Selon son inventeur,
l'Italien Carlio Rubbia, c'est la centrale atomique idéale: propre,
simple, sûre et quasi éternelle. Pour les spécialistes,
c'est surtout une cause d'affrontements: le CEA est contre, EDF pour, tout
comme le CNRS.
Ambiance... Nous sommes au Collège de
France à une récente réunion du vénérable
Laboratoire de Physique corpusculaire (où s'illustrèrent
Francis Perrin, les Joliot-Curie, Louis Leprince-Ringuet). Extraits (choisis)
des débats sténographiés: «Tu sors, s'il
te plaît!» «Il y a ici quatre personnes qui foutent
la merde et qui me font chier.» «Ferme ta gueule, c'est
moi qui parle.» «Qu'est-ce que c'est que ce labo de
merde?» «Fous-les dehors!» «Je refuse
de sortir.» «Il y a ici beaucoup trop de planqués.»
Ainsi va la Science avec un grand S, toujours sereine dans sa démarche.
(suite)
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Mieux: toujours au nom de la rusticité, ce plomb fondu est livré à lui-même, laissé à ses courants de convection naturels, sans le concours d'aucun système de pompage ou d'agitation. Or il existe un très fâcheux précédent: en octobre 1986, sous les caméras goguenardesdes satellites américains, un sous-marin nucléaire soviétique faisait naufrage, corps et biens, au large des Bermudes. Mais, on le sait depuis peu,le réacteur de ce sous-marin se caractérisait par un coeur de plomb, qui avait eu le tort de se solidifier inopinément en laissant la réaction nucléaire se poursuivre. Le rubbiatron soulève de nombreuses autres incertitudes, concernant son fonctionnement et sa sécurité. Claude Birraux, député de la Haute-Savoie et spécialiste du nucléaire, avait jugé utile d'organiser à ce sujet, en décembre dernier, une audition spéciale de la commission parlementaire des choix scientifiques et techniques. La séance a rassemblé, huit heures durant, tous les protagonistes - adversaires comme partisans -, dont Rubbia lui-même. Le rapport doit paraître début mars. En attendant, Claude Birraux déclare: «Je n'ai pas encore d'opinion tout à fait arrêtée.» Le député semble toutefois avoir retiré de cette confrontation le sentiment qu'il n'y avait pas péril en la demeure, que «nous sommes très en amont d'une décision», et que le rubbiatron peut attendre. Ouf! Attendre par exemple d'être plus précisément redéfini en un «concept nouveau de réacteur-incinérateur». Lors de l'audition parlementaire, un spécialiste de la Cogema (la filiale du CEA vouée au retraitement nucléaire) constatait: «Même si l'idée est bonne - ce qui reste à démontrer -, elle ne sera pas opérationnelle avant trente ans.» Gérard Menjon, directeur des études et recherches d'EDF, avertit de même que «le développement d'une nouvelle filière nucléaire se chiffre en dizaines de milliards de francs». Les contribuables sont prévenus. Claude Birraux risque un constat des lieux: le rubbiatron? «EDF est pour, le CEA contre - quoique, peut-être, pour des raisons inavouables. Car, tout en réfutant le projet Rubbia, le CEA paraît en défendre un autre, maison, qui lui ressemble un peu beaucoup.» Retenons que le CNRS est pour. Et semble même soutenir le rubbiatron à fond l'accélérateur (de particules). D'où la véhémence des propos «scientifiques» cités au début de cet article. Il semble que les scientifiques opposés à cette grosse machine soient, au sein du CNRS, persécutés avec des méthodes dignes de l'ex-Académie des Sciences soviétique. On débranche leurs ordinateurs. On leur interdit l'accès à leurs laboratoires. On leur reproche par écrit de «faire régulièrement parvenir d'abondants courriers aux ministères et à la direction générale du CNRS», ceci «sans passer par la voie hiérarchique», ce qui est «passible de sanctions». En bonne logique «soviétique», on va jusqu'à traiter de fous les opposants au grandiose projet rubbiesque: dans une lettre au médiateur du CNRS, Marcel Froissart, professeur au Collège de France et patron du Laboratoire de Physique corpusculaire, se déclare «complètement désarmé face à des comportements où seule une compétence psychiatrique pourrait utilement orienter l'action». Et, faute de pouvoir envoyer ces cinglés à l'asile, le même invoque, par écrit toujours, sur papier à en-tête du Collège de France, «la solution la plus classique». Celle qui consiste à «laisser les individus dans un placard, et d'attendre leur retraite». Et voilà comment une glorieuse machine technocratique, aussi coûteuse et efficace peut-être que Superphénix ou les abattoirs de la Villette, risque encore d'être construite. FABIEN GRUHIER
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