Par Hélène Seingier | journaliste | 08/11/2009
Pas prévue à l'origine et techniquement
ardue, la manoeuvre doublerait la durée de vie des centrales et
éviterait d'en bâtir de nouvelles.
Un réacteur sur le site nucléaire de Marcoule (Reuters)
Officiellement ce n'est pas à l'étude.
Mais alors que les réacteurs EPR, basées sur de nouvelles
technologies dites de troisième génération, accumulent
critiques et retards, EDF pourrait envisager de remplacer les cuves de
ses centrales nucléaires pour leur permettre de fonctionner deux
fois plus longtemps sans détériorer la sûreté
des sites. Une option qu'on pensait impossible jusqu'ici.
A leur conception, on donnait en effet aux
centrales nucléaires une espérance de vie de jeunettes. «Une
cuve pouvait théoriquement supporter un flux de neutrons pendant
trente-deux ans d'exploitation à pleine puissance», explique
Monique Sené, du Groupement des scientifiques pour l'information
sur l'énergie nucléaire (GSIEN).
Les vieilles cuves de Tricastin ou Fessenheim ont vécu
Mais à l'approche de la date fatidique,
l'idée de prolonger la vie des équipements revient sur la
table. L'Autorité de sûreté nucléaire vient
ainsi de donner son accord de principe pour que les réacteurs de
900 mégawatts puissent fonctionner jusqu'à 60 ans.
Le souci, c'est que ces vieilles centrales,
comme celles de Tricastin ou de Fessenheim, connaissent de plus en plus
de fuites, fissures, et autres incidents qui font craindre l'accident.
Le risque est réel: la réaction nucléaire qui s'opère
dans la cuve de la centrale dégage une énergie gigantesque.
Bombardé en permanence par le rayonnement,
le cylindre d'acier peut devenir fragile comme du verre et se casser brutalement,
ce qui aurait des conséquences catastrophiques.
Garder la centrale mais changer la cuve, une idée folle?
Alors, la France doit-elle fermer les centrales
qui ont atteint la trentaine? Délicat.
Le nucléaire fournit plus des trois
quarts de l'électricité du pays et le réacteur nouvelle
génération, l'EPR, censé prendre le relais à
moyen terme et dont deux exemplaires sont en chantier en France, ne tient
pas encore ses promesses. Les énergies renouvelables, elles non
plus, ne sont pas encore à la hauteur: elles ne devraient assurer
que
15,5% de la production d'électricité en 2010(1).
Germe alors une idée folle: pourrait-on
faire en sorte qu'une centrale nucléaire survive à sa cuve,
en remplaçant celle-ci lorsqu'elle devient trop dangereuse?
Ainsi EDF se donnerait du temps -et de l'argent-
pour réfléchir sereinement aux énergies renouvelables.
C'est le souhait de certains écologistes comme Pascal Husting, le
directeur de Greenpeace France, qui préfère la prolongation
des centrales existantes à la création d'EPR supplémentaires.
Une opération «pas impossible»
Le problème c'est que le remplacement
de la cuve, ce cylindre de 300 à 400 tonnes, est réputé
impossible. Roland Debordes, président de la Commission de recherche
et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad)
objecte : «A ma connaissance il n'y a pas de porte assez grande
pour la faire sortir.»
Faux, selon Michel Nedelec, du service d'analyse des matériels
et des structures au sein de l'Institut de radioprotection et de sûreté
nucléaire (IRSN):
«La cuve entre dans le bâtiment par
le "tampon matériel" [une grande ouverture circulaire, ndlr].
C'est
une grosse opération de la faire ressortir, mais de n'est pas impossible.»
(suite)
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suite:
Des générateurs de vapeur et
certains couvercles de cuve, eux aussi de dimensions imposantes, ont déjà
été remplacés. Michel Nedelec se souvient:
«Ce n'était
pas envisagé à l'origine. Les ingénieurs ont conçu
des robots capables de couper à distance puis de ressouder les tuyaux
reliés à ces pièces.»
Bien entendu, repositionner la cuve au dixième
de millimètre près serait une gageure. Mais la difficulté
n'était pas moindre pour raccorder les nouveaux générateurs
de vapeur aux tuyauteries du circuit primaire.
Protéger l'environnement de la radioactivité de la cuve
à l'air libre
Obstacle suivant, de taille: la cuve est radioactive
après son exploitation.
Comment la sortir de la centrale sans danger?
La réponse vient ici de centrales américaines, de taille
et de puissance similaires à leurs homologues françaises.
«A Trojan ou dans le Connecticut nous avons déplacé
les cuves en plein air, en prenant des mesures de radio-protection»,
explique Scott Burnell, de la Commission de régulation nucléaire
américaine.
La cuve a été remplie de béton
pour atténuer les radiations et couverte d'une matière plastique
pour empêcher le vol de poussières radioactives.
Un marché potentiellement mondial
Reste l'enceinte de confinement. A supposer
que la cuve puisse être remplacée à l'identique, le
béton précontraint du bâtiment réacteur pourra-t-il
résister à 30 ou 40 années d'exploitation supplémentaires?
A priori oui, tout comme un pont ou un autre
ouvrage d'art. EDF a tout de même demandé des études
en ce sens au tout nouvel Institut du vieillissement des matériaux.
Sur les centrales de 1.300 MW, qui ne sont pas protégées
par une peau métallique, l'étanchéité pourrait
laisser à désirer. Michel Nedelec suggère:
«On pourrait couvrir la paroi intérieure
d'une protection à base de résine et de fibre de verre.»
Un matériau déjà utilisé
pour les coques de bateau et sur des morceaux de certaines centrales. L'expert
de conclure:
«Les difficultés du remplacement
sont liées au coût et au temps, mais il n'y a pas d'impossibilité
technique. C'est à l'exploitant de voir si l'investissement lui
semble rentable.»
A ce jour, EDF affirme n'avoir mené
aucune étude sur le remplacement des cuves, du moins aucune pouvant
être rendue publique. Si la solution devenait envisageable et permettait
de doubler la durée d'exploitation des centrales, elle intéresserait
jusqu'à la Chine et l'Afrique du Sud, où sont installés
d'autres réacteurs d'Areva.
A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89:
* EPR:
Areva et EDF ont du plomb dans l'atome
* «Déchets,
le cauchemar du nucléaire» jusqu'en Sibérie
Ailleurs sur le Web:
* Dans La Croix "Les
réacteurs nucléaires peuvent-ils bien vieillir?"
(1) Production mondiale des ENR's:
13%; celle du nucléaire: 3%!....... (Ndwebmaistre) |