCO estimait
que, dans le monde, sur les 523 réacteurs existants, 94 étaient
arrêtés, soit environ 20%. Ce pourcentage devrait significativement
augmenter dans la décennie à venir, avec le vieillissement
du parc nucléaire mondial. Il est donc important d'établir
un scénario de démantèlement précis pour chaque
centrale, arrêtée ou toujours en cours d'exploitation. Aussi,
le coût devra être évalué en fonction du type
de réacteur à démanteler. Plusieurs paramètres
peuvent ainsi être pris en compte: le nombre d'années après
la mise
à l'arrêt définitif (MAD) à partir duquel
le démantèlement peut commencer, la stratégie de stockage
des déchets, les méthodes de financements ou encore la puissance
du réacteur. Les comparatifs entre les différents pays donnent
des résultats assez hétérogènes, mais peuvent
faire émerger des points d'attention.
Le cas du Royaume-Uni est surprenant. En effet,
pour seulement 35 réacteurs nucléaires et une puissance installée
de 9.000 MW, les coûts totaux du démantèlement sont
estimés à 103 milliards €, soit un coût moyen
de 2,9 milliards € par réacteur. Ces chiffres sont à
comparer avec ceux des États-Unis, où 104 réacteurs
sont encore en activité, et où la Nuclear
Regulatory Commission (NRC) a estimé le coût du démantèlement
à 300 millions de dollars (environ 210 millions €) par réacteur
nucléaire. Cette estimation a d'ailleurs déjà été
éprouvée sur la centrale de Yankee Rowe dans le Massachussetts
où, après 30 ans de travaux, le coût du démantèlement
s'est finalement élevé à 350 millions de dollars (environ
246 millions €), soit près de 10 fois moins que pour le Royaume-Uni!
Neuf réacteurs américains commerciaux de plus de 600 MW sont
ainsi entrés dans un processus complet de démantèlement.
Le Royaume-Uni a donc opté pour une
stratégie de démantèlement sur le très long
terme alors que les États-Unis, pour des coûts moins élevés,
ont décidé d'attendre trente ans après la MAD des
centrales pour commencer leur démantèlement. Ces différences
de scénarios peuvent trouver plusieurs explications: la gestion
des déchets sera probablement plus délicate pour le Royaume-Uni
qui ne dispose pas de grandes étendues de stockage comme les États-Unis.
Par ailleurs, les centrales nucléaires aux États-Unis, plus
récentes, produisent moins de déchets et leur démantèlement
avait été anticipé au moment de leur construction,
ce qui réduit inévitablement les coûts. Ce retour d'expérience
montre donc que donner une estimation des coûts de démantèlements,
simplement en fonction de la puissance, ou du nombre de réacteurs,
est un indicateur imprécis. Il est important de prendre en compte
l'historique du pays concerné car la capacité du pays à
stocker les déchets, à recycler un maximum de matières
mais aussi l'ancienneté du parc joueront un rôle essentiel
dans cette estimation.
|
suite:
Toutefois, ces deux exemples extrêmes peuvent
à eux seuls justifier les inquiétudes du grand public vis-à-vis
du cas de la France. Avec une productivité plus élevée
et une soixantaine de réacteurs en activités, comment sont
évalués les coûts en France et quel scénario
sera adopté pour notre parc vieillissant? Selon différentes
sources (AEN, AIEA ou encore AREVA), le coût du démantèlement
est évalué à 15% de l'investissement initial. Si on
prend pour référence les derniers réacteurs à
eau pressurisée - dits REP, comme l'EPR par exemple - dont les coûts
d'investissements initiaux se situent autour de 3 milliards d'euros, les
coûts de démantèlement atteindraient 450 millions €
par centrale. Sachant qu'EDF a ajouté 500 millions € au fond
de 13,6 milliards d'euros destiné au démantèlement,
il est raisonnable de penser que les fonds nécessaires à
la fin de vie des centrales sont contrôlés en France. Cependant,
nous sommes en droit de nous demander pourquoi les coûts sont parfois
sous-estimés, comme ce fut le cas pour la centrale de Brennilis.
Selon un rapport de l'Agence pour l'Énergie
Nucléaire (AEN), le coût du démantèlement d'un
réacteur nucléaire français peut se découper
de la façon suivante:
Source: AEN, «Politiques, stratégies et coûts
de démantèlement: un tour d'horizon international»,
décembre 2003
L'estimation de l'AEN apporte des premiers
éléments de réflexion mais doit être complétée
par des précisions sur chaque poste. Un modèle de risques
et d'incertitudes sur les coûts est à construire pour avoir
une meilleure visibilité sur le prix réel du démantèlement.
Par exemple, sur le poste «Traitement et évacuation des
déchets» du graphique ci-dessus, quel serait l'impact
de la découverte de déchets résiduels dans les circuits
sur le coût total? De même, pour le «Réaménagement
du site», de quelle façon les législations en vigueur
et futures pourront amener à augmenter la facture du démantèlement?
Les coûts d'autres postes, non spécifiques aux installations
nucléaires, comme la «Déconstruction des bâtiments»,
peuvent être considérés comme stables. Cependant, un
tableau de bord de risques avec les impacts induits est à mettre
en place sur les postes spécifiques au nucléaire afin de
mieux anticiper les surcoûts éventuels.
Enfin, il ne faut pas oublier que, pour le
moment, aucun réacteur industriel n'a été totalement
démantelé en France. Les sommes provisionnées par
EDF pourront donc assurer les premiers démantèlements qui
devront servir de pilotes pour les prochains et l'approvisionnement de
fonds destinés aux démantèlements devra continuer.
Par ailleurs, l'âge moyen du parc nucléaire n'est que de 23
ans et demi, alors que la moyenne d'âge d'exploitation devrait tourner
autour de 53 ans. Il reste donc bien du temps avant d'assurer le démantèlement
de la plupart des centrales, mais cette étape devra bénéficier
d'un premier retour d'expérience pour assurer le renouvellement
du parc. |