LEMONDE.FR | 30.01.07
Denis: Le Gulf Stream ne risquerait plus de s'arrêter, d'après les dernières mesures. Qu'en pensez-vous? Sylvie Joussaume : Le Gulf Stream participe à une grande circulation de brassages des océans avec le réchauffement du climat, on s'attend à ce que cette circulation diminue. On ne prévoit pas en effet pour le moment, qu'elle s'arrête complètement. De plus, même avec cette diminution du Gulf Stream, contrairement à ce qui est souvent dit, les scientifiques montrent que le réchauffement se poursuivrait. Genove: Ne pensez-vous pas que l'activité solaire est en elle-même responsable du réchauffement? Sylvie Joussaume: Le soleil est clairement la source d'énergie du climat et la question de son rôle dans le climat est pertinente. Néanmoins, les nouvelles estimations du groupe 1 du GIEC viennent de redonner une nouvelle estimation de l'activité du soleil montrant que son impact sur le bilan énergétique de la Terre est 10 fois plus faible que celui qui résulte des activités humaines, lorsque l'on regarde le bilan entre maintenant et le début de l'industrialisation. Icare68: La fonte de la banquise est-elle plus rapide que prévue? Dans ce cas il me semble que les volumes d'eau libérés représenteraient une montée des eaux bien plus importantes que celles annoncées par le GIEC. Qu'en pensez-vous? Sylvie Joussaume: Il est important de préciser la différence entre la banquise qui est une couche de glace qui couvre les océans avec la glace qui se trouve sur les continents et qui peut atteindre plusieurs milliers de mètres. La glace qui est sur les océans lorsqu'elle fond ne fait pas changer le niveau de la mer. Par contre, celle qui est sur les continents fait changer le niveau de la mer. On observe déjà une fonte de la banquise (celle qui est sur la mer) ainsi que la fonte d'un certain nombre de glaciers dans les tropiques, les moyennes latitudes, autour du Groenland, un peu au bord de l'Antarctique. La fonte des glaciers est prise en compte dans les scénarios du GIEC conduisant en 2100 à des estimations allant jusqu'à environ 50 cm d'élévation du niveau de la mer. Des incertitudes restent cependant sur les mécanismes de fonte des glaciers qui pourraient accélérer leur fonte. Le GIEC estime que ces phénomènes pourraient augmenter la vulnérabilité des glaces et accroître le niveau des mers. Mais il est encore difficile de dire de combien. Ce que l'on peut dire, c'est qu'avec les estimations actuelles, il faut plusieurs siècles de réchauffement continu avant de conduire à des élévations de l'ordre de plusieurs mètres. La disparition complète du Groenland demanderait un millier d'années. Fromveur Pourquoi le GIEC annonce-t-il que le processus de réchauffement durera un millénaire? Sylvie Joussaume : Même si on arrêtait les émissions de gaz carbonique maintenant, il faudrait plus d'un millier d'années avant de retourner aux valeurs préindustrielles. La_Oz: Quels sont les points qui posent encore de grandes difficultés dans la modélisation du climat? Sylvie Joussaume: La modélisation du climat représente la circulation de l'atmosphère et des océans et les échanges d'énergie qui les régissent. Un des points les plus difficiles réside dans la représentation des nuages, en particulier dû au fait que les modèles découpent l'atmosphère en boîtes d'une taille de l'ordre de 200 km. D'autres difficultés résident dans la représentation de la complexité du système qui fait intervenir, au-delà de la physique, la biologie, comme la végétation ou la biologie dans les océans. La_Oz: Ce nouveau rapport de 2004 est-il plus ou moins pessimiste que celui de 2001? Sylvie Joussaume: Le rapport de 2004 renforce les conclusions de 2001. Il donne une meilleure estimation des changements déjà observés et des changements à venir. Il apporte de nouveaux éléments sur des phénomènes extrêmes comme le fait qu'on observe dans certaines régions une augmentation de l'intensité des cyclones tropicaux, et annonce que cette intensité va vraisemblablement encore augmenter dans le futur. Raymond: A partir de combien de degrés le réchauffement deviendra-t-il dangereux? Sylvie Joussaume : C'est une question difficile. Il est important de se rendre compte qu'un changement d'un seul degré correspond à un climat assez différent, mais que plus la température s'élève, plus évidemment, ces changements auront d'impact. La notion de seuil de dangerosité dépend aussi de la rapidité des phénomènes et de notre capacité à nous adapter. Elle peut aussi être très relative suivant les régions. Le chiffre de 2 degrés est souvent avancé. Il s'appuie sur les travaux des autres groupes de travail du GIEC en 2001. Il peut être un ordre de grandeur raisonnable. Le présent rapport ne donne pas de seuil d'acceptabilité, de dangerosité. Il précise quels sont les changements possibles dans le futur. Si le niveau d'émission reste élevé, l'estimation donnée comme la meilleure est de 4 degrés mais pourrait même atteindre 6,4 degrés. Si on contraire, les émissions diminuent, la meilleure estimation serait de 1,8 degré et éventuellement aussi basse qu'1,1 degré. (suite)
