02/11/2009
A l'heure où de nombreux
pays entendent prolonger l'activité de leurs centrales, deux réacteurs
français passent, cette année, le cap des 30 ans. Verdict
sur leur prolongation: dans un an
Quand décide-t-on qu'un réacteur nucléaire
est trop vieu x pour le service? C'est l'une des grandes questions
inscrites à l'agenda des rendez-vous internationaux de l'industrie
nucléaire. C'est aussi le thème de recherches pour s'assurer
du bon vieillissement de ces installations sans rogner sur les exigences
de sécurité.
Encouragé par l'Autorité de
sûreté nucléaire (ASN) qui réclamait des «moyens
lourds de recherche», EDF inaugure, le 16 novembre, sur le site de
recherche des Renardières (Seine-et-Marne), les nouveaux locaux
de 1 400 m2 de son Materials Ageing Institute, Institut du vieillissement
des matériaux (MAI). Créé en partenariat avec les
exploitants nucléaires américains et japonais, il vise à
prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà
de 40 ans, la durée d'exploitation envisagée lors de la conception
(ce qui équivaut à 32 ans de fonctionnement à pleine
puissance).
«La durée de vie des centrales
est devenue une question clé pour les producteurs d'électricité
nucléaire : au Japon, 15 réacteurs ont déjà
plus de 30 ans et 2, plus de 40 ans», explique Jan Van der Lee,
directeur du MAI. Au programme des recherches: corrosion, fatigue, irradiation,
maladies du béton, vieillissement physique et chimique des polymères,
etc. Il faut dire que les réacteurs, notamment la cuve et le circuit
primaire, sont soumis à des contraintes extrêmes en température,
pression et irradiation.
60 ans de fonctionnement en France
«On ne peut pas empêcher le
vieillissement, poursuit Jan Van der Lee, mais on cherche à le comprendre
et à le prévoir pour pouvoir arrêter les réacteurs
à temps. Techniquement, il n'y a pas de raison de fixer une limite
d'âge. En France, on vise actuellement 60 ans de fonctionnement,
les États-Unis, eux, visent déjà 80 ans.»
Pour l'instant, aucun réacteur n'a
atteint ces âges respectables (lire les Repères p. 14), mais
chacun devra prouver qu'il reste durablement apte au service. Dans un premier
temps, au regard de la réglementation française qui impose
un réexamen de sûreté lors de révisions décennales,
les réacteurs de l'Hexagone doivent déjà passer le
cap de la trentaine. C'est le cas, aujourd'hui, des deux plus vieilles
centrales françaises de Fessenheim (Alsace) et Tricastin (Drôme)
et, d'ici à quelques années, des 32 autres réacteurs
de 900 mégawatts (MW).
«Le cap des 30 ans, c'est déjà
le début d'une gestion spécifique du vieillissement, cela
suppose beaucoup de recherche et développement», estime
Laurent Fouchet de la direction de la sûreté des réacteurs
à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN). «La cuve a un capital d'irradiation. Dans la mesure où
les réacteurs n'ont pas fonctionné à pleine puissance,
cela peut plaider pour l'allongement de leur fonctionnement. Mais dans
le même temps, les variations de charge des réacteurs français
– en partie modulés pour suivre la courbe des consommations – induisent
des variations de température et de pression qui peuvent entraîner
une fatigue mécanique», précise Guillaume Wack
de l'ASN.
Problèmes prématurés
Au total, plus de 500 matériels sont
classés «IPS» (important pour la sûreté).
«Il faut identifier les modes d'endommagement de tous ces matériels»,
explique Laurent Fouchet. La plupart peuvent se changer, mais à
l'évidence, pas l'imposante cuve de 330 tonnes ni l'enceinte de
confinement. Cela impose de développer des moyens de contrôle,
des sondes intelligentes qui peuvent se faufiler dans le réacteur
et les tuyauteries pour déceler les défauts et fissures les
plus infimes.
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Car il y a les phénomènes de vieillissement attendus,
tels que la contraction du béton ou la perte d'élasticité
des matériaux qui, au lieu de se déformer sous la contrainte,
finiront un jour par casser.
Mais il y a aussi les problèmes
qui surviennent prématurément. Par deux fois, EDF a ainsi
dû affronter des dégradations sur les couvercles de cuves
(fissurations) et les générateurs de vapeur (colmatage) qui
ont demandé de lourds chantiers de réparation. Il y a aussi
les phénomènes plus «exotiques», pour
reprendre l'expression de Laurent Fouchet, tel le vieillissement thermique
de certains aciers du circuit primaire. «Compte tenu des nouvelles
dégradations observées au cours des dernières années,
particulièrement sur les générateurs de vapeur, l'ASN
estime essentiel que vous poursuiviez vos études et développiez
des moyens afin de mieux maîtriser la connaissance des mécanismes
de dégradation et ainsi les prévenir de manière satisfaisante»,
écrivait le 1er juillet dernier l'ASN au président d'EDF.
Pour les tenan ts de la prolongation, cette
difficulté à anticiper le vieillissement sera contournée
grâce aux travaux de recherche et à une surveillance accrue.
Inversement, pour les opposants, elle constitue un grand saut dans l'inconnu.
«La plupart des réacteurs arrêtés l'ont été,
soit parce qu'il s'agissait de filières abandonnées (comme
les réacteurs français au graphite-gaz), soit pour des motivations
politiques, et pas pour vieillissement. Nous n'avons quasiment pas de retour
d'expérience; en prolongeant la durée de vie des réacteurs,
on entre dans un univers d'incertitude. Or, le nucléaire est l'une
des technologies les plus complexes», estime Yves Marignac, directeur
de Wise Paris, agence d'étude sur le nucléaire.
Fessenheim, «centrale fossile»
La prolongation s'apparente même à
de l'« acharnement thérapeutique » selon le physicien
Jean-Marie Brom, mandaté par le conseil général du
Haut-Rhin pour mener une expertise indépendante sur Fessenheim.
Fessenheim, baptisée «centrale fossile», affiche un
nombre élevé d'incidents. «Certes, il s'agit d'incidents
mineurs, mais le taux y est quatre fois supérieur au taux moyen
d'incidents des réacteurs français. J'ai les plus extrêmes
doutes sur les capacités à gérer la centrale en cas
de problème.»
A nouveau, la semaine dernière, l'ASN
réclamait «un plan d'action» sous trois jours à
la centrale, après la détection d'une fuite de fuel le 21
octobre et le constat de «plusieurs écarts» à
la réglementation lors d'une inspection inopinée. Comme les
voitures, les réacteurs, en vieillissant, sont sujets à une
augmentation du nombre de pannes. «La sûreté ne peut
pas y gagner», conclut Jean-Marie Brom.
Indépendamment de la position de confiance
ou de défiance à l'égard de la technologie nucléaire,
le débat technique sur la sûreté est en partie obscurci
par les considérables enjeux économiques de la prolongation
de centrales déjà amorties et qui fournissent une électricité
à bas prix. EDF a prévu d'investir 400 millions € par
réacteur dans le but de leur permettre d'atteindre le cap des 40
ans, puis des 50 ans. Une paille, au regard des 4 à 5 milliards
€ requis pour la construction d'un EPR.
De plus, la prolongation est aussi un moyen
de maintenir la part du nucléaire dans la production d'électricité,
alors que le nombre de nouveaux réacteurs mis en service a diminué
ces dernières années. Pour l'instant, la relance proclamée
du nucléaire passe, surtout, par la prolongation du fonctionnement
des réacteurs.
Marie VERDIER
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