CONTROVERSES NUCLEAIRES !
VEILLE NUCLEAIRE INTERNATIONALE
Flashes 2011

Vingt mille watts sous les mers
ADIT, janvier

Saugrenu ? Loufoque ? Révolutionnaire ?
     Le projet dévoilé voici quelques jours par le groupe français DCNS n'aurait pas détonné dans une aventure signée Jules Vernes, Herbert George Wells ou encore, Edgar P. Jacobs. L'entreprise spécialisée dans les systèmes navals de défense (les «sous-marins nucléaires d'attaque» notamment) a présenté un concept d'«unité immergée de production d'énergie nucléaire de petite puissance». Autrement dit, un réacteur atomique sous-marin.

     Le «Flexblue» comme l'a baptisé DCNS se présente sous la forme d'un long tube (une centaine de mètres), d'un diamètre oscillant entre 12 et 15 mètres, et d'une masse d'environ 12.000 tonnes. Un gigantesque cylindre qui héberge «une petite chaudière nucléaire, un groupe turbo-alternateur, une usine électrique et des systèmes auxiliaires».Puissance affichée par l'engin: de 50 à 250 mégawatts (contre environ 1.000 mégawatts pour les derniers réacteurs construits en Belgique). Soit des capacités suffisantes, selon ses promoteurs, pour alimenter une ville d'un million d'habitants.
     Ancré au fond, sous 60 à 100 mètres d'eau, contrôlé à distance, relié par câbles sous-marins au réseau électrique, Flexblue serait construit dans les chantiers navals de Cherbourg, où s'effectueraient également les opérations de maintenance et de chargement en uranium.
     Evaluée à «quelques centaines de millions €», cette unité atomique présenterait l'avantage, par rapport aux réacteurs «classiques» d'être produite en série et plus
rapidement (2 ans), épargnant donc les travaux de génie civil (béton armé, terrassement, etc.) coûteux en heures comme en euros (plus de trois milliards).
     Patrick Boissier, le patron de DCNS qui emploie 12.000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 2,4 milliards €, estime que Flexblue bénéficierait de la «protection de la mer: la chute d'un avion serait stoppée par la profondeur d'eau.

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Et l'eau est la meilleure barrière contre les radiations», souligne-t-il, rappelant que les déchets nucléaires sont pour cette raison stockés dans des piscines. «Avant de présenter ce concept, nous avons vérifié avec les experts de l'Autorité de sûreté nucléaire qu'on n'était pas en train d'imaginer quelque chose d'aberrant», précise-t-il.
     «Paradoxalement, mettre un réacteur dans l'eau, c'est relativement sûr», abonde Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique. «C'est un projet qui peut paraître assez fou mais qui, lorsqu'on l'analyse attentivement, est parfaitement rationnel», ajoute ce spécialiste du nucléaire.
     Un avis que ne partage pas cet ingénieur nucléaire belge: «Comment effectuer la maintenance? Comment surveiller un tel instrument à distance alors que, sur des sites comme Tihange ou Doel (les centrales nucléaires belges, NDLR), plusieurs centaines de personnes veillent à la sûreté de l'exploitation? Cela me semble peu crédible». Le projet déclenche par ailleurs l'ire dans le camp écologiste: «On est en plein délire. En cas d'accident, il n'y a pas pire que l'eau, où la pollution radioactive comme chimique se disperse plus vite que dans l'air», considère l'ancien eurodéputé Verts Didier Anger. «Toute la Manche et d'autres mers éventuelles seraient détruites ou contaminées, selon l'importance du sinistre et la dispersion par les courants. Qui plus est, dans un tel cas, le réchauffement brutal des eaux provoquerait un formidable choc thermique destructeur de vie, une évaporation et une dispersion d'un nuage d'aérosols toxiques tributaire des vents», ajoute-t-il.
     Durant les deux prochaines années, DCNS compte approfondir, en partenariat avec le nucléariste Areva et l'électricien EDF, ses recherches et déterminer les options industrielles de son produit.