"Nous sommes très probablement
rentrés dans un système où l'homme est déjà
en train de modifier le climat" , prévient Jean Jouzel, directeur
de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Les résultats qu'il a
présentés jeudi 2 juin au Centre national de la recherche
scientifique (CNRS) à Paris, fruits des dernières modélisations
françaises sur le réchauffement climatique attestent de cette
action. Ils devraient avec d'autres contributions étrangères
nourrir les futurs rapports du Groupe d'experts intergouvernemental
sur l'évolution du climat (GIEC), qui doivent être rendus
publics en 2007.
Selon le chercheur français, vice-président du groupe scientifique du GIEC, "les modèles montrent que nous sommes en train de mettre en route quelque chose de très dangereux à long terme. Car, même en réduisant les émissions de gaz à effet de serre d'un facteur trois d'ici à 2100, le niveau des océans montera ensuite mécaniquement de 40 cm chaque siècle" . Sous l'impulsion de la Mission interministérielle à l'effet de serre, la communauté scientifique française a décidé de réaliser un effort de modélisation important pour le rapport du GIEC 2007. Onze simulations prenant en compte de multiples scénarios ont en effet été menées par l'Institut Pierre-Simon Laplace (CNRS et Commissariat à l'énergie atomique) et le Centre national de recherche météorologique (Météo France). Le premier concerne le climat du milieu du XIXe siècle, avec des conditions proches de la période pré-industrielle. Le deuxième évalue l'évolution du climat au cours du XXe siècle (de 1860 à 2000). Il doit permettre de comprendre comment les gaz à effet de serre, les aérosols sulfatés, et la modification de la constante solaire et du volcanisme ont fait varier le climat sur cette période. Les scénarios suivants présentent des projections pour le XXIe siècle ou, au-delà, en fonction de différents paramètres économiques. Dans ce dernier cas, les chercheurs ont défini plusieurs types d'évolution, en privilégiant par exemple une croissante démographique et économique rapide (scénario A), ou au contraire des préoccupations environnementales (scénario B), avec ou sans transferts de technologie (types 1 ou 2). |
Au total, les résultats des deux modèles
français (IPSL et Météo France) convergent pour dire
que le réchauffement moyen de la planète sera compris entre
1,5 et 4ºC d'ici 2100. L'augmentation de 4ºC, la plus élevée,
correspondant au scénario le plus pessimiste (A2), marqué
par la présence de 900 parties par million (ppm) de CO2
dans l'atmosphère, soit trois fois plus qu'aujourd'hui. En 2001,
le précédent rapport du GIEC évaluait le réchauffement
pour la fin du siècle à une valeur comprise entre entre 1,4
à 5,8 ºC.
Parmi les scénarios portant sur l'avenir, plusieurs ont pris en compte la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre et leur impact à très long terme. Cela afin d'évaluer l'effet des mesures de réduction des émissions prônées par le protocole de Kyoto. "Si on arrête de produire du CO2 aujourd'hui, pour le maintenir au niveau de 2000, dans cent ans, le CO2 atmosphérique décroîtra de 1ppm/an, puis il se produira un rééquilibrage avec l'océan" , explique Pascale Braconnot, responsable de la modélisation du climat à l'IPSL. Mais en raison des capacités limitées de l'océan, "en l'an 3000, il restera encore 20 % de ce qui aura été émis en 2000" . Si aucune mesure n'est prise pour réduire ces émissions, les réactions du système Terre-océan risquent d'être brutales et imprévisibles. Ainsi, "nous avons déjà atteint un stade où les glaciers ne sont plus à l'équilibre. Avec un réchauffement marqué, il y a de fortes chances pour qu'ils disparaissent" , avertit Eric Brun, directeur de la recherche à Météo France. Une catastrophe qui justifie les investissements considérables consentis pour ces simulations qui représentent 22.600 heures de calcul pour Météo France et 20.000 heures pour l'IPSL. Le tout étalé sur huit et douze mois. Malgré le saut qualitatif important réalisé par ces travaux, les scientifiques sont conscients que beaucoup d'efforts restent à faire pour représenter un système climatique extrêmement complexe, dont les interactions sont multiples et insuffisamment connues. Christiane Galus
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Même si les résultats globaux des simulations
françaises convergent, ils présentent néanmoins sur
certains points précis notamment en ce qui concerne les régions
des différences notables. Dans les mois à venir, les
scientifiques vont rechercher l'origine de ces variations dans le cadre
du projet Escrime (Etude des scénarios climatiques réalisés
par l'IPSL et le CNRM).
Un appel a été lancé pour que
d'autres équipes françaises analysent les résultats
obtenus. Une quinzaine de projets ont d'ores et déjà été
présentés, dont quatre devraient contribuer directement au
quatrième rapport du GIEC. Sans être exhaustif, les thèmes
abordés concernent plus particulièrement le rôle des
nuages, les connexions entre les tropiques et nos latitudes, les régions
de mousson, les régions australes, ou encore l'influence du changement
climatique sur les événements extrêmes.