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Ganz: Quel est aujourd'hui le poids de ceux qui contestent la réalité du réchauffement? Sylvie Joussaume : Il y a un très fort consensus dans la communauté des climatologues, a position du GIEC impliquant plus de 600 scientifiques. Il peut rester certains sceptiques, souvent en dehors de la communauté des climatologues, et n'ayant pas à ce jour donné d'arguments très convainquants. Jessica: Que pensez-vous du film d'Al Gore? Sylvie Joussaume: Le film d'Al Gore est excellent. Il reflète bien l'avis de la communauté scientifique et arrive, de plus, à bien sensibiliser les gens. Le seul bémol que je mettrais, c'est que lorsqu'il parle de la fonte des glaces, il ne donne pas d'échelles de temps. Lire plus haut l'une de mes premières réponses. Henacla: Percevez-vous une réelle prise de conscience du côté des politiques? Sylvie Joussaume: La situation évolue rapidement en ce moment. En particulier grâce à Nicolas Hulot. La classe politique semble se mobiliser davantage qu'elle ne le faisait il y a quelques temps. Même si cela fait maintenant un certain nombre d'années que des députés ou sénateurs ont déjà commencé à se mobiliser. A l'échelle mondiale, de nombreux pays se mobilisent même si nous attendons une impulsion du côté américain. Les Etats-Unis, pourtant le plus grand contributeur aux émissions de gaz carboniques, n'ayant pas encore ratifié le protocole de Kyoto. Hui: Quels seront les conséquences du réchauffement pour la France? Sylvie Joussaume: Dans les travaux du GIEC, les résultats sont présentés au niveau de grandes régions, plus grandes que le niveau de la France. Néanmoins, on voit un peu se dessiner certains grands traits, comme l'augmentation des vagues de chaleur, qui pour un scénario de forte d'émission de gaz à effet de serre, ressemblerait à la canicule de 2003, voire serait plus forte. Les résultats du GIEC montrent également une tendance à plus de pluies au nord de l'Europe et une diminution dans la zone méditerranéenne. Il pourrait y avoir en conséquence de la vague de chaleur une mortalité accrue en été. Et moins marquée en hiver. La canicule de 2003 cependant a illustré que les risques sanitaires dépendent aussi de notre adaptation à de telles situations météorologiques. Il est difficile donc de faire une prévision. Par contre, il est certain qu'il faudra s'adapter. Johann : Que pensez-vous des solutions du type: "Envoyer du soufre dans la stratosphère pour refroidir la planète"? L'homme pourra-t-il contrôler le climat? Sylvie Joussaume : Je pense qu'il est dangereux qu'on puisse contrôler le climat dans la mesure où c'est un système complexe, et qu'en voulant améliorer d'un côté, on risque de déteriorer autrement. D'une certaine façon, l'homme est déjà en train de faire une expérience sur le climat, en augmentant la concentration des gaz à effet de serre. Le plus sage serait plutôt d'essayer de limiter nos actions directes sur le climat. Jeff: L'énergie nucléaire constitue-t-elle à vos yeux la réponse à l'effet de serre? Sylvie Joussaume: L'énergie nucléaire ne contribue pas à l'augmentation des gaz à effet de serre et permet de fait à la France d'être relativement peu émettrice de gaz carbonique, du moins, moins que ses voisins. C'est de fait une technologie à prendre en compte comme une des solutions, même si elle n'est pas nécessairement la solution pour l'ensemble de la planète. Il est nécessaire de faire appel à toutes les solutions possibles, des énergies renouvelables jusqu'à la capture et au stockage du gaz carbonique. (Ndwebmaistre: hum...) Aurelien: Est-il vrai que la Terre a déjà connu des périodes où la quantité de CO2 était bien supérieure à celle d'aujourd'hui? L'humanité était-elle déjà là? Sylvie Joussaume : Premier élément, oui, la terre a déjà connu des niveaux de gaz carbonique très élevés, en particulier il y a 100 millions d'années, à l'époque des dinosaures. Ce niveau plus élevé était le résultat d'une activité tectonique plus intense. Par contre, l'homme n'était pas présent. Depuis 650 000 ans, le niveau est resté inférieur au niveau que nous connaissons actuellement. L'homo sapiens n'a jamais connu un niveau aussi élevé. |